Veille juridique semaine du 22 janvier 2024
A. CAA Nantes, 19 janvier 2024, req. n°22NT02651 – Validation d’une résiliation d’une concession fondée sur une perte de confiance
1 – Faits. En l’espèce, la communauté de communes Montfort communauté a confié en 2010 à la société ID Organisation, par une convention d'affermage et de location gérance d'une durée de quinze ans, l'exploitation d’une base de loisirs comprenant 220 hectares de bois et forêts et 45 hectares de plan d'eau ainsi que des gîtes, un camping, des salles de réception et un restaurant.
Par une délibération du 28 mars 2019 notifiée au concessionnaire, Montfort communauté a résilié cette convention pour motif d'intérêt général à compter du 30 septembre 2019.
Cette résiliation reposait sur une perte de confiance du concédant envers le concessionnaire, en raison du fait qu’il avait notamment entrepris des travaux non autorisés par la convention, remettait ses rapports d'activité tardivement et de manière incomplète, n'a pas remis, malgré les demandes de Montfort communauté, un projet global de gestion des loisirs sur le site de Tremelin, que les principaux investissements ont été réalisés et financés par Montfort Communauté, cette dernière reconnaissant que le contrat aurait dû être plus précis sur ce point, que plusieurs activités de loisirs ont été exploitées sans accord, que la prise en charge des frais de surveillance de la baignade dans le lac de Tremelin a donné lieu à des discussions dont le résultat semble n'avoir satisfait aucune des parties, que des retards de paiement des redevances dues par la société ID Organisation ont été constatés, que cette dernière a manifesté le souhait de ne plus s'investir dans les activités de loisirs affermées et a décidé unilatéralement, à compter du 27 mars 2019, de ne plus payer la redevance due au titre du contrat d'affermage.
2 – Procédure. La SELARL Athéna, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société ID Organisation a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, l'annulation de la délibération du 28 mars 2019 et la reprise des relations contractuelles, d'autre part, la condamnation de Montfort communauté à lui verser la somme de 541 356 euros, au titre du préjudice découlant de cette résiliation.
Par un jugement du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ces deux demandes. La SELARL Athéna fait appel de ce jugement.
3 – Question de droit. La question posée était donc celle de la possibilité de résilier un contrat administratif sur le fondement d’une perte de confiance en son cocontractant.
4 – Solution. La CAA valide la résiliation fondée sur la perte de confiance à l’égard du cocontractant :
« L'ensemble de ces éléments témoignent d'une profonde détérioration des relations contractuelles, née d'une perte de confiance entre les parties faisant obstacle à la poursuite du contrat, et ont justifié par suite la résiliation unilatérale, pour ce motif qui revêt à lui seul un caractère d'intérêt général, de la convention en cause. Par voie de conséquence, les moyens tirés de l'absence de motif d'intérêt général justifiant la résiliation et du détournement de procédure doivent être écartés. »
Le recours est donc rejeté.
B. TA Rouen, 19 janvier 2024, req. n°2003736 – Renvoi au Tribunal des conflits le soin de trancher la compétence d’un litige en présence d’un contrat privé à l’origine de l’exécution de travaux publics
1 – Faits. En l’espèce, après avoir signé un compromis de vente en novembre 2010, Mme A et M. D ont acquis, par un acte authentique de mars 2011, auprès de la communauté de l'agglomération havraise (CODAH), devenue communauté urbaine Le Havre Seine Métropole (CULHSM), une propriété.
Cet acte prévoyait, dans le cadre de la construction de la première ligne de tramway de la ville du Havre, que la CODAH devait réaliser et prendre en charge des travaux portant sur le recul de la clôture, la démolition du garage et la reconstitution d'une place de stationnement sur l'emplacement du garage à l'intérieur de la propriété. Ces travaux ont été confiés par la CODAH à la société Eiffage et aux sociétés Clôtures Bataille et Clôtures Mariette.
2 – Procédure. Estimant que certains travaux n'avaient pas été exécutés dans les règles de l'art et que d'autres n'avaient pas été réalisés, Mme A et M. D ont assigné la CODAH devant le président du TGI du Havre statuant en référé qui, par une ordonnance, a ordonné une mesure d'expertise, laquelle a été étendue aux sociétés intervenantes par une deuxième ordonnance. L'expert a déposé son rapport en 2018. En septembre 2020, le juge de la mise en l'état du TJ du Havre a rejeté la demande présentée par les intéressés, tendant à la réparation par la CODAH des préjudices subis du fait de l'absence de réalisation ou de la non-réalisation dans les règles de l'art des travaux qu'elle s'était engagée à effectuer, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Par deux réclamations des 17 juin et 14 septembre 2020, Mme A et M. D ont présenté une réclamation préalable auprès de la CULHSM tendant à la réparation de ces mêmes préjudices. Ces réclamations ayant été implicitement rejetées, ils demandaient au tribunal de condamner la CULHSM à leur verser la somme de 73 198,33 euros en réparation du préjudice matériel, des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral qu'ils estiment avoir subis.
