Veille juridique DPA semaine du 5 février 2024
Droit de la commande publique :
TA Besançon, 1er février 2024, n°2200411- Exemple d’application de la jurisprudence Grenke Location.
Droit de la responsabilité administrative :
Droit de la location de meublés de tourisme :
II. Veille réglementaire et législative
Modification à venir du régime des procédures d’appel d’offre en matière d’éoliennes ?
Droit de la commande publique :
Conseil d'État, 2 février 2024, req. n° 471318 – Lorsque l'irrégularité du contrat consiste en des manquements aux règles de passation commis par le pouvoir adjudicateur, le lien de causalité entre cette irrégularité et le préjudice invoqué par l'attributaire résultant de la résiliation du contrat ne peut être regardé comme direct lorsque ces manquements ont eu une incidence déterminante sur l'attribution du contrat.
1 - Faits. En l’espèce, la commune de Saint-Benoît a, par un avis d'appel public à la concurrence publié en 2013, lancé une procédure ouverte de passation d'une convention de DSP pour la gestion de son service de restauration municipale.
2 – Procédure. La société Régal des Iles, candidate évincée, a présenté devant le TA de La Réunion un recours en contestation de la validité de ce contrat, conclu le 8 janvier 2014 par la commune de Saint-Benoît avec la société SOGECCIR.
Par un premier jugement, le TA de La Réunion, après avoir requalifié le contrat litigieux en marché public et estimé que celui-ci était affecté de plusieurs vices présentant un caractère de particulière gravité, a prononcé la résiliation du contrat à compter du premier jour du sixième mois suivant la notification du jugement. Ce jugement a été définitivement confirmé sur ce point par un arrêt de la CAA de Bordeaux.
La société SOGECCIR a demandé au TA de La Réunion de condamner la commune à l'indemniser du préjudice causé par cette résiliation à hauteur de 4 094 198 euros, au titre de la part non amortie des investissements, de la charge des impayés des familles et de son manque à gagner.
Par un jugement du 16 juin 2020, le TA de La Réunion a condamné la commune de Saint-Benoît à verser à la société SOGECCIR la somme totale de 916 614 euros avec intérêts à compter du 3 février 2017, au titre de la part non amortie des investissements et des impayés des familles, dont il y avait lieu de déduire la somme équivalente de 916 614 euros qui lui avait été versée à titre de provision en exécution d'une ordonnance du juge du référé provision du TA de La Réunion.
La société SOGECCIR a relevé appel de ce jugement en tant qu'il avait rejeté sa demande d'indemnisation du préjudice lié au manque à gagner. La société SOGECCIR se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 13 décembre 2022 par lequel la CAA de Bordeaux a rejeté son appel.
3 – Question juridique. La question juridique qui se pose est donc celle de la possibilité pour le requérant d’obtenir l’indemnisation de son préjudice lié au manque à gagner.
4 – Solution.
4.1 – Grille d’analyse. Le Conseil commence didactiquement par exposer le cadre juridique du litige.
1. Lorsque le juge administratif prononce la résiliation d'un contrat en raison de vices entachant sa validité, cette circonstance n'implique pas, par elle-même, une absence de droit à indemnisation au bénéfice du cocontractant. Ce droit à indemnisation s'apprécie, conformément aux principes du droit des contrats administratifs, au regard des motifs de la décision juridictionnelle et, le cas échéant, des stipulations contractuelles applicables.
2. En pareil cas, le cocontractant peut prétendre :
a. sur un terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d'effet de la résiliation, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé ;
b. Si l'irrégularité du contrat résulte d'une faute de l'administration, le cocontractant peut, en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration.
i. Saisi d'une demande d'indemnité sur ce second fondement, il appartient au juge d'apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s'il existe un lien de causalité direct entre la faute de l'administration et le préjudice.
ii. Lorsque l'irrégularité du contrat consiste en des manquements aux règles de passation commis par le pouvoir adjudicateur, le lien de causalité entre cette irrégularité et le préjudice invoqué par l'attributaire résultant de la résiliation du contrat ne peut être regardé comme direct lorsque ces manquements ont eu une incidence déterminante sur l'attribution du contrat.
