Résiliation pour motif d’intérêt général d’une concession pour durée excessive : la CAA de Paris ne confondrait-elle pas résiliation pour motif d’intérêt général fautive et non-fautive ?

Publié le 23/08/2023 Vu 1 326 fois 0
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Commentaire de l'arrêt CAA de PARIS, 6ème chambre, 4 juillet 2023, 20PA02799

Commentaire de l'arrêt CAA de PARIS, 6ème chambre, 4 juillet 2023, 20PA02799

Résiliation pour motif d’intérêt général d’une concession pour durée excessive : la CAA de Paris ne confondrait-elle pas résiliation pour motif d’intérêt général fautive et non-fautive ?

CAA de PARIS, 6ème chambre, 4 juillet 2023, 20PA02799

Résumé :

  •        La durée excessive de la concession est une raison permettant de justifier la résiliation du contrat pour motif d’intérêt général.

o   Pour calculer cette durée excessive, il faut étudier la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d'exploitation et d'investissement, compte tenu des contraintes d'exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de l'amortissement comptable des investissements.

o   Le calcul de cette durée intègre les dépenses d’investissement, au sein desquelles se trouve notamment la redevance initiale de mise à disposition des installations du délégant au délégataire, et le taux de rentabilité interne.

 

  •     La CAA énonce que lorsque la personne publique résilie la convention avant son terme normal, le délégataire est fondé à demander l'indemnisation de la valeur non amortie des dépenses d'investissement qu'il a consenties, ainsi que le manque à gagner. Or, en l’espèce la résiliation a été jugée illégale par le TA, sans que la reprise des relations contractuelles ne soit possible en raison des droits du nouveau délégataire. Ainsi, la CAA semble ne pas faire application des règles encadrant la responsabilité contractuelle pour résiliation illégale, mais les règles encadrant la résiliation légale.

***

Le pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général est reconnu de longue date (CE, 17 mars 1864, Paul Dupont). Il s’agit même d’une règle générale applicable aux contrats administratifs (CE, 2 mai 1958, Distellerie de Magnac Laval), aujourd’hui consacrée par le code de la commande publique (article L. 6 et L. 3136-3 pour les concessions). Or, le Conseil d’Etat a reconnu que parmi les nombreux motifs d’intérêt général demeurait la durée excessive d’un contrat de concession (CE, 7 mai 2013, req. n° 365043, SAPP).

Le litige commenté concerne justement la suite de ce litige précité de 2013, où le Conseil d’Etat avait statué sur une ordonnance de référé suspension.

En l’espèce, la commune de Fontainebleau a signé deux conventions avec la société SAPP pour la modernisation et l'exploitation de parcs de stationnement et de la gestion du stationnement sur voirie. La commune décide toutefois de résilier les conventions en raison de leur durée excessive.

L’affaire a d’abord été portée devant le juge administratif en référé suspension, puis en cassation devant le Conseil d’Etat. C’est à cette occasion que le Conseil a pour la première fois affirmé que la durée excessive d’une convention de concession était un motif d'intérêt général de résiliation.

Au fond, par un premier jugement, le Tribunal administratif de Melun, saisi d'un recours de la société délégataire SAPP tendant à la reprise des relations contractuelles de type Béziers II (CE, 21 mars 2011, req. n° 304806), a jugé que la durée excessive de ces conventions, seul motif retenu par la commune, ne pouvait justifier la résiliation, mais a rejeté la demande de reprise des relations contractuelles, au motif qu'elle aurait porté une atteinte excessive aux droits du nouveau délégataire. Par un jugement avant dire droit du même jour, le tribunal, saisi d'un recours indemnitaire de la société SAPP, a jugé que la société était fondée à demander réparation des préjudices subis du fait de la résiliation illégale, et a prescrit une expertise sur ces préjudices. Par un troisième jugement, le Tribunal a, à la suite du dépôt de son rapport par l'expert, condamné la commune de Fontainebleau à verser à la société SAPP deux sommes de 2 480 474 euros, au titre de la valeur nette comptable des investissements non amortis à la date de prise d'effet de la résiliation, et de 2 201 000 euros HT, au titre du manque à gagner pour la période allant de la résiliation des contrats à leur échéance, avec intérêts au taux légal capitalisés.

Ainsi, deux questions se posent en l’espèce : la légalité de la résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général de la concession en raison d’une durée excessive, et l’indemnité due le cas échéant.

I-Concernant la légalité et l’indemnisation de la résiliation de la concession

A-La durée excessive de la concession est une raison permettant de résilier le contrat pour motif d’intérêt général

La CAA souligne qu’aux termes de l’article L. 1411-2 du CGCT la durée normale d'amortissement des installations susceptible d'être retenue par une collectivité délégante, peut être la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d'exploitation et d'investissement, compte tenu des contraintes d'exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de l'amortissement comptable des investissements.

Puis, en reprenant le considérant du Conseil d’Etat de 2013, elle souligne que la durée excessive d’un contrat peut permettre de justifier la résiliation pour motif d’intérêt général d’une DSP : « Eu égard à l'impératif d'ordre public imposant de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d'accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation, la nécessité de mettre fin à une convention dépassant la durée prévue par la loi d'une délégation de service public constitue un motif d'intérêt général justifiant sa résiliation unilatérale par la personne publique, sans qu'il soit besoin qu'elle saisisse au préalable le juge ».

