Le règlement des incidents de procédure en droit international privé

Publié le Modifié le 29/07/2016 Vu 15 031 fois 0
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comment régler les incidents de procédure en droit international privé? Il n'est pas rare que la litispendance internationale, la connexité internationale et d'autres incidents viennent compliquer les litiges comportant un élément d'extranéité.

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Le règlement des incidents de procédure en droit international privé

PLAN

I/- Un règlement perceptible

A/- L’approche chronologique de droit  continental

                  1-L’exception de litispendance internationale

                  2-L’exception de connexité internationale

B/-L’approche conséquentialiste de la common law

  1. L’exception de forum non conveniens
  2. L’injonction anti-suit

II/- Un règlement perfectible

         A/- Des solutions discutées

                  1-Les limites de l’approche chronologique

                  2-Les limites de l’approche conséquentialiste

         B/-Des solutions alternatives

  1. La coordination internationale du règlement des litiges
  2. La prohibition des procédés unilatéraux


 

INTRODUCTION


 

Dans un litige international, la question fondamentale est celle du choix du système juridique à partir duquel on se place pour définir les conditions de déclenchement du procès, les règles gouvernant le déroulement ou l’issue de la procédure, même s’il est vrai que les divers systèmes nationaux ont, du fait de la discontinuité des systèmes juridictionnels dans l’ordre international, une vocation concurrente. Ainsi, l’essor des saisines stratégiques des juridictions nationales, le développement des options de compétence en droit conventionnel et communautaire, la libéralisation des conditions de reconnaissance et d’exécution des jugements, l’instrumentalisation du contentieux du provisoire, l’allongement, la complexification et le renchérissement corrélatif des procès contribuent-ils aujourd’hui à la multiplication des incidents (conflits) de procédures occasionnant par là même des conflits de décisions en droit international privé.

Le doyen Gérard CORNU définit les incidents de procédures comme étant des « contestations distinctes du principal (on dit parfois accessoires, annexes, latérales) dont l’objet particulier très divers peut être de critiquer la validité d’un acte de procédure (incident de nullité) ou la saisine du juge (incident de compétence, de récusation, etc.)»[1].

De cette définition, il apparaît que les incidents de procédures sont les questions particulières soulevées ou les événements qui peuvent se produire au cours d'une instance déjà ouverte qui sont désignés sous l'appellation générale d'incidents de procédures. Ces incidents ont pour effet soit de suspendre ou d'arrêter la marche de l’instance, soit de modifier sa physionomie, soit même de l'éteindre. Les litiges de droit international privé soulèvent des difficultés procédurales spécifiques qui sont dues à la diversité et au cloisonnement des systèmes juridictionnels, chaque Etat disposant de ses propres tribunaux, de ses règles de compétence judiciaire et de procédure. De tout ceci découlera inévitablement une pluralité de tribunaux compétents pour connaître d’un même litige, des risques de conflits de procédures et de décisions lorsque des procédures parallèles ou successives seront introduites. 

François MELIN définit le Droit international Privé (DIP) de manière très schématique.Pour lui, le droit international privé est « la branche du droit qui règlemente les relations privées internationales, qu’il s’agisse de relations entre personnes physiques ou entre personnes morales et qu’il s’agisse de relations non commerciales ou de relations commerciales »[2]. A partir de cette définition, nous pouvons distinguer le droit international privé du droit international public qui ne concerne que les relations internationales entre Etats.

Dans une définition beaucoup plus affinée, Pierre MAYER et Vincent HEUZE l’appréhendent comme « le droit spécial applicable aux personnes privées impliquées dans des relations juridiques internationales »[3].

Le droit international privé concerne dans une vision large la nationalité et la question de la condition des étrangers. Dans une vision stricte, il concerne les conflits de lois et les conflits de juridictions[4]. Les conflits de juridictions  donnent parfois lieu à l’apparition d’incidents comme la litispendance et la connexité.Les incidents de procédures[5] que d’aucuns qualifient de conflits de procédures[6] ne sont pas à confondre avec les incidents d’instance[7] et les demandes incidentes[8] qui ont un domaine beaucoup plus vaste et qui sont plus adaptés à la procédure civile interne. Cette précision étant faite, nous nous intéresserons, dans le cadre de la présente étude et conformément au domaine dont il s’agit[9], à la litispendance et à la connexité envisagées dans l’approche continentale ainsi qu’à l’exception de forum non conveniens et aux injonctions anti-suit prévues par l’approche de la common law. Etudier les incidents de procédure en droit international privé revêt alors un double intérêt théorique et pratique.

 Du point de vue théorique, ce sujet est intéressant car il nous permettra de faire le point des opinions émises jusqu’ici sur la question des incidents de  procédures en droit international privé.

Au plan pratique, il nous permettra de rechercher les pistes de solutions pouvant permettre aux acteurs du droit international privé de mieux faire face aux incidents de procédures voire de les prévenir.

Notre  étude s’articulera donc autour de la problématique du règlement des incidents de procédures en droit international privé.

Comment règle-t-on les incidents de procédures en droit international privé ?

Cette question mérite d’être posée car il n’est pas rare de voir dans le contexte judiciaire international, deux juges de deux Etats différents saisis d’une même affaire ou d’une affaire similaire rendre deux décisions inconciliables.

Cette situation est délicate. C’est la raison pour laquelle, la mise en place d’instruments spécifiques de prévention et de règlement efficacede telles situations s’avère donc nécessaire. S’il est vrai que le règlement de telles difficultés a inspiré des solutions perceptibles(I), elles ne demeurent pas moins perfectibles(II).

I/- Un règlement perceptible

Les incidents ne doivent pas toujours suffire à éteindre le fond, le principal du litige. C’est pourquoi le droit continental les règle par une approche plus ou moins chronologique (A), en même temps que le droit non écrit s’en préoccupe dans une dynamique globale (B).

A/-  L’approche continentale[10]

La bataille juridico-judiciaire passe assez fréquemment par un conflit de procédures qui occasionne un foisonnement de procédures parallèles. Dans certains cas, on peut flairer la fraude ou forum shopping malus. Des instruments spécifiques de lutte contre de tels abus sont donc nécessaires. Certains instruments existent déjà à diverses étapes de la procédure : irrecevabilité de la demande pour intérêt illégitime, fraude à la loi, fraude à la compétence juridictionnelle, fraude au jugement, fraude aux droits procéduraux d’autrui, le principe de l’interdiction de se contredire au dépend d’autrui pour sanctionner des comportements procéduraux contradictoires. Mais ces différentes techniques risquent d’achopper sur la difficulté de preuve du caractère frauduleux ou abusif du comportement du demandeur. Deux (2) types de problèmes peuvent alors se présenter : il s’agit de la litispendance et de la connexité internationale. Mais ces problèmes peuvent s’avérer être en même temps des solutions. En effet, l’invocation[11] de l’exception de litispendance ou de l’exception de connexité peut, si elle est recevable, aboutir au règlement du litige international alors entravé.

L’approche continentale vise donc tantôt l’exception de litispendance internationale (1), tantôt l’exception de connexité internationale(2).

  1. L’exception de litispendance internationale

Le droit international privé étant la projection du droit interne dans l’ordre international, il convient de distinguer selon que l’on se trouve en droit interne et en droit international.

En matière interne, on considère qu’il y a litispendance lorsqu’un litige opposant les mêmes parties et ayant le même objet et la même cause est porté devant deux juridictions différentes. Dans cette hypothèse, l’article 179 du code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes prévoit que « si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l’autre, soit d’office, soit à la demande du ministère public, des parties ou de l’une d’elles ». L’article 181 du même code ajoute que « lorsque les juridictions saisies ne sont pas de même degré, l’exception de litispendance (…) ne peut être soulevée que devant la juridiction de degré inférieur ».