4.2 – Application au cas d’espèce : annulation de l’arrêt. Puis appliquant cette grille d’analyse à l’arrêt de la CAA contesté, les juges du Palais Royal accueillent le pourvoi en annulant ledit arrêt. En effet, le TA de La Réunion a prononcé la résiliation de la convention de DSP, en retenant que ce contrat, qui devait être requalifié en marché public de services, avait été attribué à la société SOGECCIR sans que le contenu et les conditions de mise en œuvre des critères de sélection des offres n'aient été définis, pour une durée excessivement longue de dix ans et sans publication d'un avis d'attribution de niveau européen et que de tels vices, considérés dans leur ensemble, présentaient un caractère de particulière gravité justifiant la résiliation du contrat.
Or pour juger que ces manquements avaient eu une incidence déterminante sur l'attribution du contrat à la SOGECCIR, la CAA s'est bornée à relever que la société Régal des Îles, candidate évincée, avait été regardée comme n'étant pas dépourvue de toute chance de remporter ce contrat par une décision du Conseil d'État, statuant au contentieux. En se fondant sur cette seule circonstance, alors qu'il lui appartenait d'apprécier le caractère déterminant des manquements pour l'attribution du contrat à la SOGECCIR, la CAA a commis une erreur de droit.
4.3 – Sur le fond. Le Conseil rappelle une seconde fois que « le lien de causalité entre l'irrégularité du contrat tenant en des manquements aux règles de passation commis par le pouvoir adjudicateur et le préjudice invoqué par l'attributaire résultant de la résiliation du contrat ne peut être regardé comme direct lorsque les manquements en cause ont eu une incidence déterminante sur l'attribution du contrat ».
Or, les manquements retenus par le jugement du TA de La Réunion tiennent à ce que le contrat qui a été passé sous forme de DSP devait être requalifié en marché public de services, à ce qu'il a été attribué à la société SOGECCIR sans publication d'un avis d'attribution de niveau européen et sans que le contenu et les conditions de mise en œuvre des critères de sélection des offres n'aient été définis et à ce qu'il a été conclu pour une durée excessivement longue de dix ans.
Ces manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence, eu égard à leur nature et à leur portée, ont eu une incidence déterminante sur l'attribution du contrat à la SOGECCIR. Dans ces conditions, le lien entre la faute de la commune et le manque à gagner dont cette société entend obtenir réparation ne peut être regardé comme direct.
Par voie de conséquence, la société SOGECCIR n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation du manque à gagner que lui a causé la résiliation de la convention de délégation de service public dont elle était titulaire.
CE, 2 février 2024, req. n°471122 – Le titulaire d'un marché qui conteste le décompte général doit impérativement, sous peine d'irrecevabilité de la saisine du juge du contrat, soumettre un mémoire en réclamation au représentant du pouvoir adjudicateur dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date à laquelle celui-ci lui a notifié le décompte général. Une copie de ce mémoire doit également être adressée au maître d’œuvre dans le même laps de temps. La conformité de ce délai est évaluée à partir de la date de réception du mémoire tant par le pouvoir adjudicateur que par le maître d’œuvre.
1 – Faits. En l’espèce, par un acte d’engagement, un centre communal d’action sociale (CCAS) a confié à la société Valenti, un marché public de travaux d’extension et de restructuration d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
2 – Procédure. La société Valenti a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne afin de fixer à 1 868 544,47 euros TTC, le montant total des sommes qui lui étaient dues au titre du lot n°2 « gros œuvre » et de condamner le CCAS à lui verser la somme de 271 300 euros TTC au titre du solde de ce décompte général et définitif.