3 – Question de droit. Le principal moyen en défense concernait la compétence du juge administratif. La société Eiffage considérait en effet que la requête ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative dès lors qu'elle était fondée sur l'exécution d'un contrat de droit privé qui n'avait pas pour objet l'exécution d'un service public et qui ne comportait pas de clauses exorbitantes du droit commun, et alors même que ce contrat est relatif à l'exécution de travaux publics.
4 – Solution. Le TA rappelle très classiquement que « le contrat par lequel une personne publique cède des biens immobiliers faisant partie de son domaine privé est en principe un contrat de droit privé, sauf si ce contrat a pour objet l'exécution d'un service public ou s'il comporte des clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquent, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs. En outre, lorsqu'une personne privée est liée à une personne publique par un contrat, elle n'a pas d'autre action en responsabilité contre cette personne publique que celle procédant de ce contrat. Dès lors, lorsque ce contrat n'est pas administratif, il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître de cette action en responsabilité ».
Puis il rajoute que « même lorsqu'ils sont exécutés sur une propriété privée et sous réserve qu'ils n'aient pas été effectués par emprise irrégulière, les travaux immobiliers effectués par ou pour une collectivité publique dans un but d'intérêt général présentent le caractère de travaux publics ».
Il ne restait plus qu’au tribunal de faire application de ces règles au cas d’espèce :
· Le bien litigieux faisait partie du domaine privé de la CODAH ;
· Cette vente n'a pas eu pour objet l'exécution d'un service public ;
· La clause mettant à la charge de la CODAH des travaux portant sur le recul de la clôture, la démolition du garage et la reconstitution d'une place de stationnement sur l'emplacement du garage à l'intérieur de la propriété. De plus, elle a bénéficié uniquement à la personne privée contractante et non à la personne publique et n'a pas fait naitre entre les parties des droits et obligations étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d'être consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales. De ce fait, elle n'implique donc pas que, dans l'intérêt général, le contrat relève du régime exorbitant des contrats administratifs.
Ce dont il en résulte que l'action en responsabilité des requérantes procède d'un contrat de droit privé, dont il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître.
MAIS, le TA révèle qu’« il est tout aussi constant que les travaux immobiliers litigieux ont été effectués pour le compte de la CODAH dans le cadre de l'opération, d'intérêt général, de réalisation d'une première ligne de tramways dans la ville du Havre. Dès lors, ces travaux ont le caractère de travaux publics. Par suite, la demande présentée par les requérants tendant à obtenir la réparation des conséquences dommageables résultant de l'exécution ou de l'inexécution de ces travaux relève de la compétence du juge administratif ».
Selon le TA cette question soulevant à la fois des problématiques de droit privé et de droit administratif pose une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, de sorte qu’il y a lieu, en application de l'article 35 du décret du 27 février 2015, de renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence.
Quid de l’attractivité de la notion de travaux publics ?
C. TA de Paris, 16 janvier 2024, n° 2323926 – L’acheteur pour lequel une centrale d’achat conclue un marché public doit être regardé comme un tiers, en ce qui concerne une clause attributive de compétence territoriale
1 – Faits. En l’espèce, la société Philips a été retenue pour fournir des solutions de gestion, d'archivage et de transmission de données et images médicales numériques au centre hospitalier de Mâcon (CH de Mâcon) dans le cadre d'un appel d'offres ouvert passé par le Réseau des Acheteurs Hospitaliers (RESAH) en qualité de centrale d'achat. Par la suite, le centre hospitalier a alerté la société Philips de plusieurs dysfonctionnements relatifs à l'accès aux données numériques stockées.
Par un courrier, le CH de Mâcon a mis en demeure la société Philips de réaliser un audit sur le site du CH de Mâcon afin d'identifier les causes des dysfonctionnements récurrents, d'établir un compte-rendu d'intervention avec définition des actions à mettre en place et de définir un calendrier précis des interventions à accomplir. Ce à quoi, la société Philips a répondu à cette mise en demeure en exposant des solutions alternatives envisageables et, par un autre courrier, a annoncé la livraison d'un serveur tampon dans l'attente de la mise en place d'une solution pérenne.
Par la présente requête, le CH de Mâcon demande au juge des référés d'enjoindre à la société Philips de prendre un certain nombre de mesures qu'elle énumère pour remédier aux problèmes de suppression de données et de stockage.
La défense soulevait l’incompétence du tribunal en raison d’une clause attributive de compétence au profit du tribunal administratif de Paris au sein du cahier des clauses administratives particulières.
2 – Question de droit. La question qui se posait alors était de savoir si cette clause attributive d’incompétence s’appliquait au CH de Mâcon, alors que l’accord cadre litigieux avait été conclu par le Réseau des Acheteurs Hospitaliers (RESAH) en qualité de centrale d'achat.
