L’ambivalence du régime juridique des autorités administratives indépendantes en Algérie

Publié le Modifié le 23/02/2017 Vu 7 056 fois 0
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Au regard du caractère administratif attaché aux autorités administratives indépendantes , il va de soi qu’elles obéissent à un régime de droit public, au même titre que les autres institutions qualifiées comme telles par les textes juridiques. Toutefois, et en raison de la spécificité des missions affectées à ces organes, des objectifs visés à travers leur création, elles ne peuvent être soumises à un régime de droit public exclusif de nature à entacher l’efficacité de leur action. C’est pourquoi le législateur tempère le régime de droit public au moyen de doses de droit privé.

Au regard du caractère administratif attaché aux autorités administratives indépendantes , il va de soi qu

L’ambivalence du régime juridique des  autorités administratives indépendantes en Algérie

Au regard du caractère administratif attaché aux autorités administratives indépendantes[1]il va de soi qu’elles obéissent à un régime de droit public, au même titre que les autres institutions qualifiées comme telles par les textes juridiques. Toutefois, et en raison de la spécificité des missions imparties à ces organes, des objectifs visés à travers leur création, ils ne peuvent être soumis à un régime de droit public exclusif de nature à entacher l’efficacité de leur action. C’est pourquoi le législateur tempère le régime de droit public au moyen de doses de droit privé.

1 - Le principe de la soumission au droit public

Les autorités administratives indépendantes sont logiquement soumises à un régime de droit public : le caractère administratif des organes commande en effet qu’elles obéissent aux mêmes règles auxquelles sont soumis les établissements publics à caractère administratif ou encore les organes de l’Etat. Un tel régime exorbitant a trait au personnel employé par les structures en cause, à la comptabilité et au contentieux de ces organes.

a – Le personnel

Le personnel des autorités administratives indépendantes est constitué de fonctionnaires ou d’agents publics soumis soit au statut général de la fonction publique, soit au dispositif régissant les agents publics contractuels.

A titre d’exemple, les personnels de l’Agence nationale du patrimoine minier ainsi que de l’Agence nationale de la géologie et du contrôle minier sont soumis au droit public. En vertu des décrets exécutifs portant règlements intérieurs des deux agences, « Le personnel de l’agence a la qualité d’agent public et exerce, à titre permanent ou temporaire conformément à la législation et à la réglementation en vigueur »[2]. Il en va de même du personnel de l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption, constitué de fonctionnaires et d’agents contractuels de droit public[3].

Dans certains cas, et en l’absence de dispositions expresses, la qualité d’agent public peut être déduite d’un faisceau d’indices. S’agissant par exemple du Conseil de la concurrence, et en vertu des dispositions de l'article 6 du décret exécutif du 10 juillet 2011 ayant trait à l’organisation et au fonctionnement du conseil de la concurrence, modifié et complété par décret exécutif n° 15-79 du 8 mars 2015, « Les personnels du conseil sont régis par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur »[4]. Si de telles dispositions n’ont pas de sens précis, par contre les dispositions des articles 4 et 5 du même texte contiennent des éléments précieux : en effet, l’article 4 dispose que « L’organisation des directions en services est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé des finances, de l’autorité chargée de la fonction publique et du président du conseil de la concurrence ». Quant à l’article 5, il précise que « Les directeurs du conseil sont nommés par décision du président du conseil et rémunérés par référence à la rémunération de directeur d’administration centrale de ministère.
Les chefs de services du conseil sont nommés par décision du président du conseil et rémunérés par référence au poste de chef de bureau d’administration centrale de ministère ».

De telles dispositions qui font référence à l’autorité chargée de la fonction publique, aux postes supérieurs de l’administration centrale des ministères, ce à quoi il faut ajouter la référence au statut général de la fonction publique dans les visas du décret exécutif, constituent un faisceau d’indices permettant de soutenir que le personnel de l’organe est constitué d’agents publics. C’est d’ailleurs la solution adoptée sous l’empire de l’ordonnance de 1995 relative à la concurrence. En effet, le règlement intérieur du Conseil de la concurrence précise en son article 14 que « Les personnels administratifs, techniques et de service bénéficient du régime indemnitaire prévu par la réglementation en vigueur applicable aux personnels des services du Chef du Gouvernement ». En outre, l'article 45 du même texte précise que « Les personnels visés à l'article 14 ci-dessus sont régis en matière disciplinaire, par la réglementation applicable aux corps communs de l'administration publique »[5].

b - Le régime comptable

En principe, les autorités administratives indépendantes sont soumises au régime de la comptabilité publique[6]. A titre illustratif, en vertu de l'article 23 du décret présidentiel ayant trait à l'Organe national de prévention et de lutte contre la corruption, « La comptabilité de l'organe est tenue selon les règles de la comptabilité publique. La tenue de la comptabilité est assurée par un agent comptable désigné ou agréé par le ministre chargé des finances ». Quant à l'article 24 du même texte, il précise que « Le contrôle financier de l'organe est exercé par un contrôleur financier désigné par le ministre chargé des finances ».

