Veille jurisprudentielle de la semaine du 15 janvier 2024

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Veille juridique en matière de droit public des affaires pour la semaine du 15 janvier 2024

Veille juridique en matière de droit public des affaires pour la semaine du 15 janvier 2024

Veille jurisprudentielle de la semaine du 15 janvier 2024
 

Commande publique :

 

A. TA de Rouen, 5 janvier 2024, req. n° 2304883 – Des erreurs rédactionnelles d’un CCTP n’induisent pas en erreur un candidat si (i) elles sont contredites par le règlement de consultation, (ii) si les candidats devaient se rendre à une réunion sur place et (iii) pouvaient poser des questions à l’acheteur.  

En l’espèce, le CCTP d’un marché public de travaux contenait des erreurs rédactionnelles :

·      En premier lieu, il mentionnait que le chantier en question serait installé à Lens, alors qu’en réalité il s’agissait de la réhabilitation d’un complexe sportif au sein de la ville de Lillebonne. 

 

·      En second lieu, il énonçait que :

o   l’entreprise devait prévoir dans le cadre de ses travaux, les neutralisations et déviations des réseaux existants enterrés et aériens utiles aux constructions du projet, alors que le chantier n’en nécessitait pas ;

o   un état des ouvrages avoisinants et des voiries devait être constaté alors que seule une rivière avoisine le bâtiment à déconstruire ;

o   un gardiennage du chantier devait être mis en place lors des matchs de football alors que le stade sera fermé et qu’aucun match de football ne sera joué et ; 

o   un apport de terre végétale pour la reconstitution du sol était nécessaire alors qu’une construction était prévue par le marché en lieu et place du bâtiment démoli rendant inutile un tel apport. 

La requérante se prévalait de ces erreurs pour soutenir qu’elle avait eu pour conséquence de fausser manifestement la mise en concurrence du marché dès lors que cela l’obligeait à chiffrer des prestations supplémentaires inutiles, entraînant en conséquence une surévaluation de son offre.

Le TA réfute cette argumentation en indiquant : 

·      Concernant le premier moyen, que cette erreur de plume était contredite par l’objet de la consultation renseigné dans le règlement de la consultation et que le maitre de l’ouvrage était clairement la ville de Lillebonne en Seine-Maritime, ce qui est de nature à prévenir toute erreur de la part des candidats sur l’objet des prestations. 

 

·      Concernant le second moyen, le TA souligne que :

 

o   les candidats devaient se rendre obligatoirement à la visite sur les lieux prévue dans les documents précontractuels et ainsi constater les différentes caractéristiques techniques des lieux du chantier ;

 

o   les candidats pouvaient, s’ils l’estimaient utile, adresser en temps utile des questions au pouvoir adjudicateur et ;

 

o   il ressort de l’offre de la société requérante que cette dernière a disposé des éléments utiles pour présenter son offre

 

Le TA en conclut que la rédaction du CCTP du lot litigieux n’a pas induit en erreur la requérante sur l’étendue des prestations à prévoir et ainsi la léser dans ses droits. 

Son recours est donc rejeté. 

 

B.    CE, 15 janvier 2024, req. n° 489157 – Pas d’intervention du juge dans le cadre de la mise en œuvre d’une tarification d’une concession, à moins que l’administration ne puisse user de moyens de contrainte à l’encontre de son cocontractant qu’en vertu d’une décision juridictionnelle

En l’espèce, une commune a conclu en 2000 une convention de concession pour la construction et l’exploitation des remontées mécaniques et du domaine skiable. 

Le 4 septembre 2023, le conseil municipal de cette commune a approuvé les tarifs pour la saison à venir du forfait donnant accès à son domaine skiable ainsi que du forfait « Grand Massif », qui donne accès au domaine skiable de la commune ainsi qu’à celui de cinq autres autorités concédantes, l’ensemble de ces domaines formant le « Grand Massif ». Les tarifs approuvés pour ce dernier forfait ont été fixés à un niveau inférieur à ceux qui avaient été proposés par la société concessionnaire et acceptés par les autres autorités concédantes. 

Le concessionnaire a décidé de commercialiser le forfait « Grand Massif » au tarif retenu par ces autres autorités. 

La commune a alors saisi le tribunal administratif de Grenoble d’un référé mesure utile afin que le juge enjoigne au concessionnaire de commercialiser le forfait « Grand Massif » aux tarifs délibérés par le conseil municipal. 