En matière internationale, on considère qu’il y a litispendance lorsque le juge béninois(ou le juge de n’importe quel autre for)  est saisi du même litige que celui qui a été soumis à un juge étranger. Deux instances sont donc en cours entre les mêmes parties, pour la même cause et le même objet devant des tribunaux différents tous compétents. Il faut donc que l’instance pendante à l’étranger ait lieu entre les mêmes parties sur le même objet, et que les demandes soient fondées sur la même cause. La triple identité de parties, d’objet et de cause s’apprécie à l’aune de la loi du juge saisi. La litispendance internationale commande également que le  même litige est « pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître ». Cette deuxième condition est régie par les règles béninoises de compétence directe. La recevabilité de l’exception supposant d’une part  une identité de litige et d’autre part, la saisine de deux juridictions concurremment compétentes, il n’y a donc pas à proprement parler de litispendance internationale, si le juge saisi en premier lieu n’est pas compétent. De ce fait, le juge béninois doit vérifier sa propre compétence avant de statuer sur la litispendance.

En outre et surtout, l’exception de litispendance internationale « ne saurait être accueillie, lorsque la décision à intervenir à l’étranger n’est pas susceptible d’être reconnue au Bénin ». Il revient donc au juge béninois de contrôler la compétence du juge étranger. Cette condition soulève une difficulté évidente puisqu’il s’agit d’envisager une décision qui n’a pas encore été rendue. Dans ces conditions, le juge béninois a une option. En premier lieu, il peut surseoir à statuer jusqu’à ce que le juge étranger rende sa décision. Dans ce cas, une fois la décision étrangère rendue, on quittera le domaine de l’exception de litispendance au profit de l’exception de chose jugée. En second lieu, le juge peut opérer un contrôle anticipé de ce que pourrait être la décision étrangère à intervenir. Il doit alors utiliser les critères de contrôle habituellement utilisés au cours de la procédure d’exequatur ; il doit en particulier chercher à savoir si le juge étranger est compétent et que les droits de la défense pourraient être respectés.

Lorsqu’il y a litispendance internationale, la question qui se pose est de savoir quel juge va se dessaisir entre le juge du for saisi et le juge étranger. La même solution prévue en droit interne s’impose au plan international par prorogation dans l’ordre international de la méthode retenue en droit interne consistant au dessaisissement du juge saisi en second ou du juge de degré inférieur et par application implicite de l’article 970, 3ème tiret du code béninoisdes personnes et de la famille. Ainsi, en cas de litispendance internationale, le juge saisi en second lieu doit-il se dessaisir à condition bien sûr que le juge étranger saisi soit compétent comme sus évoqué, autrement le juge béninois même saisi en second lieu ne se dessaisit pas. La seule nuance entre la solution prévue au plan interne et celle prévue au plan international réside dans le fait qu’en matière internationale, le dessaisissement du juge saisi est une simple faculté. De même, l’admission de la litispendance en matière internationale ne s’impose pas avec évidence puisque par hypothèse on se trouve dans des circonstances où les tribunaux du for, ici béninois, sont compétents. L’idée est d’éviter que deux jugements inconciliables soient rendus dans des Etats différents et que ceux-ci ne puissent ensuite pas être reconnus dans d’autres Etats.  La jurisprudence française a longtemps considéré que l’exception de litispendance ne pouvait pas être accueillie au profit d’une juridiction étrangère[12].  Cette position a évolué avec le temps[13]de sorte que la position de la Chambre des requêtes se trouve aujourd’hui infléchie.

C’est depuis cet arrêt quel’exception de litispendance peut être accueillie en France dans la mesure où des conditions pratiquement identiques à celles sus évoquées sont réunies : le tribunal français saisi, l’est en second lieu, autrement l’exception est irrecevable et doit être soulevée devant le juge étranger selon les conditions prévues par le droit international privé de cet Etat étranger.

Il faut  aussi que l’affaire soit toujours au rôle de la juridiction étrangère au jour de la saisine du for ; il faut en outre une identité de parties,  de cause et d’objet ; il faut que les deux tribunaux soient compétents,  ce qui fonde le juge français à vérifier sa compétence avant de statuer sur la litispendance, et ensuite vérifier la compétence du juge étranger. Cette vérification permet au juge français saisi de s’assurer que la décision future du juge étranger est susceptible d’être reconnue dans son for.

Par ailleurs, il faut remarquer qu’en Europe, on distingue entre litispendance européenne et litispendance internationale[14].

Après les conditions, le régime.

L’exception de litispendance internationale doit être invoquée in liminelitis. Le juge devant lequel l’exception est soulevée n’a qu’une faculté et non une obligation de l’accueillir. Toutefois, un arrêt de la première Chambre civile de la Cour de Cassation française en date du 17 juin 1997 impose au juge français le dessaisissement.

Dans la méthode continentale de règlement des incidents de procédures en droit international privé, on rencontre également l’exception de connexité internationale.

2-L’exception de connexité internationale

En matière interne, il y a connexité lorsque deux demandes distinctes mais très liées sur le fond sont portées devant deux juridictions différentes. L’article 180 du code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes prévoit à cet effet que « s’il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un tel lien qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, l’une de ces juridictions peut, soit d’office, soit à la demande du ministère public, des parties ou de l’une d’elles se dessaisir et renvoyer en l’état la connaissance de l’affaire à l’autre juridiction ». On le voit, la question de connexité au plan interne n’est pas foncièrement réglée par le législateur béninois même si l’objectif qu’il poursuit est de gagner du temps et d’éviter que des décisions contradictoires ne soient rendues.

En matière internationale, la connexité est également envisageable. Elle est à certains égards reconnue. Elle permet en effet au juge étranger de se déclarer compétent pour connaître d’une demande dont il est régulièrement saisi.

La connexité internationale est parfaite lorsque le juge béninois se trouve saisi  d’un litige connexe à celui qui a été soumis à un étranger. L’exception de connexité internationale permettra donc deréglementer la compétition juridictionnelle en présence de litiges différents ayant des rapports étroits.

L’exception de connexité internationale est recommandée aux fins d’économie de procédure et de prévention des décisions inconciliables. Elle  est admise aux seules conditions que deux juridictions relevant de deux Etats soient également et complètement saisies de deux instances faisant ressortir entre elles un lien de nature à créer une connexité[15].Dans ce cas, le dessaisissement n’est qu’une simple facultéreconnue au juge du for. Mais, le juge béninois, en vertu de la « courtoisie » judiciaire internationale, lorsqu’il se retrouve en pareille situation doit logiquement se dessaisir lorsqu’il est saisi d’une question connexe à une question principale régulièrement soumise à un juge étranger.

Le droit de la common Law ne méconnaît pas non plus les incidents de procédures.

B/-L’approche de la common Law

Cette approche englobe d’une part l’exception de forum non conveniens (1)et d’autre part les injonctions de ne pas poursuivre encore appelées « injonctions anti-suit » (2).

  1. L’exception de forum non conveniens

La règle dite du forum non conveniens est connue dans les pays de Common Law.Cette règle est l’affirmation du pouvoir discrétionnaire qui est reconnu aux juges, dans les pays de Common Law, de ne pas exercer leur compétence internationale à l’égard d’un litige qui relève pourtant de leur pouvoir juridictionnel, dès lors qu’ils estiment qu’il serait plus opportun qu’il soit tranché par un for étranger également compétent.La théorie dite du forum non conveniens a été définie comme l’expression « (...) du pouvoir discrétionnaire d’un tribunal de refuser d’entendre une action pour laquelle il a compétence s’il apparaît qu’un déroulement du procès ailleurs serait plus approprié »[16].L’exception de forum non conveniensest donc susceptible de conduire au dessaisissement d’un juge compétent au profit d’un autre juge mieux placé et plus approprié pour connaître du litige. Elle requiert du juge saisi qu’il mette en balance les intérêts[17] qu’il y aurait à poursuivre le litige devant lui avec ceux de la saisine d’un for alternatif.Techniquement, l’exceptionde forum non conveniens est soulevée par le défendeur. Toutefois, elle est susceptible d’être contrée par une autre exception, invoquée en réplique par le demandeur : l’exception de justice si ce dernier arrive à démontrer que la procédure ouverte à l’étranger serait une source d’injustice flagrante.