Par un premier jugement, un TA a rejeté cette demande, puis une CAA a également rejeté son appel par un arrêt contre lequel la société Valenti se pourvoit en cassation.
3 – Question juridique. La question qui se posait était en fait de savoir si la société Valenti avait respecté la procédure relative aux différends concernant le décompte général du marché.
4 – Solution. Les juges du Palais royal vérifient la conformité de la procédure suivie aux CCAG applicables aux marchés publics de travaux. En effet, les articles 13.4.4 et 50.11 du CCAG prévoient que dans le cas d'un différend sur le décompte général du marché, le titulaire doit transmettre un mémoire en réclamation au représentant du pouvoir adjudicateur dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date à laquelle ce dernier lui a notifié le décompte général et en adresser une copie au maître d'œuvre dans le même délai. Le respect de ce délai s'apprécie à la date de réception du mémoire tant par le pouvoir adjudicateur que par le maître d'œuvre.
Or au cas présent, le décompte général a été notifié à la société Valenti le 10 mai 2019 et le maître d'œuvre n'a reçu copie de la réclamation portant sur ce décompte que le 25 juin 2019, soit après les quarante-cinq jours susmentionnés.
Ainsi, le mémoire en réclamation a bien été transmis au maître d'œuvre au-delà du délai de quarante-cinq jours prescrit par les dispositions de l'article 50.1.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, auquel le contrat en litige se réfère sans y déroge. Ainsi, le décompte général était devenu définitif et la demande présentée par la société Valenti devant le TA était irrecevable.
Le CE valide donc l’arrêt de la CAA et rejette donc le pourvoi.
TA Besançon, 1er février 2024, n°2200411- Exemple d’application de la jurisprudence Grenke Location.
1 – Faits. En l’espèce, une commune a conclu un contrat avec la société Locam pour la location de matériel téléphonique sur une période de 5 ans et 3 mois, moyennant un loyer mensuel de 972 euros hors taxes. La société Agence Premium, fournisseur de la société Locam, a fourni et installé le matériel conformément au contrat. À la suite de l'arrêt des paiements des loyers par la commune, la société Locam l'a mise en demeure de payer les loyers non réglés. Après une nouvelle demande par courrier restée sans réponse, la société Locam réclame devant le TA le paiement de ces loyers ainsi que la restitution du matériel installé, en d’autres termes la résiliation du marché.
2 – Question juridique. La question qui se pose est donc celle de savoir si la société Locam est en mesure ou non de réclamer la résiliation d’un marché public (cf. jurisprudence Grenke Location) ?
3 – Solution. Le TA rappelle classiquement que « le cocontractant lié à une personne publique par un contrat administratif est tenu d'en assurer l'exécution, sauf en cas de force majeure, et ne peut notamment pas se prévaloir des manquements ou défaillances de l'administration pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles ou prendre l'initiative de résilier unilatéralement le contrat. Il est toutefois loisible aux parties de prévoir dans un contrat qui n'a pas pour objet l'exécution même du service public les conditions auxquelles le cocontractant de la personne publique peut résilier le contrat en cas de méconnaissance par cette dernière de ses obligations contractuelles. Cependant, le cocontractant ne peut procéder à la résiliation sans avoir mis à même, au préalable, la personne publique de s'opposer à la rupture des relations contractuelles pour un motif d'intérêt général, tiré notamment des exigences du service public ».
Puis le TA rappelle que l’article 12 des conditions générales du contrat de location stipule qu’en cas de défaut de respect dudit contrat et notamment de non-paiement d’un loyer, le contrat de location pourra notamment être résilié de plein droit par le loueur, sans aucune formalité judiciaire, 8 jours après une mise en demeure restée sans effet. Le même article prévoie également qu’en sus de la restitution du matériel, le locataire doit verser au loueur une somme égale au montant des loyers impayés au jour de la résiliation majorée d'une clause pénale de 10% ainsi qu'une somme égale à la totalité des loyers restant à courir jusqu'à la fin du contrat telle que prévue à l'origine majorée d'une clause pénale de 10%.