Le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ce recours. C’est contre son ordonnance que la société se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’Etat rappelle classiquement que « s’il n’appartient pas au juge administratif d’intervenir dans l’exécution d’un marché public en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l’administration, lorsque celle-ci dispose à l’égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l’exécution du contrat, il en va autrement quand l’administration ne peut user de moyens de contrainte à l’encontre de son cocontractant qu’en vertu d’une décision juridictionnelle. En pareille hypothèse, le juge du contrat est en droit de prononcer, à l’encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire. En cas d’urgence, le juge des référés peut, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, ordonner au cocontractant, éventuellement sous astreinte, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l’urgence, ne fasse obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse ».

Puis, les juges du Palais Royal considèrent que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur de droit, ni entaché son ordonnance d’une dénaturation de la matérialité des faits, en considérant que la condition d’urgence n’était pas remplie eu égard au motif invoqué par la commune, tenant aux conséquences financières de l’absence de mise en œuvre par le concessionnaire de la baisse tarifaire qu’il avait décidé unilatéralement pour le forfait « Grand Massif ».

Le recours en cassation est donc rejeté.

 

C.   TA de Marseille, 12 janvier 2024, req. n° 2312206 – Une offre anormalement basse ne saurait être caractérisée uniquement par un écart de prix important

En l’espèce, le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud a soumis à la concurrence un marché de prestations intellectuelles pour des missions de coordination de sécurité et de protection de la santé pour la construction de l’hôtel de Police de Marseille. La société Qualiconsult a soumissionné au lot n°2 « contrôle technique » de ce marché. Le préfet de la zone de défense et de sécurité sud a informé la société Qualiconsult du rejet de son offre, classée en 5ème position et de l’attribution du marché à la société Socotec.

La société Qualiconsult demande au juge phocéen l’annulation de la procédure de passation du lot.

En effet, elle considère que l’offre de l’attributaire était anormalement basse, en raison de son écart de près de 24% avec la valeur estimée du marché par le pouvoir adjudicateur. 

Classiquement le Tribunal rappelle que :

1.      Le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l’égalité entre les candidats dans le cadre de l’attribution d’un marché public.

 

2.     Il résulte des articles L. 2152-5, L. 2152-6, R. 2152-3 et R. 2152-4 du Code de la commande publique que : 

a.     quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu’une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, sans être tenu de lui poser des questions spécifiques ;

 

b.     si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l’offre. 

 

3.     Le caractère anormalement bas ou non d’une offre ne saurait résulter du seul constat d’un écart de prix important entre cette offre et d’autres offres que les explications fournies par le candidat ne sont pas de nature à justifier. 

 

4.     Il appartient notamment au juge du référé précontractuel, saisi d’un moyen en ce sens, de rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.

Ainsi, la requérante ne saurait se fonder uniquement sur l’écart de prix constaté tant entre le prix proposé par la société Socotec et l’estimation du pouvoir adjudicateur qu’avec son propre prix, puisque cet écart n’est pas, à lui seul, de nature à faire suspecter le caractère anormalement bas de l’offre de la société Socotec.

En effet, cet écart s’explique par d’autres raisons, et notamment parce que l’acheteur a laissé aux candidats le soin de proposer un nombre pertinent de réunion « selon les besoins ». Or les seules circonstances que (i) la société requérante estime que le nombre de réunions proposé par la société Socotec « selon les besoins » serait insuffisante comparativement à celui qu’elle estime nécessaire et (ii) le nombre de jours proposés par Socotec pour les missions à réaliser au titre des « visas des documents d’exécution » seraient également insuffisant, ne sont pas, à elles seules, de nature à caractériser une offre anormalement basse susceptible de compromettre la bonne exécution du marché au regard du temps consacré à ces missions et eu égard à l’ampleur du marché.

Le recours est donc rejeté. 

D.   TA de Montreuil, 12 janvier 2024,  req. n°2315368 – Le commentaire Facebook d’un membre de la commission de l’article L. 1411-5 du CGCT sur la gestion par un candidat de l’ancienne DSP renouvelée porte atteinte au principe d’impartialité.

En l’espèce, une commune publie un avis d'appel public à la concurrence pour une procédure ouverte tendant à la conclusion d'une DSP tenant à la « gestion du marché forain de la Ville » pour une durée de 60 mois non renouvelable. 