Cette observation étant faite, il convient de préciser que la grande flexibilité dont fait preuve la théorie du forum non conveniens ne saurait néanmoins éluder le fait qu’elle impose au juge de se livrer à un travail de recherche détaillée pour déterminer le for alternatif le plus approprié. La Chambre des Lords[18] a précisé qu’une suspension d’instance ne peut être accordée, sur le fondement du forum non conveniens, que si le for est convaincu qu’il existe un tribunal compétent, qui est le for approprié du litige, c’est-à-dire celui devant lequel le litige sera tranché de manière plus convenable dans l’intérêt de toutes les parties et de la justice.  Si le juge conclut qu’il existe un autre for compétent qui est prima facie clairement plus approprié pour trancher le litige, il accorde normalement une suspension de sa compétence. Cette théorie trouve des applications dans plusieurs domaines du droit et sert ainsi de fondement à l’exercice ou au non exercice de la compétence dans une affaire comportant des éléments d’extranéité. La Cour invoque alors ce principe pour veiller aux intérêts supérieurs des parties et éviter d’empiéter sur la compétence d’une autre juridiction. Il convient de préciser que la décision du juge de se dessaisir d’une action au profit d’une juridiction étrangère sur le fondement de la théorie du forum non conveniens ne constitue nullement une décision rendue en pure opportunité. Tout au contraire, le juge est tenu de se conformer, lorsqu’il se prononce sur une demande de rejet pour cause de forum non conveniens, à un raisonnement précis et rigoureux.Cette théorie peut s’avérer utile à bien des égards en particulier pour décourager toute velléité de forum shopping de la part d’un justiciable qui chercherait ainsi à initier une action devant une juridiction américaine par exemple et ce, alors même que ladite action ne présente aucun lien avec les États-Unis, la véritable raison d’être d’une telle action résidant dans l’espoir de bénéficier de la générosité des juridictions américaines en matière d’allocation de dommages et intérêts .

Le juge devra en effet s’adonner à un double exercice, consistant, d’une part, à identifier le for naturel du litige avec lequel la contestation possède les contacts les plus étroits et d’autre part, à vérifier que le demandeur ait bien la garantie d’obtenir une justice effective dans ce for étranger. C’est d’abord en Écosse c’est-à-dire dans un système juridique d’inspiration essentiellement civiliste que la théorie du forum non conveniens paraît avoir été développée même si à l’origine cette théorie apparaissait sous le nom de forum non competens[19].Mais c’est dans les pays dits de commonlaw[20] qu’elle a reçu une impulsion importante, en particulier aux États-Unis d’Amérique où Paxton Blair conseilla activement son utilisation comme solution à l’engorgement des rôles des tribunaux dans les grandes villes des États-Unis où des procès sans lien local apparent avaient fréquemment lieu[21]. Néanmoins, une évolution de la jurisprudence française sur la mise en œuvre des articles 14 et 15 du Code civil, articles qui fondent la compétence des juridictions françaises sur la nationalité française du demandeur ou du défendeur, semble se rapprocher du forum non conveniens. En effet, l’arrêt Prieur du 23 mai 2006 a supprimé le caractère d’exclusivité de l’article 15 en matière de compétence indirecte. Un arrêt du 22 mai 2007[22] tout en maintenant la saisine d’un tribunal français sur le fondement de l’article 14 a précisé que cet « article 14 n’ouvre au demandeur français qu’une simple faculté et n’édicte pas à son profit une compétence impérative, exclusive de la compétence indirecte d’un tribunal étranger déjà saisi et dont le choix n’a pas été frauduleux». Ainsi, lorsqu’il y aura litispendance, le juge français, saisi sur le fondement de la seule nationalité française du demandeur ou du défendeur devra t-il donc se demander quel est le for le plus approprié, ce qui peut être considéré comme un premier pas vers la théorie du forum non conveniens.

Aujourd’hui la théorie du forum non conveniens est appliquée le plus fréquemment dans les affaires de responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle principalement en raison des règles de responsabilité civile qui sont assez nettement favorables aux victimes demanderesses à l’action avec une générosité des tribunaux américains en matière d’allocation de dommages et intérêts qui est désormais notoire. De façon pratique, il s’agit le plus souvent d’actions en dommages et intérêts relatives à des accidents survenus dans un État autre que celui du for et dans lesquelles les deux parties étaient des non-résidents du for. Outre qu’elle laisse plus de latitude au juge dans l’évaluation de la pertinence de sa saisine, la théorie du forum non conveniens permet également de parer à l’inconvénient de juger l’affaire dans un ressort autre que celui où a pris naissance la cause d’action, veillant en cela aux intérêts supérieurs des parties. Il en résulte donc que très souvent aux États-Unis un tribunal même compétent déclarera non recevable une action délictuelle ou quasi délictuelle si le fait dommageable s’est produit en dehors de l’État où l’action est intentée et si les deux parties sont des non-résidents[23]. Le juge dans les pays de common Law dispose de prérogatives bien plus larges que son homologue français, belge ou italien[24], prérogatives lui permettant notamment de se déclarer incompétent lorsque des considérations de justice ou d’opportunité procédurales rendent sa saisine inappropriée.En pratique, une fois sa compétence établie, le juge saisi sera amené à s’adonner à un exercice decomparaison entre lui-même et d’autres tribunaux judiciaires et suivre des critères d’application stricts pour pouvoir in fine faire éventuellement droit à la demande à fin de rejet pour cause de forum non conveniens qui lui est présentée.Nonobstant le fait que la décision de décliner sa compétence soit laissée à l’appréciation souveraine du juge, ce rejet reste néanmoins soumis à des critères très stricts que s’efforcera de suivre le juge s’il souhaite statuer sur une demande de rejet pour cause de forum non conveniens[25]. La Cour suprême des États-Unis a en effet jugé qu’un tel rejet pour cause de forum non conveniens était justifié lorsque la tenue du procès devant la juridiction choisie par le demandeur ferait peser une lourde charge sur le défendeur ou le tribunal, et lorsque le demandeur n’est pas en mesure de fournir des raisons spécifiques de commodité pour justifier son choix.

En synthèse, l’application de cette théorie se déroule en deux étapes, à savoir : en premier lieu, le juge se doit de déterminer dans quelle mesure il existerait un for alternatif accessible et adéquat pouvant connaître du litige. Le juge américain ne peut rejeter une action sur le fondement de la théorie du forum non conveniens que si cette exigence est satisfaite, c’est-à-dire si le défendeur apporte la preuve que cette autre juridiction, d’une part, est également compétente pour connaître de l’affaire en cause et, d’autre part, permet aux demandeurs d’obtenir réparation des préjudices qu’ils allèguent[26].

En second lieu et dans l’hypothèse où le juge estime qu’il existe un for alternatif conforme aux exigences sus exposées, il doitalors mettre en balance un certain nombre de facteurs[27] d’intérêts publics et privés, facteurs qui ont été précisément identifiés par la Cour suprême des États-Unis afin de déterminer quelle juridiction est la plus appropriée pour connaître du litige. L’exception  du forum non conveniens est par ailleurs une nouvelle arme dans la lutte judiciaire contre les pratiques contentieuses abusives[28].L’existence de la théorie du forum non conveniens peut dans certaines situations décourager toute velléité de forum shopping. Il arrive trop fréquemment qu’une autorité judiciaire soit priée d’exercer sa compétence dans une affaire qui pourtant ne lui est nullement rattachée par des liens suffisants. En laissant au juge une grande marge de manœuvre dans l’appréciation de sa compétence, les Etats anglo-saxonsne laissent que peu de place à une telle fraude. La sanction d’une telle fraude peut s’opérer par le refus du juge d’exercer sa compétence internationale par le biais notamment de l’exception de forum non conveniens.