Le TA faisant application de cette stipulation constate que la société Locam a, par un courrier mis en demeure la commune de lui payer, sous huit jours, plusieurs loyers impayés. La commune ne s'étant pas exécutée et n'ayant pas non plus manifesté son opposition à la rupture des relations contractuelles pour un motif d'intérêt général, la société requérante a pu, en application des stipulations précitées, légalement résilier le contrat litigieux huit jours après la notification de cette mise en demeure. La résiliation du contrat à l’initiative du cocontractant de la personne publique est donc légale.
Quant à l’indemnisation de la société Locam, le TA souligne qu’il n'est pas contesté que le total des loyers dus à la société Locam s'élève à 11 664 euros et que par ailleurs, en ce qui concerne les pénalités, la commune en l'absence de mémoire en défense, n'apporte aucun élément relatif notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige de nature à établir que la clause pénale présente un caractère manifestement excessif.
Dès lors, le marché est résilié et la société Locam a le droit aux loyers dus plus l’indemnité contractuelle de résiliation.
Droit de la responsabilité administrative :
TA Nice, 31 janvier 2024, req. n° 2001838 – Rappel des conditions permettant d’engager la responsabilité sans faute de l’État du fait des dommages résultant de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou attroupements précisément identifiés.
1 – Faits. En l’espèce, un sapeur-pompier a été victime d'un jet de pétard, ayant occasionné la perte d'usage de son œil gauche, alors qu'il participait à une manifestation organisée par le syndicat autonome des pompiers dans le Var en 2016.
Il a déposé plainte contre X pour les blessures dont il a été victime.
En 2019, il a sollicité la réparation de son préjudice auprès de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) de Draguignan.
Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) lui a par la suite versé 154 731,18 euros et a saisi le préfet des Alpes-Maritimes d'une demande indemnitaire préalable, tendant au remboursement du montant total des indemnités versées au pompier blessé.
Le préfet des Alpes-Maritimes a rejeté la demande préalable du FGTI.
Par sa requête, le FGTI demande le remboursement des sommes versées.
2 – Question juridique. Le FGTI est-il fondé à obtenir le remboursement des sommes versées ?
3 – Solution. Le TA rappelle préalablement que l'application de l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure, prévoyant la responsabilité sans faute de l’État du fait des attroupements :
· Est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou attroupements précisément identifiés ;
· Lorsque le dommage invoqué a été causé à l'occasion d'une série d'actions concertées ayant donné lieu sur l'ensemble du territoire ou une partie substantielle de celui-ci à des crimes ou délits commis par plusieurs attroupements ou rassemblements et que les conditions d'application de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure ne sont pas réunies, la responsabilité de l'État peut être engagée sur le fondement des principes généraux du droit de la responsabilité sans faute si le dommage indemnisable présente le caractère d'un préjudice anormal et spécial.
· Ne peuvent être regardés comme étant le fait d'un attroupement ou rassemblement au sens de ces dispositions les actes délictuels ne procédant pas d'une action spontanée dans le cadre ou le prolongement d'un attroupement ou rassemblement mais d'une action préméditée et organisée par un groupe structuré à seule fin de les commettre.
· Le code pénal soumet les violences involontaires à des peines différentes, voire à des régimes de répression distincts, en tenant compte de leur impact sur le degré de l'incapacité de travail découlant des faits incriminés, et de leur qualification.
Or au cas présent, si le FGTI estime que les agissements de l'auteur du jet de pétard seraient constitutifs du délit de risques causés à autrui, lequel est prévu et réprimé par les dispositions de l'article 223-1 du code pénal (« Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ») et s'il n'est pas contesté que l'auteur du jet de pétard a violé manifestement une obligation particulière de prudence ou de sécurité, le FGTI n'identifie aucun texte qui prévoirait, s'agissant de l'utilisation des pétards, une obligation de prudence ou de sécurité objective, immédiatement perceptible et clairement applicable sans faculté d'appréciation personnelle du sujet. Il ne démontre pas, comme il lui incombe de le faire, que les agissements de l'auteur du jet de pétard seraient constitutifs du délit prévu et réprimé par les dispositions de l'article 223-1 du code pénal.