On peut également citer l’exemple de la Cellule de traitement du renseignement financier dont le texte institutif précise que « La gestion des crédits alloués est régie selon les règles de la comptabilité publique, par un agent comptable désigné à cet effet »[7].

S’agissant de l’Autorité de régulation de la presse écrite, et en vertu de l’article 49 de la loi organique relative à l’information, « Les crédits nécessaires à l'accomplissement des missions de l’autorité de régulation de la presse écrite sont inscrits au budget général de l'Etat.

La comptabilité de l’autorité de régulation de la presse écrite est tenue conformément aux règles de la comptabilité publique par un agent comptable désigné par le ministre chargé des finances.

Le contrôle des dépenses de l’autorité de régulation de la presse écrite s’exerce conformément aux procédures de la comptabilité publique ».

c – Le régime contentieux

Toutes les autorités administratives sont soumises au contrôle du juge administratif. S’agissant du contrôle de la légalité des actes individuels et réglementaires, il relève de la compétence du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort. En effet,  les textes institutifs de tels organes précisent, pour la plupart, que le Conseil d’Etat est compétent pour juger de la légalité des actes pris par les autorités administratives indépendantes. A titre d’exemple, les décisions prises par la Commission bancaire relèvent de la compétence du Conseil d’Etat en application des dispositions de l’article 107 de la loi relative à la monnaie et au crédit. De même, l'article 139 de la loi relative à l'électricité et à la distribution du gaz prévoit que « les décisions de la Commission de régulation … peuvent faire l'objet d'un recours juridictionnel devant le Conseil d'Etat ». La même solution est également prévue pour le contentieux des actes tant individuels que réglementaires pris par la COSOB.

Il reste qu’on ne manque pas d’être étonné à la lecture de telles dispositions en ce que les compétences du Conseil d’Etat sont définies par la loi organique et non par une loi ordinaire, ce qui pose nécessairement la question de la constitutionnalité de telles dispositions[8].

Dans certains cas, les textes passent sous silence une telle question à l'instar de la loi organique relative à l’information. Il y est prévu que l’Autorité de régulation de la presse écrite dispose d’un délai de soixante (60) jours à compter de la date de dépôt de la déclaration pour délivrer l’agrément au demandeur. La loi organique prévoit en son article 14 qu’en cas de refus de l’agrément, elle notifie au demandeur la décision motivée avant l’expiration du délai de soixante jours. « Cette décision est susceptible de recours devant la juridiction compétente ». On le voit, de telles dispositions ne sont d’aucune utilité pour déterminer le juge compétent.

Dans un tel cas de silence de la loi, on est contraint de se référer aux dispositions de l’article 9 de la loi organique ayant trait au Conseil d’Etat qui dispose que ce dernier « connaît en premier et dernier ressort des recours en annulation (…) formés contre les actes administratifs émanant des autorités administratives centrales, des institutions publiques nationales et des organisations professionnelles nationales »[9]. Le même texte ajoute : « Il connait également des affaires que lui confèrent des textes particuliers »[10].

Dans la mesure où les autorités administratives indépendantes entrent dans la catégorie des institutions publiques nationales, nul doute que le contentieux de la légalité des décisions de l’Autorité de régulation de la presse écrite relève de la compétence du Conseil d’Etat[11]. En outre, tous les textes institutifs d'autorités administratives indépendantes soumettent les actes de ces dernières au contrôle du Conseil d'Etat. Elles ne peuvent y être soumises que si l'on admet qu'elles rentrent dans la catégorie des institutions publiques nationales, étant exclu qu'elles soient considérées comme des autorités administratives centrales en ce que ces dernières ne sont pas dotées de la personnalité morale, contrairement aux autorités administratives indépendantes.

