L'État enfin prêt à légiférer (et à taxer) les jeux d'argent en ligne ?

Publié le 03/09/2025 Vu 105 fois 0
Légavox

9 rue Léopold Sédar Senghor

14460 Colombelles

02.61.53.08.01

Un amendement, déposé dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026, propose de mettre fin à une exception française : l'interdiction des jeux de casino en ligne.

Un amendement, déposé dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026, propose de mettre fin à une exc

L'État enfin prêt à légiférer (et à taxer) les jeux d'argent en ligne ?

Une véritable révolution se prépare dans le paysage français des jeux d'argent. Un amendement, déposé dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026, propose de mettre fin à une exception française : l'interdiction des jeux de casino en ligne.

Quinze ans après l'ouverture à la concurrence des paris sportifs et du poker par la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010, l'exécutif semble déterminé à ouvrir ce dernier segment, jusqu'ici jugé trop addictogène. Poussé par un pragmatisme budgétaire et la volonté de contrôler un marché illégal hors de contrôle, l'État s'apprête à légiférer.

 

Le contenu de l'amendement : un cadre fiscal et réglementaire à construire

 

L'amendement déposé par le gouvernement est direct : il a pour objet "d’autoriser et d’ouvrir à la concurrence le marché des jeux de casino pratiqués en ligne". Il s'agit donc d'autoriser les machines à sous, la roulette, le blackjack et tous les jeux de table sur des sites internet qui obtiendraient un agrément de l'État.

L'exécutif justifie cette volte-face par la nécessité de reprendre le contrôle sur un marché illégal florissant. Ce dernier prospère grâce à des stratégies marketing très agressives, hors de tout contrôle, qui promettent par exemple le meilleur bonus casino sans dépôt pour attirer des joueurs vulnérables. L'idée est de substituer à cette offre opaque une offre légale, contrôlée et fiscalisée. Pour ce faire, l'amendement pose une première pierre fiscale : un prélèvement sur le Produit Brut des Jeux (PBJ) des opérateurs, fixé à 55,6 %. Ce taux, particulièrement élevé, est calqué sur celui que la FDJ applique pour ses activités de loterie en ligne.

Sur le plan juridique, le texte recourt à la technique de l'ordonnance. Cela signifie que le Parlement voterait sur le principe de la légalisation et sur le cadre fiscal, mais autoriserait le gouvernement à définir ultérieurement, par voie d'ordonnance, toutes les modalités réglementaires. Ces dernières incluront les conditions d'obtention des licences, les obligations des opérateurs et, surtout, l'élargissement des pouvoirs de l'Autorité Nationale des Jeux (ANJ), dont les missions sont définies par le Code de la sécurité intérieure.

 

Les justifications de l'exécutif : pragmatisme budgétaire et santé publique

 

La motivation du gouvernement est double. La première est d'ordre budgétaire. Une étude récente du cabinet PwC pour l'ANJ estime que le PBJ du marché illégal en France se situe dans une fourchette entre 900 millions et 1,7 milliard d'euros par an, dont plus de la moitié provient des casinos en ligne. L'application d'une taxe de 55,6 % sur un marché légal qui capterait ne serait-ce que la moitié de cette manne pourrait générer entre 250 et 470 millions d'euros de recettes fiscales annuelles pour l'État.

La seconde justification, plus controversée, relève de la santé publique. Le discours officiel soutient qu'un marché régulé protège mieux les joueurs. Un opérateur agréé par l'ANJ a l'obligation légale de proposer des outils de modération (limites de mise, de temps de jeu) et de permettre l'auto-exclusion du joueur. Il doit également respecter des règles strictes en matière de publicité. L'objectif est donc de canaliser les 3 à 4 millions de joueurs français qui fréquentent les sites illégaux vers un environnement contrôlé, conforme aux exigences du Code de la santé publique.

 

Une opposition multiple : les arguments contre la légalisation

 

Cette proposition de loi est loin de faire l'unanimité et suscite une levée de boucliers de plusieurs acteurs.

  1. Les casinos terrestres : le syndicat Casinos de France est vent debout contre le projet. Il estime que l'ouverture du marché en ligne cannibaliserait de 20 à 30 % de l'activité des 203 casinos physiques, qui sont des acteurs économiques majeurs pour de nombreuses communes. Le syndicat brandit la menace de la suppression de près de 15 000 emplois directs et indirects et de la fermeture d'un tiers de ses établissements.

  2. Les associations de lutte contre l'addiction : des organismes comme Addictions France alertent sur le risque addictif majeur des jeux de casino en ligne. Ils soulignent que la disponibilité 24/7, le jeu solitaire et la vitesse des tirages des machines à sous en ligne augmentent considérablement le risque de jeu pathologique, bien plus que dans un casino physique où un certain contrôle social s'exerce.

  3. La prudence de l'ANJ : le régulateur lui-même n'a jamais milité pour cette ouverture. L'ANJ rappelle que la légalisation n'est pas une solution miracle contre l'offre illégale. L'exemple de la Belgique, où une partie significative du trafic reste sur des sites illégaux malgré un marché très ouvert, est souvent cité pour tempérer l'optimisme du gouvernement.

 

L'avenir de la régulation : quels pouvoirs pour l'ANJ ?

 

Si la loi est votée, elle placera l'ANJ devant un défi immense. L'autorité devra se doter de nouveaux moyens pour contrôler un segment de jeu techniquement complexe et à haut risque. Les enjeux seront multiples :

  • Contrôler l'équité des jeux : l'ANJ devra auditer et certifier les algorithmes des opérateurs (les "RNG" ou Générateurs de Nombres Aléatoires) pour garantir que les taux de retour aux joueurs sont conformes et que les jeux ne sont pas truqués.

  • Encadrer la publicité : il faudra définir des règles très strictes pour éviter un déferlement publicitaire qui banaliserait la pratique et ciblerait les plus jeunes.

  • Lutter contre le blanchiment : les flux financiers des casinos en ligne devront faire l'objet d'une surveillance accrue en collaboration avec TRACFIN.

La France est à un point de bascule. La légalisation des casinos en ligne représente une opportunité fiscale évidente et une tentative de reprendre le contrôle sur une zone de non-droit.

Cependant, elle ouvre la porte à des risques sociétaux et sanitaires sérieux, tout en menaçant un pan entier de l'économie du divertissement physique. Le vote de l'amendement ne sera que le début d'un long processus. Le véritable test résidera dans la capacité de l'État à construire, via l'ordonnance, un cadre réglementaire qui soit suffisamment strict pour protéger les joueurs, sans pour autant rendre l'offre légale si contraignante que les sites illégaux conserveraient leur attrait.

Vous avez une question ?

Posez gratuitement toutes vos questions sur notre forum juridique. Nos bénévoles vous répondent directement en ligne.

Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux et sur nos applications mobiles