Avant l’admission de deux sociétés à présenter des offres, une publication sur Facebook, relative au marché de Sevran géré par l’une des deux candidates à l’attribution de la nouvelle DSP, a été commentée par un conseiller municipal de la Ville pouvoir adjudicateur, président délégué de la commission de l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales en qualité de représentant du maire pour la procédure en cause, lequel a déclaré que : « Ce marché est mal géré. C'est dommage car il est très fréquenté. Et les incivilités font fuir les clients du centre-ville. Le bail de concessionnaire du marché doit être renouvelé en janvier prochain, c'est l'occasion de le réformer pour qu'il soit plus diversifié et qu'on y trouve plus de commerces de qualité ». Ce commentaire a été publié quelques jours avant la date limite de remise des candidatures.

Les offres des deux sociétés ont été jugées recevables par la commission de délégation de service public. Le conseiller municipal ayant commenté le post Facebook était l’un des quatre signataires du rapport d'analyse du 24 novembre 2023 proposant de ne pas retenir la société actuellement titulaire de la DSP et qui avait donc fait l’objet de critique de sa part sur Facebook.

Le conseil municipal de Sevran a décidé de suivre la commission et d'attribuer cette délégation à la société non titulaire de l’ancienne DSP. 

Agissant en sa qualité de candidate évincée, la société non retenue demande au juge des référés du tribunal administratif, statuant en référé précontractuel d'annuler la procédure de passation en cause.

La question était donc de savoir si ce commentaire Facebook avait pour effet de porter atteinte au principe d’impartialité et partant de vicier la procédure de passation. 

Les juges montreuillois rappellent pour commencer que : 

« Le principe d'impartialité s'impose aux autorités chargées de l'attribution d'une délégation de service public, comme à toute autorité administrative, afin d'assurer l'effectivité des principes constitutionnels de liberté d'accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats (cf. Conseil constitutionnel, n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 ; CE, Sect., 30 décembre 2010, n°338273). Si le choix du délégataire d'un service public par une commune est une compétence exclusive de son assemblée délibérante par application des dispositions précitées de l'article L. 1411-7 du code général des collectivités territoriales, le rôle éminent reconnu à la commission prévue à l'article L. 1411-5 de ce même code, que ce soit au stade de l'admission des candidatures, de l'engagement éventuel d'une phase de négociation ou de l'évaluation des offres, impose que ses membres, alors même que leur liberté d'expression, s'ils ont la qualité d'élu, est garantie, s'abstiennent, pendant la durée de la procédure, de toute prise de position publique de nature à compromettre le respect de ce principe d'impartialité. »

 

Voilà déjà : 

·      une belle préservation de l’équilibre entre principes fondamentaux de la commande publique et liberté d’expression d’un élu municipal ; 

·      et un rappel que les principes fondamentaux de la commande publique s’appliquent également à la commission de l’article L. 1411-5 du CGCT.

 

Le pouvoir adjudicateur s’est défendu en faisant valoir que le commentaire présentait une portée générale et intéressait également le rôle des services de la police nationale, de la police municipale et des services de nettoyage de la commune. 

Toutefois, le TA de Montreuil considère qu’il ressort des termes de ce commentaire librement accessible au public que cet élu faisait précisément état d'une mauvaise gestion de ce marché, notamment en ce qui concernait la sélection des commerçants présents, et mettait exclusivement en lien la résolution de cette mauvaise gestion avec la procédure de renouvellement de la concession engagée quelques semaines plus tôt. Une telle prise de position critique visait directement la société candidate évincée, anciennement titulaire de la DSP. 

Il en résulte donc que ce commentaire constituait une atteinte à l'impartialité de la commission de l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales dont il était président délégué. D’autant plus que l'existence d'une atteinte au principe d'impartialité n'implique pas la démonstration de l'existence d'un conflit d'intérêts.

Or :

·      la candidature de la requérante ne devait pas être écartée et son offre ne pouvait pas être éliminée car étant inappropriée, irrégulière ou inacceptable ;

·      et la requérante avait obtenu la note maximale en ce qui concerne le critère financier et la société attributaire a été retenue au bénéfice de sa note sur le second critère relatif à la qualité du service rendu aux usagers, pour une différence d'évaluation d'ensemble limitée à 4,5 points entre les deux offres. 

Ainsi, le défaut d'impartialité de la commission en charge de la préparation du rapport d'évaluation des offres était bien susceptible d’avoir lésé la requérante qui peut utilement se prévaloir de ce manquement. 