Toutefois, les agissements dont le pompier a été victime sont constitutifs d'une atteinte involontaire à l'intégrité de la personne de la victime, ayant entrainé une incapacité totale de travail d'une durée supérieure à trois mois, prévue et réprimée par les dispositions de l'article 222-19 du code pénal, dès lors qu’il a été en arrêt de travail pendant une durée de presque trois années.
De plus, le rapport d'expertise souligne que les dommages subis par le requérant résultent d'une explosion de pétard au cours de la manifestation, l'expert retenant que « les lésions et les séquelles oculaires gauches sont imputables à l'accident de manière certaine, directe et exclusive ». De même, l'imputabilité stricte est corroborée par l'attestation du 21 novembre 2023 établie par le médecin conseil de la CPAM du Var.
Or, il n'est pas établi ni même allégué que les forces de l'ordre, à qui il n'est reproché, dans l'accomplissement de leur mission, aucune faute susceptible de rompre le lien de causalité direct entre le jet du pétard et le dommage causé au requérant, auraient pris une part quelconque dans la réalisation de ce dommage.
Dès lors, le dommage résultant de cet évènement présente en conséquence un lien direct et certain de causalité avec celui-ci. Par suite, le FGTI est fondé à soutenir que la blessure causée au pompier doit être indemnisée sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.
Droit de la location de meublés de tourisme :
CAA de BORDEAUX, 30 janvier 2024, req. n° 21BX04629 – Validation d’un encadrement strict des « locaux de compensation »
1 – Faits. En l’espèce, par une délibération du 7 juillet 2017, le conseil communautaire de Bordeaux Métropole a mis en œuvre un régime d'autorisation préalable pour le changement d'usage des locaux d'habitation situés sur le territoire de la commune de Bordeaux, proposés en location meublée de courte durée. L'autorisation préalable étant soumise à un principe de compensation par transformation en habitations de locaux ayant un autre usage et correspondant à des unités de logement de qualité et de surface au moins équivalente. Par une autre délibération du 10 juillet 2017, le conseil municipal de Bordeaux a soumis toute location de locaux d'habitation pour des courtes durées à une déclaration préalable avec enregistrement auprès de la commune.
Cette réglementation vise à lutter contre la pénurie de logements.
Une association avait demandé l’abrogation de ces délibérations, la Métropole avait refusé d’abroger sa délibération. L’association avait obtenue l’annulation de cette décision de refus en première instance sur le fondement de l’incompétence de l’autorité qui l’a édicté, mais ses demandes d'annulation des deux délibérations avaient été rejetées.
2 – Question juridique. La question était celle de la légalité d’un tel dispositif.
3 – Solution. La la CAA rappelle les dispositions permettant de fonder les délibérations contestées. En effet, selon l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, dans les communes de plus de 200 000 habitants, le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation est soumis à une autorisation préalable, conformément aux conditions fixées par l'article L. 631-7-1. Le fait de louer de manière répétée un local meublé destiné à l'habitation pour de courtes durées à une clientèle de passage, qui n'y élit pas domicile, est considéré comme un changement d'usage en vertu de cet article.
L'article L. 631-7-1 du même code précise que l'autorisation préalable au changement d'usage est délivrée par le maire de la commune où se situe l'immeuble. Cette autorisation peut être subordonnée à une compensation, consistant en la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage. La délivrance des autorisations et la détermination des compensations sont définies par une délibération du conseil municipal, prenant en compte les objectifs de mixité sociale, les caractéristiques des marchés de locaux d'habitation, et la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements. Si la commune fait partie d'un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme, la délibération est alors prise par l'organe délibérant de cet établissement. Par ailleurs, l'article L. 631-7-1 A autorise une délibération du conseil municipal à définir un régime d'autorisation temporaire de changement d'usage, permettant à une personne physique de louer des locaux destinés à l'habitation pour de courtes durées.
