Pour le port de la robe par les juges administratifs

Publié le Modifié le 30/01/2012 Vu 10 545 fois 2
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Aujourd'hui, les magistrats administratifs ne portent pas de robe judiciaire. Afin de donner une autorité symbolique à la juridiction administrative, il serait préférable que ce soit le cas.

Aujourd'hui, les magistrats administratifs ne portent pas de robe judiciaire. Afin de donner une autorité sym

Pour le port de la robe par les juges administratifs

« Justice must not only be done, it must be seen to be done ». C’est en ces termes que Lord Henry, un magistrat anglais, a définit la théorie de l’apparence en droit. La question du port de la robe judiciaire par les magistrats administratifs pose, une fois encore, le même problème. 

 

Costume sombre et air lugubre, aucune solennité n’entoure l’entrée des magistrats administratifs dans la salle d’audience, si ce n’est l’annonce faite par l’agent de greffe : « Le tribunal ! ». Ici, pas de robe, symbole du juge judiciaire. En droit administratif, le juge de l’administration est aussi son conseiller, fondement de l’originalité publiciste. Le costume est le symbole de cette dualité, aussi vieille que le recueil Lebon. 

 

Pourtant, cette tradition est de plus en plus contestée par les jeunes magistrats. Ils pensent que la fonction de juge doit être mise en avant sur celle de conseiller. Ce symbole d’indépendance est une des manières d’y parvenir. Théoriquement d’abord, le droit administratif devient de plus en plus subjectif. Il s’agit désormais moins de contrôler la légalité objective d’un acte, détachée du cas particulier au cours duquel elle a été soulevée, mais de prendre en compte les droits du requérant. Sa place est donc accrue, il devient le véritable coeur de la justice administrative. Le requérant n’ayant pas de notions juridiques, en principe, il ne peut se rattacher qu’à ce qui est immédiatement visible pour se construire une image de la justice. En ce sens, la symbolique du procès doit être repensée à l’aune de cette subjectivisation du droit administratif. Plus prosaïquement ensuite, cela rendrait plus clair le rôle et la place des magistrats administratifs au sein de l’administration, toujours aux yeux des requérants. Encore un service de la préfecture, une nouvelle administration opaque, un bureau d’enregistrement des plaintes, le tribunal est perçu de nombreuses façons, mais rarement comme un véritable juge indépendant. C’est cet enjeu qui constitue l’essence de la polémique sur le port de la robe par les magistrats administratifs. 

 

Cette question est sous-tendue par celle de la place du requérant dans la justice administrative. Elle ne peut être comprise sans parler du mouvement de subjectivisation du droit public (I), mais ne doit pas pour autant faire l’impasse sur la pratique du procès administratif (II). 

 

I - Depuis un siècle, le droit administratif n’a eu de cesse de se rapprocher des requérants (A). Le port de la robe doit être le symbole de cette transformation (B). 

 

A. Initialement, le rôle du juge administratif était principalement de contrôler la validité d’un acte au regard de la légalité objective issue du droit positif. Il en est ainsi du recours pour excès de pouvoir. Ici, la légalité de l’acte est examinée à la date de la prise de décision. La situation juridique du requérant dans ses évolutions postérieures à cette décision ne doit pas être prise en considération par le magistrat. On le comprend aisément, la finalité est de ne pas substituer le juge à l’administrateur. Il lui est interdit de réformer l’acte et il doit se contenter de l’annuler ou de rejeter le recours. Certes, le plein contentieux, dans lequel la légalité subjective est examinée est également ancien (TC, 1873, Blanco par exemple), mais il était relativement limité. 

 

Pourtant, ce recours de plein contentieux n’a cessé de se développer et de s’étendre au cours du XXe siècle. Le droit de la responsabilité administrative s’est développé, toujours dans le sens d’une meilleure indemnisation de la victime. Par ailleurs, certains contentieux se situent véritablement dans un espace indéterminé dépassant la traditionnelle typologie des recours. Au bout du compte, le requérant devient le véritable pivot de la justice administrative. Ce mouvement a été accentué avec la loi de 1995 offrant la possibilité au magistrat de prononcer des injonctions à l’encontre de l’administration. C’est ainsi qu’en droit des étrangers, si le magistrat est dans l’impossibilité de se substituer au préfet afin d’accorder directement un titre de séjour au requérant, il peut ordonner à l’autorité administrative de le faire, injonction éventuellement assortie d’une astreinte. C’est donc bien un rapprochement de ces deux recours qui se confirme (sur ces questions, cf. D. Botteghi et A. Lallet, «Le plein contentieux et ses faux-semblants», AJDA 2011 p. 156). 

 

B. Cette subjectivisation s’accompagne naturellement d’une prégnance de plus en plus importante de la théorie des apparences en droit administratif. Ce qui importe est que la justice soit rendue suivant une certaine symbolique qui vise à rendre visible par le non-juriste ce qui est évident pour l’expert. Les requérants doivent avoir le sentiment que la justice est rendue de façon neutre et pour cela, la symbolique du procès doit être repensée. C’est la logique qui a guidé, à la suite de la décision Kress contre France (CEDH, 7 juin 2001, req. n°3959/98, Kress contre France), les évolutions du rôle du rapporteur public devant les juridictions administratives et notamment l’interdiction qui lui est faite de participer au délibéré (interdiction absolue quant à la procédure applicable devant les juges du fond et relative devant le Conseil d’Etat). A cet égard, Antoine Garapon a bien montré quelle était l’importance de la symbolique du procès et en quoi elle participait à l’oeuvre de justice et à sa légitimation (cf. Antoine Garapon, Bien juger, Paris ed. Odile Jacob, 1997). 