L’exception de forum non conveniens est assez proche de l’injonction anti-suit.

  1. L’injonction anti-suit

Pouvoir d’injonction en matière internationale et notamment celui d’interdire à une partie l’exercice d’une action en justice devant une juridiction d’un pays étranger ou un tribunal arbitral, sous peine de condamnation pour "contempt of court" (mépris d’une décision de justice), laquelle peut exposer la partie ou les arbitres récalcitrants à une amende ou à un emprisonnement, les injonctions anti-suit permettent de résoudre les conflits de procédures .

Elles aident à proscrire ou compromettre la prospérité de procédures parallèles à l’étranger. C’est une construction  jurisprudentielle qui est suivie par les juridictions de commonlaw. Comme en témoigne la décision de la Haute Cour de Singapour aux termes de laquelle le tribunal, afin de garantir sa propre compétence ou d’éviter la violation de son propre ordre public, est tenu d’ordonner une "anti-suit injunction" plus précisément dans le cas où une saisie de navire a été pratiquée en vertu d’un système juridique qui adhère à un régime de limitation de responsabilité différent. Une telle injonction n’est efficace que dans le cas où les personnes menacées de ces sanctions ont des actifs dans le pays dont ressort la juridiction qui l’a prononcée. A défaut, le bénéficiaire du jugement ou de la sentence prononcée au mépris de l’injonction peut obtenir l’exécution de celle-ci dans les pays où cette exécution présente pour elle un intérêt et où la décision, quoique annulée par la juridiction qui a fulminé l’injonction, sera reconnue valable.

Se manifestant par une ingérence dans une instance pendante devant une autre juridiction, ce pouvoir doit être exercé avec une grande attention, pour éviter l’apparence même d’une ingérence inappropriée. Le but est alors d’éviter toute action excessivement contraignante (“oppressive”) et de nature abusive (“vexatious”). Surtout, l’anti-suit injunction doit permettre d’empêcher une partie d’attraire le défendeur dans un for qui ne serait pas approprié, parce que moins apte que le for d’injonction à rassembler les preuves et les témoignages nécessaires.Le bénéfice d’une injonction anti-suit est accordé à titre de réparation en nature du dommage que cause le défendeur à l’injonction, en portant indûment sa demande devant les juridictions d’un Etat, au demandeur à l’injonction. En droit américain, il est acquis que le juge étatique peut accorder à la partie qui le demande le bénéfice d’une anti-suit injonction. Cet octroi doit permettre de faire respecter une clause attributive de compétence exclusive. L’injonction sert également à faire respecter la convention d’arbitrage dans son ensemble. Elle trouve son fondement dans le fait que le défendeur à l’action peut personnellement être attrait devant le juge qui accorde l’injonction (“personaljurisdiction”). Comme en droit anglais, le non respect de l’injonction entraîne le prononcé par le juge de la sanction de “contempt of court” (mépris d’une décision de justice), qui a pour effet d’empêcher toute reconnaissance du jugement obtenu en violation de la clause d’arbitrage dans l’Etat intéressé.

Que ce soit en droit continental ou dans la commonlaw, les méthodes proposées pour régler les incidents de procédures sont discutables et demeurent perfectibles.

II/-Un règlement perfectible

Les réponses actuelles aux incidents de procédures  en droit international privé demeurent discutées (A), ce qui incite à envisager des pistes alternatives (B).

A/-Des réponses discutées

Le règlement des exceptions de litispendance  et de connexité internationales passe par le dessaisissement, simple faculté donnée au juge devant lequel l’exception est soulevée. Cette absence d’obligation limite l’efficacité de la solution de règlement dans la méthode continentale (1) ; l’approche de droit non écrit n’est également au demeurant qu’un simple palliatif (2).

  1. Les limites de l’approche chronologique

 Puisqu’il s’agit de droit international, l’intervention de l’élément d’extranéité fait que les parties se trouvent soumises à un concours de souveraineté. Cela transparait aisément dans la nature fragile et fragilisée de la réponse apportée à ces incidents de procédures et qui repose sur le dessaisissement du juge saisi en second ou du juge dont la saisine est fortement critiquée. Seulement, comme l’a affirmé la jurisprudence, cet abandon n’est qu’une simple option, une faculté laissée au juge. Cette position se comprend car ici, il est question de compétence. Aucune raison ne justifie qu’un juge régulièrement saisi, et naturellement compétent au regard des règles de compétence puisse abandonner sa jurisdictio.

A l’échelle européenne,le caractère obligatoire du règlement de la litispendance prévu par le règlement de Bruxelles 1 et présenté à l’origine comme un progrès de la coopération judiciaire européenne, fondé sur la confiance mutuelle entre les Etats membres est aujourd’hui remis en cause.En effet,  deux affaires ont bien révélé les effets pervers de la rigidité de la règle et la nécessité de prévoir des tempéraments. Ce sont les affaires Gasser[29]et Turner[30] .

La Cour de Justice des Communautés européennes dans ces deux affaires s’en est tenue à une application stricte des règles de la convention de Bruxelles en refusant au juge national le pouvoir d’apprécier les conditions de saisine du juge d’un autre Etat membre. Elle a invoqué les principes de confiance mutuelle et de sécurité juridique.

Dans l’affaire Gasser, la Cour a refusé d’admettre que l’existence d’une clause attributive de juridiction puisse conférer une priorité au juge élu et justifier une dérogation au fonctionnement de la litispendance européenne. Dans l’affaire Turner, la même Cour a estimé que même la saisine du juge espagnol à des fins manifestes de harcèlement procédural, pour pousser un employé à abandonner un procès ouvert en Angleterre contre son employeur, ne peut pas autoriser un juge anglais à prononcer une injonction de cesser les poursuites en Espagne.

L’on a observé à juste titre que la confiance mutuelle ne faisait pas disparaître le risque que le juge d’un Etat membre soit manipulé par l’un des plaideurs. Le juge espagnol dans l’affaire Turner n’a pas eu connaissance de la procédure introduite antérieurement en Angleterre, faute de comparution du défendeur. Il peut avoir une vision tronquée des faits et rendre une décision pourtant efficace[31]. Et, si l’on peut faire confiance au juge italien pour qu’il se déclare incompétent en raison de la clause attributive de juridiction, il faut néanmoins que Gasser participe d’abord à la procédure italienne, avant de porter normalement son procès en Autriche. Double procédure et donc surcoût du procès[32].

Dans l’ordre juridique international, tous les sujets de droit sont, comme au plan interne, sur le même pied. Il en est de même des juridictions quand elles sont appelées à « coopérer » sur le plan international. Ainsi, jaloux de leur souveraineté ou enclins à de perpétuels bras de fer, les juges du for refusent-ils assez souvent de se plier aux exigences de la « courtoisie » judiciaire internationale. Tel est le cas lorsqu’il apparaît une connexité ou une litispendance internationale. En effet, lorsque le juge saisi constate que ses propres règles de conflit de juridictions ne lui donnent pas compétence ou qu’il a été saisi en second lieu dans une même procédure, il peut relever d’office son incompétence et se déclarer incompétent ou se dessaisir au profit du premier juge saisi. Cependant, force est de constater que ce n’est pas toujours le cas, le juge ayant tendance à s’arc-bouter sur son refus de renvoi. Ceci entraîne inéluctablement des querelles intempestives entre juges.

Dans ces circonstances, si les deux actions engagées par les parties devant deux juges différents prospèrent, il se pourrait bien qu’on obtienne des décisions judiciaires inconciliables et donc inexécutables. La souveraineté de chaque Etat incluant la souveraineté des tribunaux, chaque juge prend librement sa décision : c’est la circulation internationale des décisions de justice qui se trouve compromise. C’est dire donc que le règlement des exceptions courantes de Droit International Privé à savoir la litispendance et la connexité internationales est un expédient, une solution de circonstance inspirée par les contraintes et les enjeux procéduraux.

