L'article 89 de la Constitution : une énigme juridique entre positivisme et jusnaturalisme

Publié le 10/04/2012 Vu 8 211 fois 1
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L'article 89 de la Constituion en ne permettant pas une révision de la forme républicaine du gouvernement contraint jusqu'au pouvoir constituant lui-même. La forme constitutionnelle de cette norme est ainsi en contradiction avec sa valeur intrèsinquement supra-constitutionnelle.

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L'article 89 de la Constitution : une énigme juridique entre positivisme et jusnaturalisme

Le dernier alinéa de l’article 89 de la Constitution traitant de sa révision dispose que : « La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision. » Ces quelques mots sont une énigme pour les juristes. Un objet juridique non identifié. Est-ce une obligation ou non ? Est-elle sanctionnée ou ne l’est-elle pas ? Peut-il être modifié ou non ?

 

            Ces interrogations découlent d’une contradiction fondamentale : cet article, de valeur constitutionnelle, ne peut pourtant bénéficier de la protection qui y est habituellement attachée. En d’autres termes, il pose une limite à la révision de la Constitution dont le franchissement ne peut être sanctionné. En considérant le problème à la lumière de la dichotomie traditionnelle entre positivisme et jusnaturalisme, la réalité de cette norme ne peut être comprise. En effet, du point de vue positiviste, elle devrait avoir valeur constitutionnelle et pouvoir donc être modifiée par le pouvoir constituant, la norme ayant la même valeur que le texte qui la véhicule. Or, ce n’est pas le cas. Il est couramment admis que la seule façon de modifier cet article est de s’extraire du cadre de la légalité républicaine, par le biais d’un coup d’Etat notamment. Du point de vue jusnaturaliste, la norme se détache du véhicule constitutionnel et existe indépendamment de sa reconnaissance par un texte de droit positif. Aussi séduisante que soit cette thèse, elle ne permet pas d’expliquer la véritable nature de cette norme. En effet, si elle ne peut être modifiée dans le cadre de la légalité (au sens large) telle qu’elle existe actuellement, elle n’empêche pas à un quelconque pouvoir de s’extraire de ce cadre pour ne pas avoir à le respecter. Il ne s’agit donc pas d’une norme de droit naturel puisque sa valeur dépend de la conjoncture du moment. Si l’opposition traditionnelle en droit entre les deux courants de pensée les plus célèbres ne permet pas de résoudre la question, il faut alors tenter de la dépasser. L’article 89, en conférant à cette norme une valeur supra-constitutionnelle tout en la maintenant dans le champ du droit positif serait alors une incarnation, la seule devrais-je écrire, de la Grundnorm kelsénienne.

 

            L’analyse de cette question selon le prisme de pensée opposant le positivisme juridique au jusnaturalisme se révèle insuffisant à la résoudre (I) et doit être dépassé pour revenir aux fondamentaux de notre ordre juridique normatif (II).

             I – Le positivisme juridique présuppose que la norme contenue dans un texte est parfaitement et pleinement exprimée par le droit positif. Non seulement, il est à l’origine de toute création normative, mais il n’existe aucun droit qu’il ne saisit pas dans une de ses manifestations (loi, Constitution, jurisprudence notamment). En ce sens, la norme n’existe qu’à travers le texte qui l’exprime et en tire sa valeur juridique, dans le cadre conceptuel de la pyramide kelsénienne. Une norme législative, selon les positivistes, a une valeur inférieure à la Constitution. C’est la raison pour laquelle Otto Pfersmann lie la fondamentalité d’un droit à sa reconnaissance par la norme suprême d’un ordre juridique, au fondement de l’ordre juridique. Selon cette doctrine, la norme contenue dans l’article 89 de la Constitution a ainsi une valeur constitutionnelle. Si une loi contraire est déférée devant le Conseil constitutionnel, elle sera abrogée. Toutefois, l’originalité dans ce cas tient à ce qu’une révision constitutionnelle ne peut pas non plus modifier cet élément. En somme, le positivisme juridique ne permet pas d’expliquer cette hiérarchisation normative à l’intérieur d’un même texte de droit positif.