Le TA annule donc la procédure de passation de la DSP.

 

Droit de l’énergie :

 

E.    CE, 16 janvier 2024, req. n° 469815 – Le Conseil d’Etat valide le mécanisme de correction automatique de demande d’ARENH dépassant les seuils d’alerte.

Portée : 

·      Les délibérations de la CRE relative à l’allocation des volumes d’ARENH ne doivent pas être soumises à la consultation préalable du Conseil supérieur de l’énergie ;

·      La CRE ne doit pas au cours de l’instruction des dossiers de demande d’ARENH solliciter les fournisseurs aux fins d’obtenir des explications complémentaires à celles qu’ils ont fournies à l’appui de leurs demandes ;

·      Le mécanisme des seuils d’alerte par segment de consommateurs, ayant pour objet de limiter les demandes d’ARENH s’appuyant sur des hypothèses de croissance irréalistes ou ne tenant pas compte de la situation du marché de l’énergie, n’a pas à déterminer les critères encadrants, en termes de volumes, les corrections à opérer consécutivement à l’identification de telles situations ;

·      Si la CRE corrige la demande d’ARENH, elle n’est pas obligée de fixer la quantité au niveau du seuil d’alerte, puisqu’elle doit se fonder sur une estimation du portefeuille de clients.


Faisant application des articles L. 336-1 et suivants, R. 336-13 et R. 336-18 du code de l’énergie, la CRE a par une délibération n° 2022-312 du 1er décembre 2022 relative à l’allocation des volumes d’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ci-après « l’ARENH ») dans le cadre du guichet s’étant clos le 21 novembre 2022, fixé à 148,30 TWh le volume global de la demande d’ARENH pour l’année de livraison 2023, après avoir corrigé la quantité de produit théorique initialement demandée par 14 fournisseurs pour un volume de 0,56 TWh.

La quantité de produit théorique qui a résulté de cette correction pour chacun des fournisseurs concernés a été déterminée dans une annexe confidentielle à cette délibération. 

Une décision du même jour a notifié à chacun des fournisseurs ayant déposé une demande d’ARENH la cession annuelle d’électricité et de garanties de capacité le concernant. 

La société OHM Energies, fournisseur d’électricité, demande l’annulation de cette délibération ainsi que de l’annexe confidentielle et de la décision de notification du même jour la concernant en tant qu’elles lui allouent des volumes inférieurs à ceux qu’elle avait demandés, et dans l’hypothèse de l’indivisibilité des actes attaqués, l’ensemble de la délibération, de ses annexes confidentielles et des décisions notifiant à l’ensemble des fournisseurs le volume de produit alloué. 

L’association CLCV demande quant à elle l’annulation de cette même délibération du 1er décembre 2022.

1.     Sur la légalité externe

1.1 Le premier moyen de légalité externe était relatif à la motivation des décisions. Le Conseil d’Etat le rejette en soulignant :

·       Concernant la délibération du 1er décembre 2022 : qu’elle expose le dispositif juridique général dans lequel elle intervient, présente les caractéristiques de la demande globale d’ARENH pour l’année 2023, décrit les pouvoirs de contrôle et de correction de la CRE dans ce cadre, notamment en rappelant les seuils d’alerte édictés à ce titre dans sa délibération n° 2022-275 du 10 novembre 2022 ainsi que la méthode d’analyse des justifications apportées par les fournisseurs en cas de dépassement de ces seuils, et enfin, indique le montant des corrections auxquelles la Commission a procédé. 

 

·       Concernant l’annexe confidentielle relative à la société OHM Energies : qu’elle expose les motifs de correction de sa demande et fixe la quantité de produit théorique corrigée retenue. 

 

·       Concernant la décision notifiant à cette société la cession annuelle d’électricité et de garanties de capacité au titre de l’année 2023 : qu’elle mentionne les textes applicables ainsi que les quantités et profils des produits cédés par la société EDF. 

1.2 Le deuxième moyen portait sur un vice de procédure, les requérantes arguant que les délibérations de la CRE relative à l’allocation des volumes d’ARENH doivent être soumises à la consultation préalable du Conseil supérieur de l’énergie. Le CE juge qu’en l’absence de texte imposant une telle consultation, le moyen doit être rejeté. 

