Le règlement sur le bois de l’Union européenne(RBUE) : un instrument de lutte contre le bois illégal
Par IBANDA KABAKA Paulin, Doctorant en Droit public économique, financier et fiscal
Mail : ibandapaulin@yahoo.fr
Dans le cadre des initiatives tendant à lutter contre le commerce du bois d’origine illégale à travers le monde, l’Union européenne a édicté une législation depuis quelques années qui grâce à des diligences raisonnées, permet à contrôler l’origine légale du bois commercialisé sur son espace territorial.
Ainsi, nous allons voir en quoi consiste cette législation européenne (I) et tenter de savoir si cela constitue-t-il une panacée mondiale (II).
I. Le RBUE, une législation de lutte contre le bois illégal
A. Qu’entend-t-on par bois illégal
Il n'existe pas de définition universelle du bois illégal, et il n'y a aucune réglementation universelle en ce qui concerne la récolte du bois. Chaque pays a ses propres règlements spécifiques ainsi que son propre régime forestier et fiscal en ce qui concerne la récolte et l'exportation du bois ainsi que ses produits dérivés. Par conséquent, et de façon générale, le bois illégal est le bois qui a été récolté sans considération de la législation nationale applicable. La définition de la Réglementation sur le bois de l'Union Européenne circonscrit cette notion en son Art. 2 H (du règlement de l'UE 995/2010/EC) en se référant aux aspects suivants :■ L'autorisation de récolter du bois dans les zones légalement déclarées;■ Le paiement des droits de récolte y compris les droits liés à la récolte du bois;■ La législation environnementale et forestière, y compris la gestion des forêts et la conservation de la biodiversité lorsqu'ils sont reliés directement à la récolte du bois;■ Les droits juridiques des tiers (populations riveraines et autochtones) concernant l'utilisation et l'ancienneté qui sont affectés à la récolte du bois, et ■ Le paiement des droits de douanes lors de l’exportation.
L'expression « produits dérivés de l'exploitation illicite du bois» renvoie aux objets fabriqués à partir de matériaux en bois qui ont été récoltés en violation des lois locales applicables.
Le Règlement sur le bois de l’Union européenne a défini une première liste des produits concernés par le règlement (voir annexe du règlement sur le bois de l'Union Européenne).
B. Le RBUE : aspects juridiques et opérationnels
De prime abord, il convient de relever que le Règlement sur le bois de l’Union européenne ne crée pas de nouvelle procédure douanière. Cela implique que la traçabilité du bois légal n’est pas contrôlée aux frontières de l’Union européenne. Par ailleurs, ce règlement s’applique également même au bois d’origine européenne. Ce règlement édicté en 2010 est entré en application le 3 mars 2013. A compter de cette date, les opérateurs qui mettent en marché du bois ou des produits dérivés sur le marché de l’UE doivent avoir mis en place un système de diligence raisonnée. Ils pourront être contrôlés, a posteriori, et devront être en capacité de présenter leurs procédures de diligence raisonnée, sous peine de sanctions pénales et administratives définies dans l’article 76 de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt en France.
Le Règlement sur le Bois de l’Union Européenne (RBUE) vise à écarter du marché communautaire le bois et les produits dérivés issus d’une récolte illégale. Ce deuxième volet du plan d’action FLEGT qui fixe des obligations aux opérateurs mettant du bois et des produits dérivés sur le marché, agit sur la demande européenne et vise à interdire au bois illégal et aux produits qui en sont dérivés l’accès au territoire européen.
Il cible le secteur privé en Europe et fixe :
- Une obligation de résultat : « la mise sur le marché de bois issu d’une récolte illégale ou de produits dérivés issus de ce bois est interdite. »
- Une obligation de moyens pour les premiers metteurs en marché : les opérateurs doivent "faire diligence" lorsqu’ils commercialisent pour la première fois sur le marché européen du bois ou des produits dérivés ; c’est-à-dire qu’ils doivent prendre toutes les précautions possibles pour éviter de commercialiser du bois issu d’une récolte illégale ou un produit dérivé de ce bois grâce à l’utilisation d’un système de diligence raisonnée.
- Une obligation de traçabilité minimale pour les commerçants qui doivent pouvoir identifier leur(s) fournisseur(s) et leurs acheteurs (à l’exception des particuliers).
La Commission Européenne, en lien avec les autorités compétentes des États Membres a élaboré des lignes directrices, pour faciliter la compréhension et la mise en place du RBUE par les acteurs économiques. Elle a, à cet effet, édicté des règles concernant les systèmes de diligence raisonnée et d'agrément des organismes de contrôle.