En outre, l'article L. 324-1-1 du code du tourisme précise que les meublés de tourisme, tels que des villas, appartements ou studios meublés, destinés à l'usage exclusif du locataire et offerts à la location à une clientèle de passage, relèvent de certaines obligations. Toute personne offrant à la location un meublé de tourisme, classé ou non, doit préalablement effectuer une déclaration auprès du maire de la commune où est situé le meublé. Cette déclaration n'est pas obligatoire lorsque le local à usage d'habitation constitue la résidence principale du loueur. Dans les communes soumises à une autorisation préalable du changement d'usage des locaux destinés à l'habitation, une délibération du conseil municipal peut décider de soumettre à une déclaration préalable, soumise à enregistrement auprès de la commune, toute location d'un meublé de tourisme.
3.1 – Sur l’atteinte au droit de propriété des membres de l'association. La CAA rappelle la valeur constitutionnelle du droit de propriété (article 2 et 17 de la DDHC), et qu’il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
La CAA constate que le dispositif mis en place par les délibérations porte une atteinte justifiée par un motif d’intérêt général et proportionnée à l’objectif poursuivi.
En effet :
· En ce qui concerne l’objectif d'intérêt général : le dispositif vise, en particulier dans le centre-ville des agglomérations telles que Bordeaux qui sont en « zone tendue », à lutter contre le déséquilibre entre l'offre et la demande de logements. La CAA argumente cette constatation :
o Le programme d'orientations et d'actions du PLU en matière d'habitat de Bordeaux Métropole évoque notamment la nécessité de " maintenir la population résidente " dans le cœur historique et détaille les objectifs de mixité sociale poursuivis par la métropole.
o Le nombre des offres de location de courte durée, évoqué dans la délibération attaquée du 7 juillet 2017 qui souligne que 6 000 logements sont proposés à la location pour le seul site AirBnB, la croissance du nombre de logements proposés ces dernières années ainsi que l'estimation de 20 000 demandes de logements non satisfaites évoquée dans le rapport sur le règlement municipal de la ville de Bordeaux, justifient la limitation au droit de propriété des propriétaires de résidences principales et secondaires dans cette ville.
· En ce qui concerne la proportionnalité de l’atteinte au droit de propriété :
o En ce qui concerne l’autorité préalable : selon la CAA cette atteinte est proportionnée à l'objectif poursuivi, dès lors notamment que le dispositif mis en œuvre d'autorisation préalable au changement d'usage ne s'applique pas aux propriétaires qui louent leur résidence principale moins de 120 jours par an et qu'il n'interdit pas aux propriétaires de résidence secondaire toute location pour de courtes durées.
o En ce qui concerne la compensation : Le mécanisme de compensation prévu par la délibération en cause, s'il est de nature à rendre plus difficile la location de courte durée dans le cœur historique de Bordeaux, répond à l'objectif poursuivi et contribue à maintenir le caractère résidentiel du centre-ville, davantage sollicité pour la location de courte durée. Si les besoins en logements concernent notamment les étudiants, ils intéressent aussi les familles, les offres de logements n'ayant pas à être exclusivement localisées en périphérie et à proximité des établissements universitaires, dont certains sont d'ailleurs également implantés en centre-ville.
o En ce qui concerne l'obligation pour tout propriétaire qui entend offrir à la location un meublé de tourisme d'en faire préalablement la déclaration en mairie : elle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété, dès lors que ce dispositif ne limite pas en tant que tel le droit des propriétaires à louer leur bien pour une courte durée.