S’agissant du contentieux de la responsabilité, et en l’absence de toute référence à une telle matière dans les textes institutifs des autorités administratives indépendantes, on est contraint de se référer aux règles de droit commun régissant le domaine de la responsabilité des personnes publiques et des autorités administratives. De telles règles posent toutefois problème en ce que le Code de procédure civile et administrative semble ignorer la catégorie des autorités administratives indépendantes.

Lorsque l'autorité administrative indépendante ne bénéficie pas de la personnalité juridique, à l'image du Conseil de la monnaie et du crédit, de la Commission bancaire ou de la Commission de supervision des assurances, l'action en responsabilité est dirigée contre l'Etat. Ici, et en vertu de l'article 800 du Code de procédure civile et administrative, le tribunal administratif est compétente pour accueillir un tel recours. Par contre, lorsque l'autorité de régulation bénéficie de la personnalité morale, la question de la compétence se pose avec acuité en raison d'une rédaction défectueuse des articles 800 et 801 du Code précité qui font référence au contentieux de l’Etat, de la wilaya, de la commune et de l’établissement public administratif.

C’est en définitive au prix d’une lecture croisée des dispositions des articles 800 et 801 du Code de procédure civile et administrative et de l’article 1er de la loi du 30 mai 1998[12] qu’on découvre la compétence du tribunal administratif. En effet, l’article 800 dispose en son alinéa 1er que « Les tribunaux administratifs sont les juridictions de droit commun en matière de contentieux administratif », tandis que l’article 801 précise que « Les tribunaux administratifs sont également compétents pour statuer sur (…) les recours de pleine juridiction ». Enfin l'article 1er de la loi du 30 mai 1998 relative aux tribunaux administratifs précise que ces derniers sont des « juridictions de droit commun en matière administrative ». Ainsi, au vu du caractère administratif attaché aux autorités administratives indépendantes, le contentieux de la responsabilité de ces organes relève de la compétence des tribunaux administratifs.

2 - La soumission dérogatoire au droit privé, gage de souplesse

Par souci d'apporter un correctif au caractère rigide du régime de droit public  applicable aux autorités administratives indépendantes s'agissant du personnel ou de la comptabilité, le législateur ne manque pas d'introduire des doses de droit privé dans un tel régime sans que cela n'altère la relative homogénéité de la catégorie.

Ainsi, et dans un certain nombre de cas de figure, le législateur institue une autorité administrative indépendante en la soustrayant toutefois partiellement au régime de droit public. A titre d'exemple, et dans le domaine des télécommunications, l'Autorité de régulation estime dans son rapport annuel pour l'année 2001 que dans la mesure où l'un des objectifs de la régulation consiste à « remédier à la rigidité des systèmes administratif et judiciaire classiques, qui peuvent, dans une certaine mesure, apparaître inadaptés aux spécificités de secteurs complexes comme ceux de la poste et des télécommunications », le rattachement de l'Autorité de régulation de la poste et des télécommunications « à un statut juridique déjà existant a été écarté ». Le rapport ajoute que le statut de l'établissement public à caractère administratif est inadéquat d'abord en ce que « le régime financier et comptable applicable aux EPA risque de générer des difficultés en matière de souplesse du fonctionnement de l'Autorité (procédures lourdes, contrôles externes à priori des engagements). Par ailleurs, ces établissements ne disposent pas de comptabilité patrimoniale, ce qui risquerait de nuire à la qualité de l'information comptable. Alors qu'une telle comptabilité serait particulièrement utile pour suivre la collecte des redevances et rémunérations diverses voire pour gérer le fonds de service universel. De même, la transparence de la gestion de l’Autorité pourrait, en outre, être garantie par l'intervention d'auditeurs externes, ce qui est impossible pour les établissements publics. D'une manière plus générale, les entités publiques connaissent un manque de souplesse dans la gestion des personnels, alors qu'il est indispensable que l'Autorité puisse bénéficier des grilles de rémunération indexées sur celles du secteur privé concurrentiel »[13].

a – Le régime de droit privé du personnel

Le personnel de certaines autorités administratives indépendantes échappe au régime de droit public pour être soumis aux règles de droit commun du travail.

A titre d’exemple, le statut des personnels de l’Autorité de régulation des services publics de l'eau, annexé au décret exécutif du 21 octobre 2010, précise en son article 2 que « Les personnels de l’autorité de régulation des services publics de l’eau sont soumis aux droits et obligations fixés par la loi n° 90-11 du 21 avril 1990, modifiée et complétée, susvisée »[14].