Les incidents de procédures comme nous l’avons vu supra génèrent divers conflits entre les juges internationaux. Il est vrai que cette dysharmonie entre juridictions internationales est résolue au moyen du dessaisissement d’un juge au profit de l’autre. Mais cette solution est, il ne faut pas se le cacher, assez faible et discutable car la « courtoisie » entre juges est chimérique.  L’approche fondée sur le temps et l’ordre des procédures, (chronologique), annonce  celle assise sur les conséquences de la décision du juge.

  1. Les limites de l’approche conséquentialiste

L’injonction anti-suit. A propos de la procédure d’injonction anti-suit, il faut noter qu’elle ne s’adresse pas directement au juge ; elle ne fait que viser la partie qui souhaite introduire l’action devant lui. Le propre de la technique de l’anti-suit injunction réside dans l’ambition de faire prévaloir sa propre conception de la juridiction compétente, et donc, le cas échéant, de la validité ou de l’invalidité d’une clause d’electiojuris, sur celle de toute autre juridiction, étatique ou arbitrale, qui pourrait être saisie ou qui a effectivement été saisie. On peut donc facilement percevoir ces injonctions anti-suit comme une manifestation de méfiance d’une juridiction étatique, ou d’un tribunal arbitral, envers une autre juridiction.

 Les injonctions anti-suit sont des mesures destinées à garantir l’exécution forcée de la clause attributive de for par ses signataires. Elles sont souvent sollicitées en matière d’arbitrage. Inversement, l'anti-suit injunction peut empêcher le déroulement d'un arbitrage et faire respecter, le cas échéant, une clause attributive de juridiction4. On peut alors concevoir qu'une anti-suit injunction puisse être prononcée pour soustraire un litige de la compétence arbitrale. On parle alors d'anti-suit injunctions offensives qui tentent de faire obstacle à l'arbitrage même lorsque sa compétence est valable. On peut donc s’inquiéter d’un procédé qui censé être une solution se révèle offensive in fine : c’est toujours le cas lorsqu’une décision sensible est laissée à l’appréciation discrétionnaire du juge.

L’hypothèse dans laquelle l’injonction apparait offensive  pose problème car elle contredit  l'effet négatifdu principe de compétence compétence[33] reconnu par le droit continental, et en vertu duquel les juridictions étatiques sont incompétentes tant que l'arbitre ne s'est pas prononcé lui-même sur sa compétence. De même, ce type d'injonction semble contraire au droit anglais, du moins si les parties ne sont pas d'accord. Car l'effet négatif semble être reconnu partiellement en Angleterre. En effet, les juridictions étatiques ne peuvent statuer sur la compétence d'un tribunal arbitral qu'avec l'accord des parties ou à défaut du tribunal lui-même.

Par conséquent, au Bénin, les anti-suit injunctions prononcées par un juge étranger pour interdire l'arbitrage devraient être proscrites puisque l'arbitre est seul compétent pour statuer sur sa compétence.Il en est de même en Angleterre, le juge ne devrait pas pouvoir prononcer une telle anti-suit injunction avant que l'arbitre connaisse le litige et se déclare ou non compétent, sauf dans le cas ou les parties ou le tribunal arbitral lui-même accordent au juge étatique ce pouvoir.

L’exception de forum non conveniens. Elle n’est pas non plus une solution à toute épreuve, déjà qu’elle constitue une discrimination pour le plaideur étranger. Dans la version américaine, l'exception de forum non conveniens  vise notamment à ce que le juge  dismisses the action, autrement dit, à ce qu'il rejette l'action du demandeur et déclare close la procédure. Au Royaume-Uni, en revanche, face à une telle clause d'exception, le magistrat simplement  staysproceedings, soit, Il sursoit à statuer dans l'attente courtoise, d'un signe, positif ou négatif, du juge  étranger supposément mieux placé. Dans le cas américain, le rejet peut revêtir deux formes différentes, à savoir le rejet pur et simple ou le rejet conditionnel. Les conséquences qui s'ensuivent sont les suivantes : en cas de  rejet pur et simple, il est mis fin, en principe, de manière définitive, à l'instance devant le for s'étant dessaisi, de sorte que,  quel que soit le sort de la procédure devant le for considéré comme plus approprié, l'affaire ne pourra normalement plus être ramenée devant ce premier for. En cas de  rejet conditionnel, la cause ne pourra, en principe, être de nouveau soumise au juge qui l'a prononcé que dans l'hypothèse où les conditions que ce dernier avait expressément posées dans sa décision de dessaisissement n'auraient pas été respectées, et ce uniquement au moyen de l'introduction par le demandeur d'une nouvelle action, ce qui peut poser des difficultés au regard des règles de la prescription. On constate ainsi aisément que le risque de déni de justice est palpable. Dans la première hypothèse, rejet pur et simple, la réouverture de l'instance se heurte à l'autorité de la chose jugée; alors que dans la seconde, le juge américain précise, lui-même, les cas d'ouverture de son prétoire, à charge pour le demandeur, en quête de justice, de maîtriser le temps de prescription de son action et de ne pas se perdre dans un éventuel jeu de ping-pong entre les juridictions.

Les problèmes soulevés par les incidents en DIP ne sont pas insurmontables, on peut toujours aller au-delà des données actuelles pour voir d’autres solutions envisageables.

B/-Des solutions alternatives

La volonté des plaideurs d’exploiter la diversité des systèmes juridiques est au service de leurs intérêts. Ils recherchent tantôt les règles de procédure les plus adéquates (le système probatoire le plus performant, le type d’action en justice le plus efficace), tantôt les règles substantielles les plus favorables, tantôt encore le juge culturellement le plus sensible à certains types d’intérêts, ou encore ils tentent une manœuvre purement dilatoire pour que le procès s’enlise ou pour affaiblir par harcèlement le demandeur. Les solutions face aux problèmes incidentiels de droit international privé ressortissent  davantage au management qu’à la législation dure. C’est pourquoi la coordination internationale du règlement des litiges (1) doit suivre le rejet des procédés unilatéraux (2).

  1. La coordination internationale du règlement des litiges

L’objectif ici sera d’envisager des pistes de solutions afin de permettre aux acteurs du droit international privé aussi bien du droit continental que de la common law de mieux faire face aux incidents de procédures voire de les éviter.Deux postures sont concevables.

La première posture consisterait à rester compartimenté, chacun dans son propre système, et à se contenter d’attendre le stade de la reconnaissance du jugement prononcé à l’étranger pour s’y opposer, le cas échéant.

Cette attitude présente l’inconvénient de laisser le marché du droit s’autoréguler, au risque d’une instrumentalisation de la justice par les plus forts ou les plus retors, et de provoquer des situations de blocage avec des risques de conflits de jugements. De surcroît, une réaction a posteriori n’est pas toujours efficace, du fait du libéralisme de plus en plus grand du contrôle exercé sur les jugements étrangers, sans compter les frais que cela occasionne aux plaideurs obligés de se défendre dans plusieurs procédures.

La seconde posture s’efforcerait de déjouer les stratégies procédurales en tentant de fixer les limites du jeu et en chargeant le juge de veiller au respect de ces limites. Cette attitude implique plus d’ouverture aux systèmes étrangers et une recherche, dès le déclenchement des premières offensives du combat judiciaire, d’une coopération internationale entre les juges.

A la gestion internationale de la procédure par les parties pourrait ainsi correspondre une coordination internationale du règlement du litige par une approche globale du procès international prenant en compte toutes les implications à l’étranger du procès soumis au juge du for dans la mesure du possible. Il faut préciser toutefois que le terme de globalisation n’est pas employé ici dans le sens d’une traduction dans les règles de droit du phénomène de la globalisation économique. Cette forme de globalisation, que certains auteurs ont appelé la « globalisation matérielle »[34], s’applique à la globalisation de l’objet sur lequel porte le droit.