3.2 - Sur l’atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques. La CAA rappelle que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Or, la juridiction constate, concernant les différences de situation :
· Que les propriétaires de résidences principales louant leur bien pour une courte durée plus de 120 jours par an et les propriétaires de résidences secondaires au sein de la commune de Bordeaux sont placés dans une situation particulière, laquelle peut justifier par elle-même l'application d'une réglementation spécifique, notamment le mécanisme de compensation prévu par l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, sans que l'ensemble de la collectivité ait à en assumer la charge.
· Que la ville de Bordeaux se trouve dans une situation différente des autres communes de la métropole, en sa qualité d'agglomération située en zone tendue et en raison du nombre de biens proposés en location de courte durée en centre-ville, de sorte que Bordeaux Métropole n'a pas méconnu le principe d'égalité en mettant en œuvre le dispositif prévu par l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation sur le seul territoire de la commune de Bordeaux.
· Que les locataires ne sont pas placés dans une situation identique à celle des propriétaires, de sorte que Bordeaux Métropole n'était pas tenue d'intégrer les locataires sous-louant leur logement pour une courte durée au dispositif mis en œuvre.
· Que la délibération du 7 juillet 2017, qui résulte de l'application de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, constitue le socle du dispositif de régulation des locations meublées de courte durée et nécessite, pour cette raison, une application identique aux loueurs particuliers et professionnels.
· Que les propriétaires de locaux commerciaux ayant modifié la destination de leurs locaux en habitation ne sont, par hypothèse, pas placés dans la même situation que les propriétaires de résidences principales ou secondaires réalisant des opérations de location meublée de courte durée, de sorte que Bordeaux Métropole a pu valablement prendre la délibération contestée sans porter atteinte au principe d'égalité
La CAA constate également qu’il existe un motif d’intérêt général de différence de traitement puisque si le mécanisme de compensation prévu par la délibération du 7 juillet 2017 est de nature à rendre plus difficile la location de courte durée dans le cœur historique de Bordeaux il répond à l'objectif d'intérêt général poursuivi et contribue à maintenir le caractère résidentiel du centre-ville.
3.3 – Sur la méconnaissance de la directive service et de la liberté d’entreprendre. La CAA rappelle que le cadre législatif des délibérations contestées a été contrôlé par la CJUE au regard de la directive service. Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, saisie par la Cour de cassation d'une question préjudicielle relative à la compatibilité des dispositions précitées des articles L. 631-7 et suivants du code de la construction et de l'habitation avec les dispositions des articles 6 et 13 de la directive 2006/123/CE, dans son arrêt du 22 septembre 2020, Cali Apartments SCI et HX (affaires C-724/18 et C- 727/18), les autorités nationales peuvent adopter des réglementations imposant une autorisation préalable pour l'exercice d'activités de location de locaux meublés pour de courtes durées, dès lors qu'elles sont conformes aux exigences figurant aux articles 9 et 10 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. Il s'ensuit qu'il revient au juge administratif de contrôler si cette réglementation est, d'une part, justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et, d'autre part, proportionnée à l'objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu'un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle. Par ailleurs, si la réglementation nationale instaure une obligation de compensation, sous la forme d'une transformation accessoire et concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, celle-ci doit être justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général, proportionnelle à cet objectif, non discriminatoire, instituée dans des termes clairs, non ambigus et rendus publics à l'avance, et cette obligation devra pouvoir être satisfaite dans des conditions transparentes et accessibles.
La requérante estimait que les délibérations ne respectaient pas ce cadre.
Or au cas présent, la CAA estime que dès lors que, comme il a été dit, le régime issu des délibérations critiquées est justifié par un motif d'intérêt général et proportionné à l'objectif poursuivi, ces délibérations ne méconnaissent pas davantage la directive services et ne portent pas une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre.
