Le juriste, qu'il exerce en cabinet ou en entreprise, a longtemps été perçu comme un expert technique, un puriste du droit dont la valeur résidait dans sa seule maîtrise des textes. Cette vision est aujourd'hui révolue.
Confrontés à des organisations plus complexes, à des exigences de rentabilité accrues et à un rôle qui se déplace du conseil réactif au partenariat stratégique, les professionnels du droit doivent désormais ajouter une nouvelle corde à leur arc : le management. Loin d'être un simple plus, cette compétence devient une condition sine qua non de l'évolution de carrière. Cet article se propose d'analyser les ressorts de cette mutation et les formes qu'elle revêt.
La fin du juriste-sachant : l'émergence du juriste-partenaire
La première raison de cette évolution est le changement des attentes des clients et des directions générales. On ne demande plus seulement à un juriste si un projet est légal, mais comment le rendre possible. Le juriste doit désormais comprendre les enjeux financiers, commerciaux et opérationnels de l'entreprise pour proposer des solutions juridiques qui soient de véritables leviers de performance. Cette attente a conduit à une valorisation des doubles cursus. Il n'est plus rare qu'une école parisienne spécialisée en management propose des programmes conjoints avec des facultés de droit pour former ces profils hybrides dès le cursus initial.
Selon une étude récente de l'Association Française des Juristes d'Entreprise (AFJE), plus de 60 % des directeurs juridiques estiment que la compréhension des enjeux business est la compétence non-juridique la plus importante pour leurs équipes. Ce chiffre illustre un basculement : le droit n'est plus une fonction support, mais une fonction intégrée à la stratégie de l'entreprise.
Exemple concret : lors d'un projet d'acquisition, le juriste-manager ne se contente pas de rédiger la documentation juridique. Il participe à l'évaluation des risques, analyse l'impact financier des garanties d'actif et de passif et coordonne les différents intervenants (auditeurs, banquiers, fiscalistes) comme le ferait un chef de projet.
Les piliers de la compétence managériale pour les juristes
Le terme « management » recouvre plusieurs compétences distinctes mais complémentaires que le juriste moderne doit acquérir.
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La gestion de projet : les dossiers complexes, comme les contentieux de masse, les opérations de fusion-acquisition ou les programmes de mise en conformité (par exemple, au titre du Règlement Général sur la Protection des Données, RGPD), sont de véritables projets. Le juriste doit savoir les piloter, c'est-à-dire définir un budget, établir un calendrier, répartir les tâches et mesurer les résultats.
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La gestion financière : le directeur juridique est aujourd'hui un gestionnaire de centre de profit. Il doit élaborer et suivre le budget de sa direction, optimiser les dépenses (notamment les honoraires des cabinets d'avocats) et démontrer le retour sur investissement de ses actions. La capacité à lire un bilan ou un compte de résultat est devenue indispensable. Une enquête du Cercle Montesquieu a révélé que la gestion budgétaire occupe près de 20 % du temps des directeurs juridiques des grandes entreprises.
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Le management humain : avec la croissance des directions juridiques et des équipes en cabinet, le juriste qui évolue vers des postes à responsabilité devient un manager. Il doit recruter, former, évaluer et motiver ses collaborateurs. Cela exige des compétences interpersonnelles, une capacité à gérer les conflits et à développer les talents de son équipe.
Un impact direct sur les carrières et la rémunération
L'acquisition de ces compétences a un effet très concret sur l'évolution professionnelle. Un juriste qui démontre une appétence pour le management verra sa carrière progresser plus rapidement vers des postes de direction. La distinction est de plus en plus nette entre les "experts", qui restent sur des fonctions de production juridique de haut niveau, et les "managers", qui accèdent à des postes de direction.
Cette double compétence se reflète également dans la rémunération. Selon les grilles de salaires des cabinets de recrutement spécialisés, un directeur juridique qui siège au comité de direction de son entreprise (une position qui exige des compétences managériales et stratégiques avérées) peut espérer une rémunération supérieure de 15 à 30 % à celle d'un directeur juridique qui a un rôle purement technique.
Exemple concret : deux juristes spécialisés en droit des contrats, avec la même expérience technique, postulent à un poste de "Responsable Juridique Contrats". L'un met en avant sa seule expertise rédactionnelle. L'autre démontre, via ses expériences passées, qu'il a mis en place des processus pour optimiser le cycle de vie des contrats, qu'il a formé les équipes commerciales aux risques juridiques et qu'il a suivi les coûts liés aux contentieux contractuels. C'est ce second profil, le juriste-manager, qui sera privilégié et mieux rémunéré.
La profession juridique vit une mutation qui la rapproche des autres grandes fonctions de l'entreprise. La maîtrise du droit reste le socle fondamental de la profession, mais elle ne suffit plus à garantir une carrière ascendante. Le juriste de demain sera celui qui saura allier son expertise technique à une véritable intelligence managériale, pour transformer la contrainte juridique en un avantage compétitif pour son organisation.