S'agissant des opérateurs concernés par le RBUE, ce sont tous les metteurs en marché qui sont des personnes physiques ou morales qui commercialisent du bois ou des produits dérivés pour la première fois sur le marché de l’UE. Cela correspond aux importateurs ainsi qu’aux exploitants forestiers pour le bois récolté sur le territoire de l’UE. C’est à eux que s’impose l’obligation de diligence raisonnée. Un commerçant, au titre du RBUE, est une personne physique ou morale qui vend ou achète du bois ou des produits dérivés, déjà mis en marché sur le territoire de l’UE par un opérateur. Ils doivent se conformer à l’obligation de traçabilité minimale.
Il convient de relever que la plupart des produits contenant du bois sont concernés par le règlement, à l’exception des produits d’édition (livres, journaux, revues, etc.)
Notons que la diligence raisonnée consiste en « un système de mesures et procédures pour réduire le plus possible le risque de mise sur le marché intérieur de bois issu d’une récolte illégale et de produits dérivés provenant de ce bois ».Les opérateurs doivent faire preuve de diligence raisonnée lorsqu’ils mettent du bois ou des produits dérivés en marché, c’est-à-dire qu’ils sont tenus de :
Collecter puis conserver les informations concernant le bois ou les produits dérivés mis sur le marché par l’opérateur :- le nom commercial et le type de produit ainsi que le nom commun de l’essence forestière et, le cas échéant, son nom scientifique complet ;- le pays de récolte, et si possible la région de récolte et la concession ,la quantité ;- le nom et l’adresse du fournisseur ;- le nom et l’adresse du client ;- les documents et autres informations indiquant que le bois ou les produits dérivés sont issus d’une récolte légale c'est-à-dire que son exploitation et sa commercialisation ont n'ont pas violé la réglementation nationale en vigueur dans le pays de provenance.
A partir de ces informations, réaliser une évaluation du risque afin de garantir que le produit qu’ils désirent mettre en marché ne contient pas du bois issu d’une récolte illégale.
Si le risque identifié n’est pas négligeable, prendre des mesures adaptées pour réduire ce risque au maximum et ainsi éviter de mettre du bois illégal en marché. C'est ce qu'on appelle l'atténuation du risque.
Tous les documents attestant de l’utilisation d’un système de diligence raisonnée (collecte des informations, mise en œuvre de mesures d’atténuation du risque) doivent être conservés pendant cinq ans dans des registres appropriés et tenus à disposition en cas de contrôle.
Les opérateurs ont la possibilité de mettre au point leur propre système de diligence raisonnée ou d’utiliser un système élaboré par une organisation de contrôle.
Les autorisations FLEGT, délivrées par les autorités des pays signataires d’un accord de partenariat volontaire avec l’UE (cf. règlement CE N° 2173/2005), ainsi que les permis CITES ,sont reconnues comme des garanties de légalité par le RBUE. La mise en œuvre de la procédure décrite ici n’est donc pas nécessaire lors de la mise en marché de bois ou de produits bois couverts par une autorisation FLEGT. Par principe, les mesures d’atténuation doivent être en proportion du risque : sauf risque fort, le RBUE n’impose pas d’avoir une traçabilité totale et exhaustive. Si l’analyse de risque à l’échelle du pays de récolte permet de conclure que le risque de récolte illégale est négligeable, il n’est pas nécessaire de recueillir des informations supplémentaires sur la région infranationale ou la concession de récolte. Le RBUE n’exige pas de recueillir tous les documents pour chaque expédition de bois ou de produits dérivés : il est obligatoire d’avoir des mesures et des procédures en place donnant accès aux informations concernant les produits mis en marché pour chaque chargement, mais, pour un même fournisseur, il est suffisant de maintenir les informations et les documents nécessaires à jour sur une base annuelle (12 mois maximum), à condition que les essences forestières et le lieu de récolte demeurent inchangés.
Pour le bois acheté en France, le Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation et de la Forêt vo propose de remplir une attestation, à annexer au contrat de vente, pour s'assurer de la légalité de l'approvisionnement.
Quant au contrôle, il sied de dire que les opérateurs qui mettent sur le marché du bois ou des produits dérivés peuvent utiliser leur propre système de diligence raisonnée ou avoir recours à un système de diligence raisonnée fourni par une organisation de contrôle : entité qui met en place un système de diligence raisonnée et vérifie son bon usage par les opérateurs.
Les critères et procédures de reconnaissance sont fixés au niveau européen. Les organisations candidates au rôle d’organisation de contrôle doivent déposer un dossier de candidature auprès de la Commission européenne.
II. Le RBUE, une panacée mondiale ?
A. Le RBUE comme initiative mondiale vertueuse
L’exploitation illégale des forêts – la récolte de bois illégale en vertu des lois ou des réglementations du pays de récolte – a une incidence négative considérable sur l’économie, l’environnement et la société pour certaines des forêts les plus précieuses qui subsistent dans le monde et pour les communautés qui en dépendent. Ce phénomène entraîne une perte de revenus, sape les efforts d’opérateurs légitimes et est associé à la déforestation, à la perte de biodiversité et à l’émission de gaz à effet de serre, ainsi qu’à des affrontements pour l’exploitation des terres et des ressources et à la perte d’autonomie des communautés autochtones.