 

B-Néanmoins, tel n’est pas le cas en l’espèce…

Or, en l’espèce l’expert avait jugé que la durée prévue initialement dans le contrat n’était pas excessive. Pour ce faire, l’expert a pris en compte un investissement initial total de 24 551 000 francs, incluant une redevance de mise à disposition de 20 500 000 francs et des travaux de 4 051 000 francs. Il avait évalué un taux de rentabilité interne ("TRI projet") à 10% pour les conventions, en se basant sur un TRI "projet de référence" dans une fourchette de 8 à 11%, conforme aux délégations de service public de ce type à l'époque de la conclusion des conventions. Ainsi, le tribunal avait conclu que la durée d'amortissement de 25 ans adoptée en 1996 par les parties n'était pas incohérente.

Par ailleurs, la Cour considère que contrairement à l'argument de la commune de Fontainebleau, la redevance initiale de mise à disposition des installations, stipulée à l'article 22 du contrat d'affermage avec travaux des parcs de stationnement, doit être considérée comme un investissement pour le délégataire. Par conséquent, cette redevance doit être prise en compte lors de l'évaluation de la durée nécessaire pour permettre au délégataire de couvrir ses charges.

Enfin, la Cour estime que la commune de Fontainebleau n'est pas fondée à reprocher à l'expert de s'être référé à des TRI relatifs à des concessions d'autoroute, alors qu'il a pris en compte bien d'autres références fournies par les parties pour déterminer le TRI " projet de référence ". La commune n'est pas non plus fondée à contester la fourchette de taux qu'il a alors retenue, alors que le taux des OAT à 10 ans, retenu ordinairement comme le taux des actifs sans risque, s'élevait à 7,5% fin 1995. Elle ne saurait davantage faire état des données effectives de l'exploitation pour contester l'évaluation par l'expert du TRI " projet" auquel les parties pouvaient normalement s'attendre lors de la conclusion des conventions en discussion.

Ainsi, la durée initialement prévue dans le contrat n'est pas excessive, et ne justifie pas une résiliation pour motif d'intérêt général du contrat.

II-Concernant le montant de l’indemnisation

Par la suite la Cour énonce que « lorsque la personne publique résilie la convention avant son terme normal, le délégataire est fondé à demander l'indemnisation de la valeur non amortie des dépenses d'investissement qu'il a consenties ».

Or, en l’espèce, la condamnation de la commune de Fontainebleau à payer la somme de 2 480 474 euros par le tribunal se base sur le rapport de l’expert.

Le montant de l’indemnité de résiliation fixée est bien légal selon la CAA. Elle comprend deux montants : 2 480 474 euros, correspondant à la valeur nette comptable des investissements non amortis à la date de résiliation, et 2 201 000 euros hors taxes pour compenser la perte de revenus pendant la période entre la résiliation des contrats et leur échéance, avec intérêts calculés au taux légal et capitalisés. Ainsi, l'indemnisation comprend les pertes subies et le gain manqué. 

C'est qu'en principe lorsque la résiliation pour motif d’intérêt général est légale, le délégataire a le droit à la réparation intégrale du préjudice. En d'autres termes, le cocontractant a le doit à l’indemnisation des dépenses engagées (pertes subies), ainsi que du gain manqué (CE, 6 février 1925, Gouverneur général d’Algérie c/ Demouchy, Rec. p.121 ; CE, sect, Société Alcools Vexin, 15 juillet 1959). Le principe de l'indemnisation est également dorénavant rappelé à l’article L. 6 du code de la commande publique qui dispose que « le cocontractant a droit à une indemnisation, sous réserve des stipulations du contrat ».

Lorsque la résiliation est illégale, il sera soit possible d’engager la responsabilité contractuelle de la personne publique, soit dans certaines circonstances restrictives d’obtenir la reprise des relations contractuelles (CE, 21 mars 2011, req. n° 304806 ; voir également en ce sens les conclusions du rapporteur public Cortot-Boucher). Dans ce premier cas, la conséquence est la même qu'en cas de résiliation pour motif d'intérêt général légale, puisque le cocontractant aura également droit à la réparation des pertes subies et du gain manqué (CE, 24 janvier 1975, Sieur C…, n°87259). 

Or, au regard de l’arrêt de la CAA on ne sait pas sur quel pan elle se situe. Il est pourtant question d’une résiliation illégale si on suit son raisonnement, ainsi que celui du jugement du TA confirmé, ce qui doit donc permettre d’engager la responsabilité contractuelle du délégant (CE, 27 janvier 1937, Ville de Quesnoy-sur-Deule, Rec., p. 125 ; CE, 27 février 2015, Cne de Béziers III). Toutefois, à aucun moment la CAA n’étudie les conditions permettant d’engager la responsabilité contractuelle de la commune, ce qu’elle aurait dû, semble-t-il faire (fait générateur ; préjudice ; lien de causalité ; causes exonératoires).  Certes, toute illégalité d'une personne publique est fautive (CE, 18 novembre 1988, req. n° 84768), mais encore faut-il établir un préjudice direct et certain. 

De ce fait, le résultat est le même en matière d'indemnité qu'il s'agisse de résiliation fautive ou non pour intérêt généra (s'il n'y a pas reprise des relations contractuelles) mais le fondement est bien différent. 

Faut-il alors s’attendre à une suite du contentieux devant le Conseil d’Etat ?

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Du fait de ma formation universitaire, étant notamment Normalien en Droit-Économie-Management, j'aime allier pratique et théorie.

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