De même, le statut des personnels de la COSOB est déterminé est déterminé par règlement de la commission et ce, en application de l’article 29 du décret législatif du 23 mai 1993 modifié et complété relatif à la bourse des valeurs mobilières. Le règlement en cause précise ainsi que « La rémunération et la classification du personnel sont fixées par décision du président après avis de la commission »[15].

Dans le cas de l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications, le statut des personnels est fixé par le règlement intérieur de l'autorité de régulation et ce, en vertu de l’article 20 de la loi du 5 août 2000 fixant les règles générales relatives à la poste et aux télécommunications, modifiée et complétée.

Enfin, la loi du 5 février 2002 relative à l'électricité et à la distribution du gaz par canalisations dispose en son article 119 que le président du comité de direction de la Commission de régulation assume tous les pouvoirs nécessaires, notamment en matière de nomination et de révocation de tous employés et agents et de rémunération du personnel, ce qui signifie qu’il s’agit de salariés privés, soumis aux règles de droit commun du travail.

b – Le régime de la comptabilité commerciale

Dans le cas du secteur minier, l'article 21 du décret exécutif portant règlement intérieur de l’Agence nationale du patrimoine minier[16] prévoit que « La comptabilité de l’agence est tenue en la forme commerciale conformément à la législation et à la réglementation en vigueur ». Quant à l'article 22 du même texte, il précise que « Les comptes de l’agence sont certifiés par un commissaire aux comptes désigné conjointement par le ministre chargé des mines et le ministre chargé des finances »[17]. Les mêmes dispositions sont reproduites dans le règlement intérieur de l’agence nationale de la géologie et du contrôle minier[18].

Tel est également le cas de l'Autorité de régulation des services publics de l'eau dont la comptabilité est tenue en la forme commerciale, ce à quoi il faut ajouter que « le contrôle comptes de l'autorité de régulation est assuré par un commissaire aux comptes désigné par le ministre chargé des ressources en eau »[19].

Dans le cas de l'Agence nationale des produits pharmaceutiques à usage de la médecine humaine, l'article 173-9 du texte législatif y ayant trait dispose que « La comptabilité de l'agence est tenue en la forme commerciale ». L'article 173-10 de la même loi précise par ailleurs que « Le contrôle financier de l'agence est assuré par un commissaire aux comptes ».

c – La compétence du juge ordinaire

A la compétence de principe du juge administratif, le législateur pose une exception en ce qu'il donne compétence au juge judiciaire pour connaître des recours formés contre certaines décisions du Conseil de la concurrence. Tandis que les décisions de rejet des opérations de concentration sont susceptibles d’un recours devant le Conseil d’Etat, les injonctions, les mesures provisoires et les sanctions prononcées par le Conseil de la concurrence « peuvent faire l'objet d’un recours auprès de la Cour d’Alger, statuant en matière commerciale, par les parties concernées ou par le ministre chargé du commerce » et ce, en application des dispositions de l’article 63 de l’ordonnance de 2003 relative à la concurrence.

Toutefois, de telles dispositions ne lèvent nullement l’incertitude concernant le juge compétent en matière de mise en jeu de la responsabilité du Conseil de la concurrence du fait de ses décisions ou de ses carences.

En effet, le législateur s'est contenté de prévoir des actions en réparation à l'encontre des entreprises responsables de pratiques restrictives de concurrence et ce, devant les juridictions civiles ou commerciales. Quant aux entreprises poursuivies et sanctionnées par le  Conseil de la concurrence, bénéficient-elles d'un droit à réparation dans le cas où les sanctions prononcées à leur encontre sont annulées par la chambre commerciale de la cour d'Alger ? Lorsqu'à des conclusions à fin d'annulation d'une décision du Conseil de la concurrence sont jointes des demandes en indemnisation fondées sur l'illégalité d'une telle décision, doit-on retenir la compétence de la cour d'Alger ? Le juge administratif ne retrouve-t-il pas dans ce cas sa compétence de principe ?

Selon une première approche, on peut tout à fait admettre que la compétence du juge judiciaire est une compétence d'exception qui doit conduire à une interprétation restrictive des termes de la loi. A ce titre, on peut soutenir que le législateur a transféré au juge judiciaire, à titre exceptionnel, la compétence pour connaître des recours contre les décisions du Conseil de la concurrence. Il s'agit ainsi d'une compétence d'attribution qui ne peut faire échec à la compétence de principe du juge administratif. Dans la mesure où la loi reste muette sur les recours en responsabilité, le juge administratif pourrait recouvrer sa pleine compétence pour accueillir les recours en responsabilité mettant en cause le Conseil de la concurrence.