L’heure est donc aujourd’hui à l’ébauche d’un espace judiciaire mondial et à « la globalisation légale ou juridictionnelle»[35] et qui peut s’appliquer très bien à la recherche d’une convergence de vues entre des juges de pays différents sur le traitement procédural des litiges internationaux.C’est l’objectif que visait le projet de convention mondiale sur la compétence internationale et les effets des jugements dont la conférence de La Haye a été saisie par une initiative américaine[36]. Ce projet est très intéressant car il a tenté de dépasser l’antagonisme des systèmes de commonlaw et de droit écrit. Il mérite l’attention, même s’il a finalement échoué après plus de 10 ans de négociations, pour des raisons diverses[37]. Il peut en effet servir de modèle pour améliorer les instruments communautaires existants et de source d’inspiration pour guider la recherche d’une coordination des procédures en dehors du domaine de ces instruments

En effet, un fort courant doctrinal, tout à fait remarquable, est en train d’émerger sur la question des conflits de procédures pour proposer un système de solutions très proche de celui qui a été conçu dans le projet de convention mondiale de La Haye.

Cette convergence doctrinale est remarquable parce qu’elle est œcuménique. Elle regroupe des auteurs de pays de commonlaw et des auteurs de systèmes de droit civil.

C’est aussi une convergence qui rassemble de jeunes auteurs et des auteurs confirmés, qui se sont exprimés respectivement dans des thèses[38]et dans plusieurs cours professés à l’Académie de droit international. Elle est relayée par des institutions savantes, l’Institut de droit international[39], et l’association de droit international[40]. Cette convergence part du constat des déficiences des deux grands systèmes, celui de la litispendance des pays continentaux, trop rigide, et celui, à l’inverse trop souple, de la théorie du forum non conveniens. Ces procédés prospèrent essentiellement dans des circonstances d’initiative non concertée, d’une seule partie ; elles sont donc à proscrire.

  1. La prohibition des procédés unilatéraux

Le système de la litispendance encourage la course à la première saisine. L’absence de système de litispendance encourage la course au premier jugement. L’usage de l’exception de forum non conveniens est susceptible, en outre, de dégénérer en de graves dérives comme le montre la pratique américaine (enlisement des débats sur la compétence, procédures coûteuses et risques de solutions nationalistes). De ce fait, il vaut mieux éviter les procédés unilatéraux. C’est pourquoi la Cour de justice des Communautés européenne a eu raison d’interdire dans les relations intracommunautaires aussi bien les injonctions anti-suit (arrêt Turner) que le recours à la doctrine du forum non conveniens, qui confère aux juges, dans les systèmes de Common law, comme au Royaume-Uni, un pouvoir discrétionnaire d’apprécier l’opportunité de l’exercice de leur compétence (arrêt Owusu)[41].

La solution proposée consiste à coordonner les deux techniques.

Le système est le suivant. En principe, le juge saisi en second doit se dessaisir au profit du juge premièrement saisi. Mais le principe ne s’applique pas, si le juge saisi en premier, à la demande de l’une des parties, estime que des circonstances exceptionnelles font apparaître que c’est en réalité le juge saisi en second, qui est le mieux placé pour statuer sur le litige[42].

Le mécanisme permet l’articulation de deux décisions prises séparément par les deux juges concernés. L’un sursoit à statuer en attendant la décision prise par l’autre d’accepter de se saisir du litige.

Sans doute, la solution mécontentera-t-elle tous ceux qui se plaignent déjà du rôle grandissant des juges. Mais bien appliqué, le système pourra déboucher sur quelque chose de très novateur. Il peut ouvrir un véritable dialogue entre les juges concernés[43], il ne saurait y avoir de place ni pour le gouvernement des juges, ni pour la guerre des juges. Dans cette configuration, le dialogue entre les juges des divers Etats membres serait très utile pour constater au regard des circonstances concrètes de la situation respective des parties quel est celui qui est le mieux placé. Ce n’est que si les juges ne parviennent pas à se mettre d’accord qu’on ferait jouer le critère de l’ordre chronologique des saisines.

En outre, l’instauration d’une telle coopération judiciaire pourrait exercer à terme un effet dissuasif, susceptible de prévenir certains abus processuels des plaideurs informés de ce que les juges exerceront un contrôle des conditions de leur saisine.

Ce dialogue judiciaire mondial, qui permettrait pour la première fois à des juges d’Etats différents de se concerter pour prendre ensemble une décision sur un aspect du litige, modifie incontestablement la fonction de juger. L’innovation ne manquera pas de soulever des réticences. Le régime de cette coopération devra être précisé. Les difficultés ne manqueront pas.

Il ne faudra surtout pas perdre de vue que cet accroissement du rôle régulateur des juges est inévitable dans les espaces de libertés. Plus les libertés s’étendent, plus les risques d’abus deviennent préoccupants.

De toute façon, compte tenu du rôle clé joué aujourd’hui par la question de la compétence dans le contentieux privé international ne vaut-il pas mieux vider dès le début du procès tous les abcès relatifs à la compétence plutôt que de laisser en attente des cartouches à retardement ?

C’est pourquoi l’on peut être tenté de faire du juge national le gardien de la bonne coordination des procédures internationales.

Il faut néanmoins reconnaître que le système ne pourrait jouer que dans des hypothèses exceptionnelles, celles d’un abus processuel manifeste et celles dans lesquelles le rattachement le plus approprié entre les deux fors concurrents apparaîtrait avec une certaine évidence dès le début de l’instance. Dans les dossiers complexes, ce mécanisme ne pourrait pas fonctionner pour venir corriger les effets néfastes des options de compétence et l’on appliquerait donc les règles habituelles de la litispendance. 

           CONCLUSION


 

En ce XXIe  siècle, les échanges entre personnes privées se sont multipliés et se font par tous moyens, surtout les plus sophistiqués[44]. Toutes ces relations aussi hétéroclites les unes que les autres présentent des situations inextricables que le droit international privé est appelé à résoudre. En effet, en cas de litige, les parties sont souvent amenées à soumettre leur différend à des juges différents suivant leurs desiderata, d’où la survenance d’incidents de procédures encore appelés conflits de procédures à plusieurs facettes. Véritables équations à plusieurs inconnus, les incidents de procédures sont des épines dans le pied du droit international privé. Ceux-ci laissent place à des difficultés procédurales assez pointues résultant de la variété et de l’enchevêtrement des systèmes de droit existant de par le monde.Ainsi, le bras de fer entre juges peut occasionner la circulation de décisions inconciliables. Cette situation s’explique par l’existence dans différents droits judiciaires de plusieurs fors également compétents (le juge du domicile du défendeur, le juge du lieu où le contrat a été conclu ou exécuté, etc). En droit interne comme en droit international, le maintien d’une telle situation avec deux procédures qui se poursuivent simultanément n’est pas souhaitable. Il risque en effet d’engendrer des décisions antinomiques et ceci n’est pas conforme à une bonne administration de la justice dès lors que deux ou plusieurs tribunaux vont connaître d’une même affaire ou de deux affaires ayant un lien de connexité.

Dans l’approche de la common law, l’exception de forum non conveniens et les injonctions  anti-suit  sont les palliatifs qu’utilise le juge pour juguler les incidents de procédures.Si l’on se place du côté de l’approche continentale, les exceptions de litispendance et de connexité internationales permettent de régler les compétences respectives des juridictions saisies. S’il s’agit d’un cas de litispendance, on organisera le dessaisissement de la juridiction saisie en second lieu et s’il s’agit d’un cas de connexité, l’un des juges devra transmettre l’ensemble de l’affaire dont il est saisi pour jonction. Mais toute cette série de mesures se heurte toutefois à l’indépendance des ordres juridiques. Pour exemple, le dessaisissement du tribunal saisi en second lieu impliquerait sa soumission à une procédure menée devant un tribunal étranger et l’empêcherait d’exercer une compétence que lui reconnaît son ordre juridique. Il est évident que si une telle situation se présente, le second juge saisi ne cèderait pas aussi aisément. C’est pourquoi comme solution,il est traditionnellement admis en droit belge  par exemple que l’exception de litispendance internationale n’est pas recevable à défaut d’une disposition expresse dans une convention internationale.