3 – Solution. Le TA faisant une interprétation stricte de la clause considère que le CH de Mâcon est un tiers au contrat, conclu par la centrale d’achat :
« Si l'article 13.2 du cahier des clauses administratives particulières comporte une clause attributive de compétence au profit du tribunal administratif de Paris ainsi que le permettent les dispositions précitées de l'article R. 312-11 du code de justice administrative, cette stipulation du contrat ne vise que les litiges opposant le titulaire du contrat au RESAH. Or, le requérant, le CH de Mâcon, n'est pas titulaire du contrat mais la société Philips, et le CH a la qualité de tiers à l'accord-cadre. Il s'ensuit que le présent litige ne ressortit pas à la compétence du tribunal administratif de Paris mais du tribunal administratif de Dijon dans le ressort duquel le centre hospitalier est situé »
Dès lors l'exception d'incompétence territoriale opposée par la société Philips doit être retenue et le recours rejeté.
D. TA de Lyon, 16 janvier 2024, req. n° 2311131 – Le français imposé dans un RC n’interdit pas l’utilisation subsidiaire de l’anglais, « langage international »
1 – Faits. En l’espèce, les Hospices civils de Lyon, en leur qualité de coordinateur du groupement de commandes des centres hospitaliers régionaux universitaires et des principaux centres hospitaliers (UniHA), ont lancé un appel d'offres ouvert pour la fourniture de consommables d'impression du groupement UniHA, selon les dispositions des articles L. 2124-2 et R. 2124-2, R. 2161-2 à R. 2161-5 du code de la commande publique. Il était question d'un accord cadre mono-attributaire à bons de commande.
Aux termes de cette consultation, l'offre de la société DYADEM a obtenu la meilleure note et a été classée première pour le lot 1. La société BELTA s'est vu notifier un rejet de son offre.
Dès lors, la société BELTA demande au juge des référés, en référé précontractuel, d’annuler la décision des Hospices civils de Lyon l'informant du rejet de son offre dans le cadre de l'attribution du lot n°1, d'annuler la procédure de publicité et de mise en concurrence suivie par les Hospices civils de Lyon au stade de l'analyse des offres et d'enjoindre aux Hospices civils de Lyon, s'ils entendent poursuivre la procédure d'attribution de ce marché, de reprendre leur procédure de publicité et de mise en concurrence au stade de l'analyse des offres à moins que le manquement retenu ne justifie de prononcer l'annulation de la totalité de la procédure de publicité et de mise en concurrence.
Son principal argument reposait sur le fait que l’article 5.2 du règlement de la consultation imposait aux candidats de remettre les certificats, labels, certifications attestant de la qualité des produits, des matériaux, de la production de l'entreprise. En outre, l'article 5 du même règlement mentionnait que les éléments du dossier de candidature ainsi que les offres des candidats sont entièrement rédigés en langue française et les sommes exprimées en euros.
Or tant la société DYADEM, attributaire du marché, que la requérante, ont joint à leur offre des certificats, labels, certifications, dont certains figuraient sur des documents qui n'étaient pas systématiquement rédigés en français.
2 – Question de droit. La question de droit qui se posait alors était de savoir si lorsqu’un RC impose l’utilisation du français dans les documents de candidature, la moindre utilisation de l’anglais était de nature à rendre la candidature irrégulière.
3 – Solution. Faisant preuve d’une souplesse compréhensive, le TA considère que :
« 5. Il résulte de l'instruction que tant la société DYADEM, attributaire du marché, que la requérante, ont joint à leur offre des certificats, labels, certifications, dont certains figuraient sur des documents qui n'étaient pas systématiquement rédigés en français. Les Hospices civils de Lyon expliquent en défense, que le bordereau unitaire de prix, produit par ces deux candidats, comportait au regard de chaque référence, en fin de ligne, 7 cases correspondant à des normes et labels différents, et que le candidat cochait celles des cases correspondant à son produit. Les HCL ont complété leur explication à l'audience, en ajoutant qu'ils ont vérifié que la norme ou le label coché par le candidat était confirmé par une pièce produite au dossier de candidature. La circonstance que cette pièce était rédigée en langue étrangère n'a pas fait obstacle à cette vérification, car la norme ou le label sont exprimés dans un langage international.
6. Dans ces conditions, et même si le règlement de consultation est obligatoire dans toutes ses mentions, et même si la juge du référé n'a pas eu accès à chacun des documents produits par les candidats, il résulte de l'instruction que la mention des normes ou labels dans des documents rédigés dans une autre langue que le français et non traduits, n'a pas eu pour effet d'empêcher la commission d'appel d'offres de procéder à un examen complet et éclairé du dossier de candidature de la société DYADEM et de modifier le résultat de la sélection » (caractères gras ajoutés)
Il est donc intéressant de noter que le TA souligne que l’anglais étant un langage international, elle permet aux acheteurs de comprendre les pièces rédigées dans cette langue, quand bien même le RC imposait l’utilisation du français.