Faillite personnelle du dirigeant : la fin de l’exigence d’insuffisance d’actif
La chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt du 12 juin 2025 (pourvoi n° 24-13.566), opère un tournant majeur : le tribunal peut prononcer la faillite personnelle ou l’interdiction de gérer sans démontrer l’insuffisance d’actif de la société en liquidation judiciaire. Cette lecture littérale des articles L 653-4 et L 653-5 du Code de commerce met fin à une incertitude entretenue par certains juges du fond.
Une clarification attendue par les praticiens
Jusqu’ici, la pratique liait souvent sanction personnelle et déficit comptable, malgré l’absence de texte. L’arrêt rappelle que la faillite personnelle est une sanction comportementale : seuls les actes répréhensibles, et non la santé financière, justifient l’exclusion du dirigeant.
Le cadre légal avant l’arrêt
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Article L 653-4 : fautes graves (confusion de patrimoines, détournement d’actifs, comptabilité fictive…).
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Article L 653-5 : interdiction de gérer pour agissements listés.
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Article L 651-2 : action en comblement de passif, qui exige la preuve d’un déficit imputable.
La décision du 12 juin 2025 : ce qui change
Saisie par un liquidateur débouté faute de déficit démontré, la Cour casse l’arrêt : exiger l’insuffisance d’actif revient à ajouter une condition non prévue par la loi. Le juge devra désormais :
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constater au moins un fait visé par les textes ;
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fixer la durée (jusqu’à quinze ans) de la faillite personnelle ;
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motiver son choix sans référence aux comptes sociaux.
Implications pratiques pour les chefs d’entreprise
Conséquences immédiates
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Un dirigeant ne pourra plus invoquer une trésorerie positive pour repousser la sanction.
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Les liquidateurs et le parquet peuvent intervenir plus tôt, sans attendre la clôture des comptes.
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Le risque réputationnel devient indépendant de la solvabilité finale.
Mesures de gouvernance préventive
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Documenter chaque décision significative par procès-verbal.
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Sécuriser la chaîne comptable via archivage numérique.
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Séparer strictement les comptes sociaux et personnels.
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Former les cadres aux obligations de déclaration de cessation des paiements.
Différencier sanction personnelle et comblement de passif
Critère | Faillite personnelle | Comblement de passif |
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Nature | Sanction professionnelle | Responsabilité pécuniaire |
Condition comptable | Aucune | Insuffisance d’actif requise |
Durée / montant | Jusqu’à 15 ans | Condamnation illimitée |
Finalité | Moralisation | Réparation des créances |
Raisonnement juridique : l’autonomie de la faute
La Cour fonde sa décision sur :
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La clarté de la loi : les articles L 653-4 et L 653-5 ne mentionnent pas l’insuffisance d’actif.
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Le principe dispositif (art. 4 CPC) : le juge ne peut modifier l’objet du litige.
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La cohérence des sanctions : dissocier la mesure morale de la réparation financière.
Impact sectoriel : groupes, PME et start-up face au nouveau risque
Les groupes cotés disposent d’équipes financières structurées ; ils doivent néanmoins revoir leurs délégations de pouvoirs afin qu’une décision locale n’entraîne pas la maison mère.
Pour les PME, la priorité est la séparation des patrimoines et la mise à jour des comptes : un logiciel de gestion intégré et la signature électronique des pièces suffisent souvent à sécuriser le risque.
Quant aux start-up, axées sur la croissance, elles différent parfois l’arrêt de leur exploitation déficitaire ; l’arrêt du 12 juin 2025 invite leurs fondateurs à fixer des seuils d’alerte objectifs pour éviter qu’on leur reproche la poursuite abusive d’une activité déficitaire dans une intention frauduleuse.
Questions fréquentes des dirigeants
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Le retrait d’un dividende antérieur peut-il être requalifié ? Oui, si le dirigeant savait la société en difficulté et a aggravé les dettes.
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La défaillance d’un expert-comptable exonère-t-elle la direction ? Non, l’article L 121-1 C. com. impose au commerçant de veiller lui-même à la régularité de sa comptabilité.
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Un dirigeant bénévole d’association peut-il être visé ? Oui, dès lors que l’association exerce une activité économique et relève du livre VI du Code de commerce.
Checklist stratégique pour éviter la faillite personnelle
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Revue trimestrielle de conformité comptable.
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Audit de l’équilibre comptes courants d’associés.
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Vérification des conventions réglementées.
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Test de solvabilité et alerte précoce au tribunal si besoin.
Anticiper la difficulté par une conciliation ou un mandat ad hoc reste le meilleur bouclier : la transparence réduit les griefs d’opacité ou d’inaction.
Conclusion : vigilance accrue mais prévisible
En supprimant l’exigence d’insuffisance d’actif, la Cour de cassation rappelle qu’un dirigeant doit pouvoir justifier sa gestion à tout moment, et pas seulement lorsque les comptes virent au rouge. Une gouvernance rigoureuse, documentée et transparente devient la seule parade fiable contre la faute formelle menant à la faillite personnelle.