La déforestation et l’exploitation illégale des forêts sont des problèmes mondiaux depuis des années. Leur impact environnemental, social et économique s’intensifie et devient de plus en plus négatif. Selon les estimations de la Banque mondiale, l'exploitation illégale du bois serait évaluée aux environs de 150 à 200 milliards des dollars américains et concurrencerait l'exploitation légale. C'est pour juguler ce fléau que l’Union Européenne, les USA (Lacey Act de 2008) et l’Australie (Illegal Logging Prohibition Act de 2012 appliqué depuis le 30 novembre 2014) ont décidé de mettre en place de nouvelles réglementations visant à interdire les produits bois illégaux de leurs marchés. Ces nouvelles réglementations soumettent tous les acteurs de la filière à l’obligation légale de s’assurer et de démontrer, au minimum, que les produits utilisés ont été prélevés en conformité avec la réglementation du pays d’origine. C'est une question d'équité fiscale. Les entreprises qui ne pourront pas se conformer à ces pratiques et prouver l’origine légale de leurs produits bois encourent le risque de ne pas pouvoir accéder aux marchés à l’exportation et des sanctions pénales.
Afin de lutter contre l’exploitation illégale des forêts dans le monde entier, le règlement de l’UE dans le domaine du bois interdit la mise sur le marché de l’UE de bois récolté illégalement et de produits dérivés. Le règlement répartit les personnes actives dans le domaine du bois et des produits dérivés dans deux catégories: les opérateurs et les commerçants. Chaque catégorie est soumise à des obligations différentes.
Les opérateurs, que le règlement définit comme les personnes qui mettent pour la première fois du bois ou des produits dérivés sur le marché de l’UE, sont tenus de faire preuve de diligence raisonnée. D’autre part, les commerçants, que le règlement définit comme les personnes qui achètent ou vendent du bois ou des produits dérivés déjà mis sur le marché de l’UE, doivent identifier leurs fournisseurs et leurs clients afin de garantir une traçabilité aisée du bois.
A côté de l’Union Européenne, nous venons de voir que les Etats-Unis et l’Australie ont également mis en place une réglementation tendant à lutter contre le commerce du bois illégal.
Cela ne suffit pas car plusieurs grands pays consommateurs du bois mondial notamment la Chine et l’Inde qui ont augmenté leurs importations surtout en provenance des pays forestiers africains sont loin de discriminer le bois d’origine illégale. Ceci fait que l’exploitation illégale du bois continuera encore prospérer dans plusieurs régions du monde.
Dès lors, il serait intéressant d’inclure cette question de la légalité du bois dans le cadre des négociations commerciales internationales au sein de l’OMC de telle sorte que les pays qui importent du bois illégal soient exposés à des sanctions commerciales lors de leur exportation de tous produits dérivés contenant du bois vers des pays vertueux appliquant un contrôle strict sur la traçabilité du bois. Cela incitera les pays peu regardant à suivre l’exemple européen.
B. Le RBUE va-t-il moraliser le commerce mondial du bois ?
Le RBUE, tout comme les autres législations des pays anglosaxons évoquées supra, sont des instruments juridiques de nature à entraîner de l'émulation sur la voie de la lutte contre le bois illégal à travers le monde. Ceci passera par des pressions à exercer à l'endroit des grands pays producteurs, consommateurs et importateurs du bois notamment le Canada, les pays scandinaves, la Russie et les deux géants de l'Asie (la Chine, l'Inde) dans le cadre des organisations internationales s'occupant des questions économiques et forestières (Organisation mondiale du Commerce, FAO, CNUCED,etc.) afin que ces pays mettent aussi en place un cadre légal de lutte contre la commercialisation du bois d'origine illégale.
Par ailleurs, il va aussi falloir de la volonté politique, de la bonne gouvernance dans la gestion des ressources naturelles forestières ainsi que de la détermination des dirigeants des Etats forestiers pour mettre fin à l’exploitation illégale du bois ainsi que des forêts. Surtout dans les Etats forestiers africains où l’exploitation illégale des forêts est très répandue, il est important de renforcer le contrôle étatique sur les concessions forestières en vérifiant le respect des cahiers des charges, la matérialisation de l’aménagement forestier, la régularité en matière fiscale et douanière ainsi que la promotion des droits des populations riveraines (droits d’usage ou respect des droits des populations autochtones des forêts à l’instar des Pygmées dans le Bassin du Congo). Par ailleurs pour minimiser les risques d’exploitation illégale du bois, il est impérieux d’exiger à tous les exploitants forestiers de passer par une procédure de certification forestière.