1.3 Enfin, un autre moyen portait sur un vice de procédure supplémentaire, résultant d’une irrégularité de la procédure d’instruction de la demande d’ARENH présentée par la société OHM Energies. Cette dernière soutenait en effet que la CRE devait au cours de l’instruction des dossiers de demande d’ARENH solliciter les fournisseurs aux fins d’obtenir des explications complémentaires à celles qu’ils ont fournies à l’appui de leurs demandes. Or tel n’était pas le cas en ce qui concernait son dossier, puisque la requérante n’a pas été informée de ce que les éléments figurant dans sa demande étaient estimés insuffisants pour justifier de sa cohérence. Une nouvelle fois, le moyen est rejeté, les juges du Palais Royal considérant que « si la délibération n° 2022-275 du 3 novembre 2022 relative au contenu du dossier de demande d’ARENH a institué une phase facultative de pré-vérification des dossiers au cours de laquelle la Commission de régulation de l’énergie peut échanger avec les fournisseurs sur leur conformité et leur complétude, cette phase est distincte de la phase d’instruction pour laquelle cette même délibération indique que seuls les dossiers complets seraient pris en compte pour l’allocation des volumes d’ARENH ».

 

2.     Sur la légalité interne 

a. Exception d’illégalité

En premier lieu, était invoquée l’exception d’illégalité de la délibération du 1er décembre 2022 contestée. 

En effet, la délibération n° 2022-287 du 10 novembre 2022 portant décision sur la méthode de répartition des volumes d’ARENH en cas de dépassement du plafond prévu par la loi et portant communication sur les critères d’évaluation des demandes d’ARENH, sur laquelle s’appuie la délibération du 1er décembre 2022, a institué, aux fins de limiter les demandes d’ARENH s’appuyant sur des hypothèses de croissance irréalistes ou ne tenant pas compte de la situation du marché de l’énergie, des seuils d’alerte par segment de consommateurs. 

Les requérants soulignaient que ce mécanisme de correction n’était pas suffisamment précis, notamment en ce que la CRE n’aurait pas défini les critères encadrants, en termes de volumes, les corrections à opérer consécutivement à l’identification de telles situations.

Ainsi, s’agissant du segment des petits consommateurs, répartis entre clients « résidentiels » et clients « professionnels », la CRE a défini deux seuils d’alerte, pour chacune de ces catégories, fondés, d’une part, sur le nombre de sites en portefeuille à la date du 30 septembre 2022, et, d’autre part, sur la forme de la courbe de consommation prévisionnelle. S’agissant des consommateurs de puissance souscrite supérieure à 36 kVA, a été fixé un seuil d’alerte correspondant à la consommation cumulée des sites inclus dans des contrats déjà signés au 21 novembre 2022 ou que le fournisseur prévoit de signer, majoré de 10 % pour tenir compte du potentiel de croissance. Enfin, un seuil d’alerte a été défini pour les fournisseurs déposant une première demande d’ARENH dépassant 5 MW. La délibération indique que les fournisseurs dont la demande d’ARENH s’approcherait d’un de ces seuils d’alerte ou le dépasserait doivent communiquer les éléments permettant de justifier la cohérence de celle-ci et précise que la CRE prend en compte, dans l’évaluation des éléments justificatifs présentés, le comportement adopté par le fournisseur dans le cadre du dispositif d’ARENH en 2022, notamment en comparant le portefeuille de clients du fournisseur au 30 septembre 2022 avec le portefeuille prévisionnel indiqué dans la demande d’ARENH lors du guichet de novembre 2021 ainsi qu’en examinant l’évolution du portefeuille de clients du fournisseur dans les 12 derniers mois et sa cohérence avec les données de structure de portefeuille transmises hebdomadairement par le gestionnaire du réseau public de transport et le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité.

Ce dont il en résulte qu’« en fixant ainsi, avec suffisamment de précision, les critères permettant de procéder à la correction des demandes d’ARENH lorsque les hypothèses de consommation ou de développement commercial communiquées présentent un risque de surestimation manifeste de la quantité de produit théorique ou lorsque cette quantité est manifestement disproportionnée par rapport à la consommation des consommateurs finals antérieurement constatée et aux prévisions d’évolution de cette consommation, quand bien même elle n’aurait pas défini les critères encadrant, en termes de volumes, les corrections à opérer consécutivement à l’identification de telles situations, la Commission de régulation de l’énergie n’a pas méconnu les articles L. 336-9 et R. 336-14 du code de l’énergie et n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. »

b. Sur l’usage des pouvoirs de correction de la CRE

En deuxième lieu, l’association CLCV soutient que la correction opérée par la CRE, sur le fondement des dispositions des articles L. 336-9 et R. 336-14 du code de l’énergie est insuffisante, eu égard à la surestimation systématique des demandes d’ARENH à laquelle procèderaient les fournisseurs alternatifs. 