Une telle interprétation comporte cependant des risques majeurs de morcellement du contentieux de l'activité du Conseil de la concurrence. Elle conduit en effet les justiciables à intenter deux recours, l'un en annulation ou en réformation devant le juge judiciaire, l'autre en responsabilité devant le tribunal administratif. A propos de la même décision, il est tout à fait plausible d'aboutir à des solutions jurisprudentielles contradictoires. Or le transfert des compétences du juge administratif au profit du juge judiciaire est principalement fondé sur un argument d'unification des règles de compétence au sein d'un même ordre de juridictions. En effet, l'ordonnance relative à la concurrence admet que les personnes physiques ou morales qui s'estiment lésées par une pratique restrictive peuvent saisir le juge ordinaire en vue d'obtenir réparation du préjudice subi du fait de l'entreprise qui en est l'auteur[20]. La cour d'Alger comme les autres juridictions de l'ordre judiciaire étant coiffées par la Cour suprême, il est ainsi permis à cette dernière de veiller à l'unification de la jurisprudence en matière de concurrence[21]. Dans la mesure où le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence relève du juge judiciaire dont la compétence a été retenue pour trancher les litiges découlant de pratiques restrictives de concurrence, soit les actions en responsabilité ou en nullité engagées par les entreprises ayant subi un préjudice, il est tout à fait souhaitable que les contestations de toute sorte, qu'elles aient été traitées par le juge civil, le juge commercial ou le Conseil de la concurrence, puissent être tranchées en dernier ressort par une juridiction unique. Une telle solution comporte un avantage certain : le contrôle en dernière instance des comportements et pratiques restrictifs de concurrence serait placé entre les mains d'une même juridiction : en l'occurrence la Cour suprême. On irait ainsi vers la consécration d'un bloc de compétence au profit du juge judiciaire, peu importe la qualité d'autorité administrative conférée au Conseil de la concurrence.

Une telle solution, qui joue en faveur du justiciable comme elle a le mérite de la clarté, aurait dû toutefois faire l'objet d'une dérogation législative expresse afin d'éviter les conflits positifs ou négatifs de compétence entre les deux ordres de juridictions.

En second lieu, si l'on admet la compétence de la chambre commerciale de la cour d'Alger pour connaître des actions en responsabilité dirigées contre le Conseil de la concurrence du fait de ses décisions, la solution n'est pas des plus évidentes lorsque l'action est dirigée contre le même organe du fait de ses carences qui ont causé un préjudice, soit en l'absence de toute décision. En France, par exemple, il a été jugé que les actions tendant à la réparation des préjudices causés par un fonctionnement défectueux des services de l'Autorité des marchés financiers relèvent de la compétence du juge administratif[22].

Selon le Tribunal des conflits, lorsque le litige est étranger à toute décision individuelle que l'Autorité aurait prise et « concerne l'exécution par cette autorité de sa mission de service public administratif (…), ce litige relève de la juridiction administrative ». Une telle solution peut être étendue en toute logique à l'Autorité de la concurrence. En effet, si le juge judiciaire est bien compétent, de par une disposition expresse de la loi, pour connaître des recours formés contre certaines décisions individuelles de l'Autorité et si, par suite, il en va de même pour les actions tendant à la réparation des conséquences dommageables nées de telles décisions, « en revanche, la loi n'impose pas de déroger au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires pour les actions mettant en cause le fonctionnement défectueux des services de cette autorité, qui relèvent donc de la compétence naturelle de la juridiction administrative »[23]. La solution retenue par la Tribunal des conflits peut être transposée dans le cas du droit algérien dans la mesure où l'ordonnance relative à la concurrence ne donne compétence à la cour d'Alger que pour connaître des recours dirigés contre les décisions du Conseil de la concurrence[24].

 

[1] Sur la question, voir Rachid ZOUAÏMIA, Les autorités administratives indépendantes et la régulation économique en Algérie, Editions Houma, Alger, 2005 ; du même auteur, Les autorités de régulation indépendantes dans le secteur financier en Algérie, Editions Houma, Alger, 2005 ; Droit de la régulation économique, Berti Editions, Alger, 2008 ; Les instruments juridiques de la régulation économique en Algérie, Editions Belkeise, Alger, 2012 ; Les Autorités de régulation financière en Algérie, Editions Belkeise, Alger, 2013 ; Les autorités de régulation indépendantes face aux exigences de la gouvernance, Editions Belkeise, Alger.

