Recours au 49.3 : le gouvernement n'avait-il pas d'autres choix ?

Publié le Modifié le 09/04/2020 Vu 1 017 fois 0
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Pour la réforme des retraites, Edouard Philippe va recourir à l'article 49.3 de la Constitution ce qui lui permettra de faire adopter le texte sans vote. Pourtant, d'autres solutions existent.

Pour la réforme des retraites, Edouard Philippe va recourir à l'article 49.3 de la Constitution ce qui lui p

Recours au 49.3 : le gouvernement n'avait-il pas d'autres choix ?

Le recours à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution est un hold-up du gouvernement envers le parlement. En effet, Edouard Philippe prive les députés de leur droit d'amendement et de vote d'un texte de loi tout en considérant qu'il est adopté. Néanmoins, cet article installe un rapport de force mortel et dangereux entre le gouvernement, accusé d'être anti-démocratique, et les députés qui revendiquent le monopole de la représentativité du peuple français. A vrai dire, cet article est d'une intensité extrême. Le 49.3 a un petit frère moins connu et moins controversé que lui, il s'agit de l'article 44 alinéa 3.

Que dit l'article 44 alinéa 3 de la Constitution ?

Voici une version courte de cet article : « Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d'amendement [...] Si le Gouvernement le demande, l'assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement ».

Comme il l'affirme, n'importe quel sénateur ou député élu a un droit d'amendement. C'est-à-dire, un droit de proposer des modifications à un projet de loi. Il peut proposer une refonte totale ou partielle du texte avant son adoption. Ensuite, l'amendement est, soit rejeté, soit accepté par un vote de l'Assemblée nationale ou du Sénat avant l'adoption finale du texte en assemblée plénière de chaque chambre parlementaire.

En l'occurence dans le cadre de la réforme des retraites, le gouvernement dénonce une surinflation du nombre d'amendements qui s'élève à pas moins de 40 000. Cette situation aurait retardé l'adoption rapide du texte. Or, le gouvernement veut l'adoption intervienne avant la mi-mars. Edouard Philippe conscient de la difficulté de la réforme des retraites, a donc utilisé le recours au 49.3 qui permet d'adopter un texte en rejettant tous les amendements et sans vote final. Et c'est précisément là-dessus que le 44.3 se distingue. 

En effet, cet article permet de rejetter tous les amendements sans considérer que le texte soit définitivement adopté. C'est plus communément ce qu'on appelle le "vote bloqué". C'est-à-dire que le gouvernement propose une loi sans possibilité de modification par les amendements de députés, mais l'Assemblée nationale garde toujours la possibilité d'adopter le texte ou de le rejetter avec le 44.3.

Des amendements rejetés, sauf si le gouvernement le veut

"En ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement", affirme l'article 44 alinéa 3. Cet instrument écarte le débat parlementaire mais il y a une nuance qui est toutefois très limitée. Le gouvernement peut retenir certains amendements proposés par le parlement. Cependant, c'est toujours sous le contrôle et l'autorisation du gouvernement. Or, dans l'exercice normal du chambre parlementaire, les amendements sont rejetés ou adoptés par l'Assemblée nationale même. C'est donc une nuance très limitée car le gouvernement garde le contrôle total du texte soumis à l'adoption finale.

Notons une chose, le gouvernement propose un texte en vote bloqué.mais garde une liberté totale pour modifier ce texte puisqu'il conserve son droit d'amendement contrairement aux députés. 

Pourquoi ce mécanisme est préférable au 49.3 ?

Il est beaucoup plus doux et atteint moins le respect de la démocratie car les députés gardent la main sur les textes qui entrent en vigueur ou pas. Chose que ne permet pas le 49.3 qui condamne le texte à entrer en vigueur malgré sa forte opposition.

Ce qui motive le gouvernement à recourir au 49.3, est une "obstuction parlementaire" en raison du nombre déraisonné d'amendements et de la lenteur des débats parlementaires que cela provoque. Or, le 44.3. répond parfaitement à ce but. Il permet de proposer un texte en écartant tous les débats et tous les amendements. Mais une fois de plus, l'Assemblée nationale reste maitre des textes adoptés avec le 44.3 et pas avec le 49.3. Ainsi, Edouard Philippe aurait pu voter sa réforme des retraites dans les temps et en respectant la démocratie parlementaire.

Le 44.3 permet de contourner une obstruction des débats parlementaires. Or, le 49.3 permet aussi cela mais aussi lorsque le gouvernement n'est pas sûr d'obtenir la majorité.

Alors à quoi est réservé le 49.3 ?

Le 44.3 est concurrent au 49.3. Néanmoins, comme vous le comprenez, ce dernier est beaucoup plus invasif et dangereux. En droit, le 49.3 n'est pas réservé à des cas particuliers et le gouvernement peut le demander pour n'importe quel texte. En pratique, le 49.3 est surtout utilisé pour accéléré l'adoption d'un texte et lorsque le gouvernement n'est pas sûr d'avoir la majorité parlementaire requise pour adopter son projet de loi.

Alors, Edouard Philippe ne s'est-il pas trompé ? Car si le 44.3 et le 49.3 ont le don de faire accélérer l'adoption d'un texte, au demeurant ce que souhaite le gouvernement, il se distingue nettement sur la crainte de ne pas avoir la majorité parlementaire suffisante. Or, le gouvernement d'Edouard Philippe a dans sa majorité 345 députés sur 577. Autant dire qu'il n'a pas de diffcultés à faire adopter un texte car cela veut dire que 60% des députés étaient prêts à voter en faveur de la réforme des retraites.

Dans le cadre de la réforme des retraites, l'argument de la crainte de ne pas avoir une majorité suffisante n'est pas valable.

Un 49.3 disproportionné au contexte de la réforme ?

C'est donc à se poser la question si Edouard Philippe n'a pas fait preuve d'un recours disproportionné au 49.3 étant donné qu'il a une large majorité parlementaire et compte tenu du fait que sa seule motivation était d'accélérer l'adoption du texte sans débat. Le 44.3 qui est un instrument plus doux aurait largement fait l'affaire. Mais le gouvernement utilise l'article le plus puissant : s'agit-il d'un aveu de faiblesse comme le titre LCI ?

Politiquement, la mesure parait trop attentatoire à la démocratie représentative. Néanmoins, juridiquement, le recours au 49.3 dans ce contexte ne peut pas être bloqué. Sauf si le gouvernement est renversé par mention de censure par l'Assemblée nationale. Certains députés de l'opposition ont déjà déposé une demande de mention de censure. Affaire à suivre.

 

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