Pour ce qui est de la common law, la décision de la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire Turner c.Grovit[45]était attendue avec impatience partous ceux qui s’intéressent au droit des litigesinternationaux. Elle a mis un terme à la vivecontroverse concernant l’utilisation de latechnique dite des injonctions anti-suit dansl’espace judiciaire européen. Les juridictionsanglaises utilisaient depuis longtempscette technique en vue de bloquer des actionsétrangères lorsque celles-ci leur apparaissentvexatoires et oppressives ou encorelorsqu’elles sont à leurs yeux « intolérables »(unconscionable) pour d’autres motifs tenantà la bonne administration de la justice ou à lapréservation d’une politique essentielle du for[46].

Même s’il est vrai que choisir la bonne juridiction est la première étape du procès international, il n’en demeure pas moins que la saisine d’un tribunal compétent ne déclenchera de manière utile le procès international que si elle est le fait d’un plaideur titulaire d’un droit d’y avoir accès et que ce tribunal soit doté de pouvoirs de juger les prétentions de ce plaignant.

BIBLIOGRAPHIE


 

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[1]CORNU (G.), (dir.), Vocabulaire Juridique, PUF, 2011, p. 529.

[2] F. MELIN, Droit international privé, GualianoLextensoéditions, 3ème édition, 2008, p.19.

[3] P. MAYER et V. HEUZE, Droit international privé, Montchrestien, 10ème édition, 2010, p.2.

[4] Il faut toutefois préciser que le droit international privé n’envisage pas les questions relevant du droit public, du droit fiscal et du droit pénal.

[5] Le Code béninois de procédure Civile, Commerciale, Sociale, Administrative et des Comptes en son article 164 se penche les exceptions de procédure qui englobent  la caution judicatum solvi, les exceptions d’incompétence, de nullité, d’inconstitutionnalité, de litispendance et de connexité.

[6] Voir MOISSINAC-MASSENAT, les conflits de procédures et de décisions en droit international privé, LGDJ, 2007 et M.-L. NIBOYET-HOEGY, « Les conflits de procédures », Droit international privé, Travaux du Comité français de droit international privé, année 1995-1996, Pédone, 1999, p.71.

[7] Il s’agit de l’abstention, de la récusation, de la jonction et de la disjonction d’instance, de l’interruption, de la suspension, de la radiation, de l’extinction de l’instance, de la péremption d’instance, du sursis à statuer, du désistement et de l’acquiescement.

[8] Ce sont les demandes reconventionnelle et additionnelle ainsi que l’intervention.

[9] Le droit international privé en l’occurrence.

[10] Le droit continental intègre essentiellement le droit romaniste dans lequel se résorbe le for béninois

[11] Par l’une des parties au procès international.

[12]Req., 30 Mai 1827.

[13] Arrêt  Société Miniera di Fragne 1ère Civ, 26 novembre 1974, pourvoi n°73-13820 « l’exception de litispendance peut être reçue devant le juge français en raison d’une instance engagée devant un tribunal étranger également compétent, mais ne saurait être accueillie  lorsque la décision à intervenir à l’étranger n’est pas susceptible d’être reconnue en France ainsi si une partie  invoque l’exception de litispendance et prouve l’heure à laquelle elle a saisi la juridiction dont elle revendique la compétence, il incombera à l’autre partie, qui souhaite écarter cette exception, de prouver sa saisine antérieure.(1ere Civ, 11juin 2008, pourvoi N° 06-20.042).Cela signifie que lorsque deux juridictions ont été saisies le même jour, celui qui invoque l'exception de  litispendance et prouve l'heure à laquelle il a saisi le juge étranger, bénéficie d'une présomption d'antériorité qui contraint l'autre partie à prouver que lejuge français a été le premier saisi.

[14] La litispendance européenne est réglée par l'article 27-1 du Règlement n°44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000. C'est une notion autonome, qui doit faire l'objet d'une interprétation extensive. Selon un arrêt de la Première Chambre de la Cour de cassation (1ère CIV. - 17 janvier 2006, BICC 638 du 15 avril 2006), viole ce texte la cour d'appel qui, saisie d'une action en contrefaçon, rejette la demande de dessaisissement formée par la société défenderesse au profit d'une juridiction italienne saisie d'un litige opposant les mêmes parties, portant sur la résiliation de leurs conventions et le caractère licite de l'usage par la société des dessins fournis par son cocontractant. De même la Cour de cassation a jugé (1ère CIV. - 6 décembre 2005-BICC n°636 du 15 mars 2006) qu'ayant constaté que deux instances en divorce opposant les mêmes parties avaient le même objet et étaient fondées sur la même cause, que deux juridictions, l'une française l'autre étrangère, étaient concurremment compétentes et qu'aucune fraude à la loi n'était établie, une cour d'appel retient exactement que les conditions de la litispendance internationale sont réunies et peut estimer devoir se dessaisir au profit de la juridiction étrangère qui, comme l'a retenu le juge étranger, a par une requête antérieurement signifiée été saisie en premier de l'action en divorce. Il est jugé encore, que L'article 2 § 1 b) du Règlement CE n°1347/2000 du 29 mai 2000 (Bruxelles II) ne consacre qu'une compétence facultative de la juridiction française, impropre à exclure la compétence d'un juge étranger. L'exception de litispendance internationale soulevée au profit des juridictions étrangères, doit être accueillies lorsque le juge du fond a constaté qu'elles étaient également compétentes eu égard à leurs propres règles de conflits, et qu'elles ont été saisies en premier (1ère Chambre civile 1, 17 juin 2009, pourvoi n°08-12456, BICC n°713 du 15 décembre 2009 et Legifrance). Mais, l'exception de litispendance en raison d'une instance engagée devant un tribunal étranger également compétent ne peut être accueillie si la décision à intervenir n'est pas susceptible d'être reconnue en France. Le juge du fond ayant relevé que la procédure intentée au Liban par le mari était une répudiation unilatérale, et que l'épouse n'avait eu qu'un délai de quinze jours entre la requête et la première audience, alors qu'elle résidait en France, il en a justement déduit que la décision à intervenir qui heurtait des principes d'égalité entre époux et de respect des droits de la défense ne pourrait pas être reconnue en France de sorte que l'exception de litispendance internationale ne pouvait qu'être écartée. (1ère Chambre civile 23 février 2011, pourvoi n°10-14101, BICC n°744 du 15 juin 2011 et Legifrance).

[15] Cass. Civ. 22 juin 1999 RCDIP 2000,42.

[16]Blair, The doctrine of forum non Conveniens in Anglo-American Law, Columbia Law Review, 29 ; v. également J.-J. Fawcett, General Report, in Declining Jurisdiction in Private International Law 10-26 (1995).

[17] L’accès du défendeur au juge et parallèlement l’accès du juge aux éléments de preuve, le lieu d’exécution de la décision sollicitée, les difficultés dans l’application du droit applicable, la situation d’inégalité entre les parties, le comportement vexatoire ou d’une partie, l’existence d’une procédure parallèle à l’étranger, etc. sont entre autres intérêts susceptibles d’être pris en considération par le juge.

[18]20-7-2000, S.W.B. Lubbe c/ Cape pic :Rev.crit. 2002.690 note C. Chalas.

[19] Même si il convient aujourd’hui de parler de système mixe écossais.

[20] La théorie du forum non conveniens existe également en Angleterre, en Irlande, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada ou encore en Israël. Aujourd’hui, il existe toutefois plusieurs variations concernant cette théorie. À titre d’exemples, citons le Japon qui connaît un principe similaire connu sous le nom de  considération « des  circonstances particulières ». Ce principe permet ainsi au juge japonais de refuser de connaître d’une affaire si le fait de se déclarer compétent pourrait être contraire aux  principes de la justice et ce, eu égard aux circonstances particulières d’une espèce (v. sur la question, MasatoDogauchi, The Hague Draft Convention on Jurisdiction and ForeignJudgments in Civil and Commercial Mattersfrom the Perspective of Japan, Japanese Journal of Private International Law, no3 (2001)).