 

            Les jusnaturalistes considèrent quant à eux que la norme est distincte du texte qui n’en est que le véhicule. Le droit naturel préexiste un ordre juridique donné. Le droit positif ne fait que saisir, à un moment donné, une norme de droit naturel qu’il va intégrer dans un ordre juridique précis. Cette norme existait toutefois auparavant et continuera d’exister quel que soit le sort des quelques lignes qui l’expriment. Cette théorie permet de mieux comprendre quelle serait la nature de la norme contenue dans l’article 89 de la Constitution. Toutefois, on ne peut pas considérer non plus qu’il s’agit d’une manifestation du droit naturel puisque le seul moyen de contourner cette norme est de s’extraire de la légalité et de mettre en place un régime d’exception « a-légal ». Les normes de droit naturel sont censées exister quel que soit l’ordre juridique considéré. Or, dans le cas précis du coup d’Etat par exemple, la norme ne produit plus d’obligations dès lors que l’ordre juridique dans lequel elle se comprenait a été renversé. Ce n’est donc pas une norme de droit naturel en ce qu’elle est par essence conjoncturelle. Elle ne s’exprime et ne produit des effets que dans le cadre d’un ordre juridique donné. Elle a toutefois une valeur supérieure à celle des normes habituellement traduites dans la Constitution.

 

            II – Dans sa Théorie pure du droit, Hans Kelsen écrit que « toutes les normes dont la validité peut être rapportée à une seule et même norme fondamentale (Grundnorm) forment un système de normes, un ordre normatif. La norme fondamentale est la source commune de la validité de toutes les normes qui appartiennent à un seul et même ordre ; elle est le fondement commun de leur validité » (H. Kelsen, Théorie pure du droit, 1ère ed. publiée en langue allemande en 1934, p. 194). Ainsi, selon le juriste autrichien, la Grundnorm est au fondement de l’ordre juridique. Son rôle est de décliner les conditions de validité des normes qui lui sont inférieures au sein de l’ordre juridique dont elle constitue tout à la fois la base et le sommet. Toutefois, elle sa valeur ne découle pas de la fondamentalité de son contenu, mais de ce qu’elle élabore un mode de formation des normes qui se doit d’être respecté. Ainsi, Kelsen n’établit aucune hiérarchie matérielle des normes et se contente de hiérarchiser la procédure conduisant à leur élaboration.

 

            Le problème de la nature de l’article 89 de la Constitution se pose différemment. Il ne s’agit pas de considérer la valeur fondamentale d’un mode d’élaboration des normes, mais bien de proposer une hiérarchisation du contenu du texte suprême de notre ordre juridique. Toutefois, si la valeur fondamentale de la « forme républicaine du Gouvernement » est incluse dans la Constitution formelle, elle lui est supérieure de par l’impossibilité pour le pouvoir constituant de la réviser. Cette fondamentalité dépasse le texte constitutionnel sans pour autant, nous l’avons vu, pouvoir être regardée comme du droit naturel. Il s’agit donc d’un élément fondamental de notre ordre juridique, qui sous-tend tout le reste et qui ne se réduit pas à la Constitution. C’est donc une Grundnorm matérielle et non plus seulement procédurale qui se dessine au sein de notre texte constitutionnel.

L’article 89 de la Constitution prouve ainsi qu’une hiérarchie matérielle au sein d’un même texte existe mais aussi que la norme fondamentale kelsénienne ne concerne pas uniquement le mode d’élaboration de la norme. Cette pensée relativise l’idéal démocratique des lumières (puisque le pouvoir constituant a trouvé son maître sans que l’on sache exactement de quoi il est constitué) et attise la crainte compréhensible d’un universalisme juridique.

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1 Publié par Visiteur
10/04/2012 18:39

Très intéressant !

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