Le débat sur la régulation des jeux d'argent et de hasard est constant. Il oscille entre la protection de l'ordre public et des joueurs, et les réalités économiques d'un marché en pleine expansion.
La France, avec son modèle centralisé et ses monopoles historiques, observe de loin les approches alternatives. Parmi elles, le système canadien, avec sa structure fédérale et sa récente ouverture à la concurrence, suscite un intérêt particulier.
Cet article propose une analyse juridique et comparative pour déterminer si la France a un intérêt objectif à s'inspirer du modèle canadien ou si les deux systèmes sont le fruit de traditions juridiques trop distinctes pour permettre une quelconque convergence.
Le modèle provincial canadien : une concurrence qui favorise l'émergence des meilleurs sites de pari sportif en ligne au Canada ?
Pour comprendre le Canada, il faut d'abord écarter l'idée d'un régulateur unique. Le Code Criminel fédéral pose un principe général d'interdiction des jeux, mais il délègue aux provinces le pouvoir de "conduire et gérer" les jeux d'argent sur leur territoire. Cette délégation a créé une mosaïque réglementaire où chaque province agit comme un État régulateur autonome.
La véritable rupture date du 27 août 2021, avec l'entrée en vigueur de la loi C-218. Ce texte a modifié le Code Criminel pour autoriser les paris sur un événement sportif unique, une pratique auparavant prohibée. Cette modification a ouvert la voie à une libéralisation contrôlée, dont la province de l'Ontario est devenue le laboratoire.
Dès avril 2022, l'Ontario a mis en place un marché ouvert et concurrentiel pour les jeux en ligne, sous l'égide de l'organisme iGaming Ontario. De nombreux opérateurs internationaux, qui figurent aujourd'hui parmi les meilleurs sites de pari sportif en ligne au Canada, ont obtenu une licence pour y opérer.
Ce modèle a des conséquences directes :
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Une offre abondante pour le consommateur : la concurrence pousse les opérateurs à diversifier leurs offres et à améliorer la qualité de leurs services.
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Des revenus fiscaux potentiellement élevés : pour l'année fiscale 2024-2025, le marché régulé de l'Ontario a généré un revenu brut des jeux (l'équivalent du Produit Brut des Jeux français) de 3,2 milliards de dollars canadiens, une augmentation de 32% sur un an.
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Un objectif de canalisation : en créant une offre légale, abondante et attractive, les autorités de l'Ontario cherchent à détourner les joueurs des sites illégaux, qui échappent à toute taxe et à tout contrôle.
Le système français : une régulation centralisée au service de l'ordre public
La France a adopté une philosophie radicalement opposée. Le système, historiquement construit sur des monopoles d'État (La Française des Jeux, le PMU), a connu une ouverture maîtrisée avec la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010. Cette loi a permis la concurrence sur trois segments en ligne uniquement : les paris sportifs, les paris hippiques et le poker. Les jeux de casino en ligne demeurent prohibés.
L'architecture de la régulation repose sur une autorité administrative indépendante unique : l'Autorité Nationale des Jeux (ANJ). Créée par l'ordonnance du 2 octobre 2019, l'ANJ dispose de pouvoirs étendus. Ses missions, définies par le Code de la sécurité intérieure, visent quatre objectifs cardinaux :
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Prévenir le jeu excessif et protéger les mineurs.
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Assurer l'intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu.
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Prévenir les activités frauduleuses ou criminelles.
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Veiller au développement équilibré des différentes filières de jeu.
En 2024, le marché français des jeux d'argent a généré un Produit Brut des Jeux (PBJ) de 14 milliards d'euros, toutes activités confondues, ce qui démontre la vitalité économique du secteur. L'ANJ exerce un contrôle strict, qui peut aller jusqu'à des sanctions pécuniaires (jusqu'à 5% du chiffre d'affaires) ou au retrait d'agrément.
Analyse comparative : deux approches de la protection du joueur
La divergence la plus forte entre les deux modèles réside dans l'approche de la protection des joueurs et de la lutte contre l'addiction.
En France, l'ANJ impose aux opérateurs des obligations très précises : plafonds de mise, modérateurs de jeu, auto-exclusion, et interdiction de certaines communications commerciales jugées trop agressives. Le régulateur n'hésite pas à adresser des mises en demeure ou à sanctionner les opérateurs qui, par exemple, ciblent un public jeune dans leurs publicités. L'État conserve un contrôle direct et uniforme sur tout le territoire.
Au Canada, la protection du joueur relève de la compétence de chaque province. Si des outils similaires existent (auto-exclusion, limites de dépôt), leur intensité et leur mise en œuvre varient. Le modèle concurrentiel ontarien, par exemple, repose sur l'idée que les opérateurs licenciés et responsables offriront un environnement plus sûr que le marché gris. Cependant, cette fragmentation peut conduire à des niveaux de protection inégaux à travers le pays.
Exemple concret : un jeune adulte vulnérable au jeu pathologique. En France, il peut s'inscrire sur le fichier des Interdits de Jeux, géré par le Ministère de l'Intérieur et supervisé par l'ANJ. Cette inscription lui interdira l'accès à tous les sites légaux français et aux casinos physiques. Au Canada, son niveau de protection dépendra de sa province de résidence et des politiques spécifiques que le régulateur local impose.
Quelles leçons pour la France ?
La France doit-elle alors importer le modèle canadien ? Une transposition directe semble juridiquement et culturellement impossible. L'État français, par sa nature unitaire et jacobine, s'accommode mal d'une régulation provinciale qui crée des ruptures d'égalité sur le territoire. Le principe de protection de la santé et de l'ordre public, qui justifie en droit français le monopole et la régulation stricte, constitue un socle difficilement contournable.
Toutefois, une observation attentive du modèle canadien, et plus particulièrement de l'expérience de l'Ontario, peut nourrir la réflexion française sur plusieurs points :
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La lutte contre le marché illégal : le modèle ontarien, qui vise à assécher le marché gris par une offre légale concurrentielle, est une stratégie qui mérite analyse. En France, l'ANJ bloque administrativement plus de 500 sites illégaux par an, mais cette lutte est un combat sans fin.
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L'innovation dans l'offre de jeu : la concurrence canadienne favorise une plus grande diversité de types de paris et de jeux. La France pourrait s'interroger sur l'opportunité d'ouvrir, de manière très encadrée, de nouvelles verticales de jeu pour éviter que les joueurs ne se tournent vers des offres illicites.
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La fiscalité : la France applique une fiscalité sur les mises, ce qui peut désavantager les opérateurs légaux face aux sites illégaux. D'autres modèles, souvent assis sur le revenu brut des opérateurs, pourraient être étudiés pour renforcer la compétitivité du marché légal sans affaiblir les recettes de l'État.
Si une "canadianisation" du droit français des jeux est une chimère, l'analyse du système d'outre-Atlantique est une démarche salutaire. Elle confirme la pertinence du modèle français, qui place la protection du joueur au sommet de sa hiérarchie des normes. Elle offre cependant des pistes de réflexion pour faire évoluer notre propre régulation, afin qu'elle reste efficace face à un secteur dont la dynamique est, par nature, mondiale et numérique.