 

La subjectivisation du droit administratif associée à l’importance croissante de la symbolique dans l’acceptation des décisions de justice conduit à considérer le port de la robe comme un élément désormais incontournable. Il est important que les requérants soient à la fois rassurés et intimidés en pénétrant dans la salle d’audience et que les magistrats soient confortés dans leur rôle de juge, avant de l’être dans celui de conseiller. La justice administrative se situe à un tournant de son histoire. Si elle n’évolue pas dans le sens d’une plus grande légitimation de ses décision aux yeux des requérants, les critiques questionnant son impartialité risquent d’avoir raison de son maintien. Il paraît donc important aujourd’hui de repenser les apparences du procès administratif en permettant aux magistrats de porter une robe, différente de celle portée par les magistrats de l’ordre judiciaire, afin d’asseoir leur autorité aux yeux de tous les justiciables. 

 

Cette question, loin de se réduire à ses aspects théoriques, comprend aussi des éléments pratiques qu’il convient d’analyser. 

 

II - Il est ainsi important d’élever le tribunal administratif au rang d’administration indépendante (A) et de faciliter la compréhension du requérant (B). 

 

A. Le port de la robe permettrait dans un premier temps de distinguer le tribunal administratif des administrations ordinaires. Il est évident, pour un juriste, que le tribunal administratif rend des décisions de justice, susceptible de recours en appel ou cassation, alors que les administrations ordinaires édictent des décisions administratives susceptibles de recours devant le tribunal de premier ressort. Pour un justiciable ordinaire, les subtilités juridiques sont moins aisément comprises. Dans la logique qui est la nôtre de préférer à une justice d’expert la prévalence de l’apparence au service du justiciable, il convient de rappeler par ce biais la différence de degré entre le tribunal administratif et le reste de l’administration. 

 

Dans une logique sensiblement différente, il importe de distinguer le tribunal administratif des autorités administratives indépendantes. En effet, son orginalité ne provient pas seulement de son indépendance. Certains auteurs, avec René Chapus, ont pu penser que la spécificité du tribunal réside dans la procédure qui entoure ses décisions. Il semble qu’il faille aller plus loin en considérant qu’elle se trouve dans la procédure qui lui est propre, certes, mais aussi dans le sentiment qu’ont les justiciables de se trouver devant un tribunal. En effet, la justice n’a de force que parce qu’elle est perçue comme légitime par les parties au procès qui, ainsi, accepte la décision et son autorité. C’est le fondement démocratique même du pouvoir judiciaire. Il est donc important de matérialiser l’autorité des décisions par des aspects concrets qui se manifestent lors du procès public. La compréhension de la procédure par les requérants s’en trouverait facilitée. 

 

B. Dans une majorité de contentieux d’excès de pouvoir, le ministère d’avocat est facultatif. Or, deux exigences rendent cette règle dangereuse pour le justiciable : l’interdiction pour le magistrat de juger ultra petita et l’obligation faite au requérant d’apporter la preuve de ses allégations. C’est ainsi que parfois, notamment en contentieux du logement opposable, le requérant ne joint aucune pièce au dossier et ce parce que les ayant transmises à la préfecture, il suppose que celle-ci les aura fournies au tribunal, les deux autorités étant parties du même ensemble administratif. Le juge, dans ce cas, ne peut ni soulever un moyen oublié par le requérant, ni lui donner raison, celui-ci n’ayant pas prouvé ses allégations. Il semble que le port de la robe, s’il n’est qu’un élément du problème, contribuerait à aider les parties à mieux distinguer le tribunal de la préfecture, dans ce cas précis. 

 

Dans certaines requêtes de droit au logement opposable, le requérant met directement en cause le tribunal du refus qui lui a été opposé de se voir reconnaître comme prioritaire et devant être logé ou hébergé d’urgence. Il suppose que la commission de médiation départementale et le tribunal administratif ne font qu’un. Le danger fondamental est qu'il ait l’impression de ne pouvoir exercer de recours que devant l’autorité qui a initialement rejeté sa demande. Il pensera alors se trouver dans un système administratif kafkaïen, incompréhensible et insaisissable, dont il est la victime et dans lequel la justice administrative n’est qu’une chimère au service de l’administration. 

 

Finalement, c’est parce que je crois en la justice administrative et en son utilité essentielle, parce que je souhaite qu’elle soit connue et reconnue, que je défends ici le port de la robe par les magistrats. Il ne s’agit, certes, que d’un élément du procès parmi d’autres, mais certainement doté d’une charge symbolique qui ne doit pas être minimisée. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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1 Publié par Visiteur
10/04/2012 11:13

Je suis tout à fait d'accord ! Et je reprendrai certains de tes arguments si la question m'est posée à l'oral du concours (ils aiment bien ce genre de questions)

2 Publié par Bazil de bomarchais
19/02/2020 11:28

En somme, l'habit fait le moine !

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