Or le CE souligne d’une part, que la demande globale d’ARENH au titre du guichet du 21 novembre 2022 a été pour la première fois depuis 2019 inférieure à celle de l’année précédente, soit une baisse de 7 % entre 2022 et 2023, et d’autre part, qu’en 2022, la demande excédentaire d’ARENH réellement constatée a été inférieure à 9 TWh, soit 15 TWh de moins que celle résultant de la méthode de calcul proposée par l’association à l’appui de son argumentation. Par ailleurs, l’existence, au niveau global, d’un phénomène d’arbitrage saisonnier visant à maximiser les droits d’ARENH ne ressort pas des pièces du dossier, contrairement à ce que soutient la requérante. Enfin, la CRE fait valoir, sans être contredite, avoir lancé des enquêtes contre trois fournisseurs au titre de pratiques susceptibles de constituer un manquement d’abus d’ARENH. 

Dès lors, le moyen doit être écarté. 

 

c. Sur les droits alloués à la société OHM Energies

Enfin, les indicateurs basés sur la demande d’ARENH de la société OHM Energies ont dépassé les seuils d’alerte pour les consommateurs résidentiels et petits professionnels. La CRE l’énergie a corrigé la quantité allouée en considérant le risque de surestimation manifeste, en se basant sur une estimation du portefeuille de clients au 1er janvier 2023.

Dès lors, la Commission n’a donc pas méconnu l’article R. 336-14 du code de l’énergie en fixant une quantité inférieure aux seuils d’alerte, qui ne sont que des indicateurs.

Il n’y a pas eu non plus d’erreur manifeste d’appréciation de la CRE concernant la croissance prévue du portefeuille de clients d’OHM Energies, même si une erreur mineure figure dans l’annexe. En effet, elle s’est basée sur des données historiques pour estimer la croissance du portefeuille résidentiel et a correctement appliqué un taux de croissance de 10%.

Les recours sont donc rejetés. 

 

Droit de la comptabilité publique (responsabilité financière) :

 

F.    Cour d’appel financière Arrêt n° 2024-01 du 12 janvier 2024 «SOCIÉTÉ ALPEXPO» - Pas de rétroactivité pour le délit d’octroi injustifié à soi-même et précisions utiles sur la notion de préjudice financier significatif dans le cadre du nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics

La société Alpexpo, initialement SEM et devenue SPL est engagée dans l’exploitation commerciale d’un site créé à l’occasion des Jeux Olympiques de Grenoble de 1968. À la suite d’un contrôle de la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes, la Cour de discipline budgétaire et financière a été saisie en raison de faits pouvant constituer des infractions sanctionnées par cette juridiction. 

Par un arrêt rendu le 11 mai 2023, la chambre du contentieux de la Cour des comptes, à laquelle cette affaire a été transmise selon les dispositions de l’article 30 de l’ordonnance du 23 mars 2022, a infligé une amende de 3 500 euros à Mme Calmels, identifiée comme dirigeante de fait de la société Alpexpo, tout en relaxant MM. Pilaud et Habfast, dirigeants de droit successifs de ladite société, mettant ainsi fin aux poursuites engagées à leur encontre. 

Le procureur général près la Cour des comptes a interjeté appel de cet arrêt via une requête datée du 7 juillet 2023.

1.     Concernant Mme Calmels :

Le litige porte sur un contrat de prestation de services conclu en 2012 entre M. Pilaud, PDG d’Alpexpo, et la société MCG Managers. La Société Alpexpo s’est en effet retrouvée sans direction opérationnelle, avec une situation sociale lourde, une image qui semblait dégradée et des incertitudes pour le futur. Ainsi, MCG Managers a mis à disposition d’Alpexpo Mme Calmels en tant que « manager MCG Intervenant », à qui était confié « l’ensemble des composantes d’une direction générale ».

 

Dans le cadre de cette mission, Mme Calmels a reçu une procuration pour effectuer des opérations sur les comptes bancaires de la société Alpexpo, alors qu’elle ne disposait pas de délégation de pouvoir ni de délégation de signature l’autorisant à engager la société. 