[21] Paxton-Blair fut juge puis solicitor general de l’État de New York.

[22]ANCEL (B)et  MUIR WATT (Y.)JDI, 2007, p.956, note.

[23]Gulf Oil Corp. v. Gilbert, 330 US 501, 67 S.Ct. 839.91 L.ed. 1065 (1947) ; Vargas v. A.H. Bull S.S.Co. 44 N.J. Super.536, 131 A. 2d 39 (1957).

[24]  Liste à laquelle il convient d’ajouter le juge allemand, suisse, grec, finlandais ou encore argentin, tous issus de pays qui ne connaissent pas la théorie du forum nonconveniens.

[25] Cour suprême des États-Unis - Gulf Oil Corp. c/ Gilbert, 330 US 501, 504-05 (1947) et Piper Aircraft Co. c/ Reyno, 454 US 246, 248 no 13 (1981) et House of Lords anglaise Spillada Maritime Corporation v. Cansulex, Ltd, 1986.

[26] Piper Aircraft, 454 US, p. 254 n. 22.

[27] C’est dans l’affaire Gilbert que le juge américain a exposé la liste desdits facteurs d’intérêts privés et publics

À titre d’exemples, les facteurs d’intérêts privés comportent : (i) la relative facilité d’accès aux sources de preuve ; (ii) l’existence d’une procédure permettant la comparution forcée des témoins désireux de témoigner et le coût d’une telle procédure ; (iii) la possibilité de se rendre sur le lieu de l’accident, si cela est nécessaire pour les besoins de la cause ; (iv) les aspects pratiques pouvant rendre l’instruction de l’affaire facile, rapide et peu coûteuse. Les facteurs d’intérêts publics comprennent quant à eux : (i) les difficultés administratives liées à l’engorgement du tribunal ; (ii) l’intérêt local à voir des litiges nationaux réglés sur place ; (iii) l’intérêt à voir le procès se tenir devant un tribunal qui connaît suffisamment bien le droit applicable.

[28]La théorie du forum non conveniens peut constituer une nouvelle arme dans la lutte judiciaire contre un demandeur qui engagerait une action dans un État Y plutôt que dans un État X uniquement pour des raisons financières. Une telle théorie permet ainsi de donner à chaque fois compétence au tribunal avec lequel

le litige présente davantage de liens qui sera mieux à même de juger l’affaire. L’existence de la théorie du forum non conveniens peut dans certaines situations décourager toute velléité de forum shopping.

Il arrive trop fréquemment qu’une autorité judiciaire soit priée d’exercer sa compétence dans une affaire qui pourtant ne lui est nullement rattachée par des liens suffisants. En laissant au juge une grande marge de manœuvre dans l’appréciation de sa compétence, les pays dits de common law ne laissent que peu de place à une telle fraude. La sanction d’une telle fraude peut s’opérer par le refus du juge d’exercer sa compétence internationale par le biais notamment de l’exception de forum non conveniens. Il en est ainsi aux États-Unis et plus généralement dans les pays de common law, où les règles de compétence internationale sont conçues de telles manières qu’elles autorisent le juge saisi à refuser d’exercer sa compétence lorsque l’action exercée devant lui semble se prêter à une fraude.

[29]aff. Gasser, CJCE 9 dec.2003, RCDIP 2004, p.450, note MUIR WATT (H).

[30] CJCE 27 avril 2004, RCDIP 2004, p.654, note MUIR WATT (H.), gaz.Pal. 15 janv.2005, p.30, et la note.

[31]cf.MUIR WATT(H.) note précitée et RCDIP 2003, p.119.

[32] cf. Les conclusions de l’avocat général Legier présentées dans cette affaire.

[33]«  Formule en faveur de l’arbitrage international pour exprimer qu’en règle, l’arbitre est par priorité le juge de sa propre compétence » CORNU (G.), Vocabulaire juridique, association Henri Capitant, edition 2011 PUF.

[34] HATZIMIHAIL (N.) et NUYTS (A.), « judicial cooperation between the united states end Europe in civil and commercial matters : an overviex of issues », in International civil litigation in Europe and relations with third states, Bruylant 2005, p.7.

[35]Voir N Hatzimihail et A.Nuyts, « judicial cooperation between the united states end Europe in civil and commercial matters : an overviex of issues », in Internationalcivil litigation in Europe and relations with third states, Bruylant 2005, p.7.

[36] Avant-projet de convention sur la compétence et les effets des jugements étrangers en matière civile et commerciale, adopté par la commission spéciale le 30 octobre 1999.

[37] Sur ce projet voir, A.VonMehren « La rédaction d’une convention universellement acceptable sur la compétence judiciaire internationale et les effets des jugements étrangers : le projet de convention de la Haye peut-il aboutir ?, RCDIP 2001, p.85 et sur son échec » voir également, BENNETT(D.), « the Hague convention on Recognition and Enforcement of foreignJudgments, A failure of characterisation », et D.Girsberger, « The Hague Convention on IndirectlyHeld Securities – Dynamics of the making of a modern privateinternationallawtreaty », p.139, in InternationalCooperationthroughPrivateinternational Law, Essays in Memory of Peter E.Nygh, T.M.C. AsserPress, 2004, p.19.

[38]Voir C. Chalas, « L’exercice discrétionnaire de la compétence juridictionnelle en droit international privé », Pref. MUIR WATT, PUAM 2000 ; A. Nuyts, thèse précitée supra note 19 sur l’exception de forum non conveniens … » et  CORNUT (E.), thèse précitée supra note 19 sur « théorie critique de la fraude à la loi … ».

[39] Voir la résolution de l’Institut de Droit International sur les principes relatifs à l’usage de la doctrine du forum non conveniens et des injonctions anti-suit, du 2 septembre 2003, session de Bruges.

[40] Voir les principes de Louvan et de Londres, rapport de la 69ème conférence, 2000, sur le site de l’association de droit international, www.ila-hq.org.

[41]CJCE 1er mars 2005, Gaz.Pal.2005, n.148.

[42] Art. 21 et 22 de l’avant-projet de convention mondiale de La Haye.

[43]Parmi lesquels il convient de citer  LAGARDE (P.), dans son cours fondateur sur le principe de proximité précité supra note 24, mais aussi  SHLOSSER (P.), « Jurisdiction and InternationalJudicial and administrative Co-Operation », RCDAI, 2000, t. 284, p. 417 ; .AUDIT (B.), « Le droit international privé en quête d’universalité », RCDAI, 2003,  305, p.392 ; rapport dans « La réception du droit communautaire… » note ; « les nouvelles figures de la coopération judiciaire civile européenne », Droit et patrimoine, novembre 2004, p. 56 et s.

[44] Nous faisons référence ici à internet surtout.

[45] Arrêt du 27 avril 2004, aff. 159/02; R.D.C. , 2004, p. 800, note T. Kruger; obs . A. Mourre et Y. Lahlou, R.D.A.I., 2004, pp. 553 et s.

Sur l’arrêt de renvoi de la Chambre des Lords du 13 décembre 2001, voy. H. Muir Watt, Rev. crit. dr. int. priv., 2003, pp. 116 et s.

[46] Les règles de base qui régissent l’octroi des injonctions anti-suit en droit anglais ont été dégagées par la Chambre des Lords dans les affaires S.N.I. Aérospatiale c. Lee Kui Jack, [1987] A.C., 871 et Airbus Industrie G.I.E. c. Patel, [1999], 1, A.C., 119. Pour un examen synthétique de cette jurisprudence, voy. Dicey et Morris, Conflict of Laws, 13e éd., p. 415.

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