4 – Dispositif. La CAA rejette donc l’appel de l’association requérante, tout comme les conclusions en appel incident de la Métropole, car le président de Bordeaux Métropole est compétent, sur le fondement de l’article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales, pour inscrire à l'ordre du jour du conseil la question de l'abrogation d'une délibération. Cependant, il peut légalement rejeter une demande d'abrogation seulement si les dispositions visées sont légales. Si les dispositions sont illégales, le président doit soumettre la question à l'ordre du jour du conseil, seul compétent pour prononcer l'abrogation des dispositions illégales. La décision du 6 septembre 2019, refusant l'abrogation de la délibération du 7 juillet 2017, a été prise par un vice-président de Bordeaux Métropole. Bien qu'autorisé à signer des documents liés à l'exécution des délibérations, l'arrêté en question ne confère pas au délégataire le pouvoir d'inscrire la question de l'abrogation à l'ordre du jour du conseil ni de rejeter une demande d'abrogation. Ainsi, la CAA valide l’annulation par le TA de la décision de refus d’abroger de la Métropole, estimant qu'elle avait été prise par une autorité incompétente.
II. Veille réglementaire et législative
Adoption par la Commission européenne d’une version révisée de sa Communication sur la définition du marché pertinent.
Cette Communication de la Commission européenne vise à préciser la méthodologie utilisée pour définir le marché pertinent conformément au droit de la concurrence de l’UE. Cette version révisée constitue la première mise à jour du texte depuis son adoption en 1997.
Parmi les améliorations substantielles introduites relevées par l’Autorité de la concurrence française, il est possible de citer notamment :
· Une considération accrue des paramètres de concurrence autres que les prix, tels que l'innovation, la qualité des produits et services, y compris dans le contexte du développement durable.
· De nouvelles orientations spécifiques aux marchés numériques, mettant en lumière leurs caractéristiques particulières (marchés multifaces, effets de réseau indirects et écosystèmes numériques).
· Des directives plus détaillées sur l'approche de la Commission face aux marchés fortement axés sur l'innovation.
· Des éclaircissements concernant les techniques quantitatives, comme le test SSNIP, que la Commission peut utiliser lors de la définition d'un marché.
· Des précisions sur les sources potentielles de preuves, telles que les documents internes des entreprises présentes sur les marchés concernés, ainsi que sur les méthodes d'évaluation par la Commission.
Par ailleurs, la Communication révisée réaffirme le principe selon lequel la concurrence potentielle ne doit pas être considérée lors de la définition du marché, mais plutôt dans le cadre de l'analyse concurrentielle.
En ce qui concerne la définition du marché géographique, elle souligne la possibilité d'intégrer les importations lorsque les conditions de concurrence dans différentes zones sont suffisamment homogènes.
Modification à venir du régime des procédures d’appel d’offre en matière d’éoliennes ?
La Commission européenne a lancé un appel à contributions pour la mise en œuvre de l’une des initiatives de son plan d'action visant à soutenir l'industrie éolienne, dévoilé en octobre 2023 : la réforme de la procédure de mise en concurrence des appels d'offres en matière d’éoliennes, afin de mieux valoriser les caractéristiques « européennes » des propositions.
Cette démarche vise à fournir à la Direction générale de l'énergie de la Commission des recommandations appropriées (non contraignantes) dans un document d'orientation, prévu pour publication au cours du deuxième trimestre.
Parmi les ajustements majeurs envisagés par la Commission, se trouvent :
· l'établissement de « critères d'attribution autres que le prix », actuellement prédominant dans la sélection des porteurs de projets, afin de « récompenser les produits à plus forte valeur ajoutée et [qui] favorisent l'expansion industrielle de la filière éolienne », notamment au sein de l'Union européenne ;
· l’utilisation de critères tels que l'allongement de la durée de vie des installations, la teneur en carbone et les mesures d'économie circulaire, afin de réduire l'empreinte environnementale des parcs éoliens.
· des réflexions sont en cours sur des « mesures visant à encourager l'achèvement complet et rapide des projets, telles que des pénalités de non-exécution […] et une indexation des prix afin d'aider le secteur à mieux faire face à l'évolution des coûts, notamment au cours de la construction ».