 

Par la suite, Mme Calmels a engagé des dépenses étrangères à l’objet social de la société, soit au bénéfice de son conjoint, soit au sien propre.

 

La Cour de discipline budgétaire et financière a condamné Mme Calmels pour l’infraction d’avantage injustifié procuré à autrui. Cependant, les dépenses à son profit personnel n’ont pas été sanctionnées comme infractions en vertu des anciennes dispositions de l’article L. 313-6 et des nouvelles dispositions de l’article L. 131-12 du code des juridictions financières, cette dernière ne pouvant être appliquée rétroactivement. En effet, il s’agit d’une qualification nouvelle introduite par l’ordonnance du 23 mars 2022 de sorte qu’elle ne peut pas s’appliquer à des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la réforme le 1er janvier 2023.

La Cour d’appel confirme donc la condamnation de Mme Calmels pour avoir procuré un avantage injustifié à son conjoint mais a rejeté les accusations liées aux dépenses à son profit personnel en raison de l’absence de rétroactivité de la nouvelle disposition législative (article 8 DDHC).

 

2.     Concernant MM. Pilaud et Habfast :

Le litige concernant MM. Pilaud et Habfast se rapporte à leur gestion en tant que PDG successifs d’Alpexpo. Les accusations portent sur des manquements, tels que le défaut de surveillance sur les agissements d’un agent de fait de Mme Calmels, le non-recouvrement de la dette envers Mme Calmels, le non-respect du contrat de management de transition, et des achats en violation des règles de la commande publique. 

La Cour de discipline budgétaire et financière les a relaxés des poursuites, arguant que le préjudice financier significatif n’était pas établi selon l’article L. 131-9 du code des juridictions financières, en vigueur depuis le 1er janvier 2023.

La Cour d’appel financière estime que les manquements reprochés ne causaient pas un préjudice financier significatif à Alpexpo, se basant sur l’évaluation du montant des dépenses en question par rapport aux éléments financiers pertinents de la société. Par conséquent, le ministère public n’a pas réussi à démontrer que la relaxe de MM. Pilaud et Habfast était injustifiée.

La Cour d’appel précise ainsi le caractère significatif du préjudice financier au sens de l’article L. 131-9 du Code des juridictions financières. En effet, les dispositions de cet article imposent, pour sanctionner les gestionnaires publics que les fautes incriminées aient causé un « préjudice financier significatif ». Aux termes du troisième alinéa de l’article L. 131-9 : « Le caractère significatif du préjudice financier est apprécié en tenant compte de son montant au regard du budget de l’entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable ». Interprétant cet article, la CAF considère que : 

1.     Il n’est pas nécessaire d’établir le montant exact du préjudice financier éventuel,

2.     Mais l’ordre de grandeur de ce préjudice doit être évalué avec une précision suffisante pour pouvoir ensuite être apprécié au regard des éléments financiers de l’entité ou du service concerné. 

3.     Lorsque, par ailleurs et comme en l’espèce, cette entité ou ce service n’est pas tenu d’établir et d’approuver un budget, il convient de se référer aux éléments financiers pertinents selon le régime juridique et comptable applicable à cette entité ou à ce service, tels notamment ceux qui ressortent du bilan ou du compte de résultat. 

4.     Il appartient au juge de fonder sa décision sur les pièces apportées au cours de la procédure et contradictoirement discutées devant lui. 

 

Or au cas présent, le ministère public n’établit pas, en se bornant à énumérer le montant des dépenses afférentes « aux contrats passés en méconnaissance des règles de la commande publique », que ces dépenses auraient pu être moindres – dans des proportions qu’au demeurant, il ne précise pas – si ces règles avaient été respectées. Autrement dit, en cas de violation des règles de la commande publique, le préjudice financier ne correspond pas, par principe, au montant des achats conclus irrégulièrement ; il sera nécessaire de prouver que la dépense aurait été moindre si les règles avaient été respectées, et dans quelles proportions.

 

L’appel est donc rejeté.

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A propos de l'auteur
Blog de Droit public des affaires by Florent Cedziollo

Élève-avocat et passioné par le Droit public des affaires, je vous propose de retrouver mes articles et veilles juridiques à travers ce site internet.

D'une grande curiosité, j'aime également étudier et écrire sur des sujets relatifs au droit de la concurrence ou au droit international des affaires, voire même à l'économie.

Du fait de ma formation universitaire, étant notamment Normalien en Droit-Économie-Management, j'aime allier pratique et théorie.

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