[2] Article 31 du décret exécutif n° 04-93 du 1er avril 2004 portant règlement intérieur de l’agence nationale du patrimoine minier, JORA n° 20 du 4  avril  2004, article 31 du décret exécutif n° 04-94 du 1er avril 2004 portant règlement intérieur de l’agence nationale de la géologie et du contrôle minier, JORA n° 20 du 4  avril  2004.

[3] Voir décret présidentiel n° 12-65 du 7 février 2012 fixant le régime indemnitaire applicable aux membres du conseil de veille et d’évaluation ainsi que le mode de rémunération des fonctionnaires et agents publics exerçant au sein de l’organe national de prévention et de lutte contre la corruption, JORA n° 8 du 15 février 2012.

[4] Décret exécutif n° 11-241 du 10 juillet 2011 fixant l’organisation et le fonctionnement du conseil de la concurrence, JORA n° 39 du 13 juillet 2011.

[5] Décret présidentiel n° 96-44 du 17 janvier 1996 fixant le règlement intérieur du conseil de la concurrence, JORA n° 05 du 21 janvier 1996. Quant au texte actuellement en vigueur, il s'agit de la Décision n° 01 du 24 juillet 2013 fixant le Règlement intérieur du Conseil de la concurrence, Bulletin officiel de la concurrence, n° 3,  6 décembre 2015.

[6] Loi n° 90-21 du 15 août 1990 relative à la comptabilité publique, JORA n° 35 du 15 août 1990, modifiée et complétée par décret législatif n° 92-04 du 11 octobre 1992 portant loi de finances complémentaire pour 1992, JORA n° 73 du 11 octobre 1992, modifiée par loi n° 98-12 du 31 décembre 1998 portant loi de finances pour 1999, JORA n° 98 du 31 décembre 1998, modifiée et complétée par loi n° 99-11 du 23 décembre 1999 portant loi de finances pour 2000, JORA n° 92 du 25 décembre 1999.

[7] Art. 20 du décret exécutif n° 2002-127 du 7 avril 2002 portant création, organisation et fonctionnement de la cellule de traitement du renseignement financier (CTRF), JORA n° 23 du 07 avril 2002, modifié et complété par décret exécutif n° 08-275 du 6 septembre 2008, JORA n° 50 du 7 septembre 2008, modifié et complété par décret exécutif n° 10-237 du 10 octobre 2010, JORA n° 59 du 13 octobre 2010, modifié et complété par décret exécutif n° 13-157 du 15 avril 2013, JORA n° 23 du 28 avril 2013.

[8] Sur la question, voir Rachid ZOUAÏMIA, Les instruments juridiques de la régulation économique, Editions Belkeise, Alger, pp. 213-242.

[9] Loi organique n° 98-01 du 30 mai 1998 relative aux compétences, à l'organisation et au fonctionnement du conseil d'Etat, JORA n° 37 du 01-06-1998, modifiée et complétée par loi organique n° 11-13 du 26 juillet 2011, JORA n° 43 du 3 août 2011.

[10] A propos de l'expression « textes particuliers », le Conseil constitutionnel n'a pas manqué de déclarer que les dispositions rajoutées à l'article 9 de la loi organique sont conformes à la Constitution sous réserve que le législateur ait entendu par textes particuliers « des textes revêtant la même nature juridique que celle de la loi organique, objet de saisine ». Voir, Avis n° 02/A.CC/11 du 6 juillet 2011 relatif au contrôle de la conformité de la loi organique modifiant et complétant la loi organique n° 98-01 du 30 mai 1998 relative aux compétences, à l'organisation et au fonctionnement du Conseil d'Etat, à la Constitution, JORA n° 43 du 3 août 2011. 

[11] Le même raisonnement est valable dans le cas de l’Autorité de régulation des services publics de l’eau.

[12] Loi n° 98-02 du 30 mai 1998 relative aux tribunaux administratifs, JORA n° 37 du 1er juin 1998.

[13] Autorité de Régulation de la Poste et des Télécommunications, Rapport Annuel 2001, www.arpt.dz/

[14] Décret exécutif n° 10-261 du 21 octobre 2010 portant approbation du statut des personnels de l’autorité de régulation des services publics de l’eau, JORA n° 64 du 28 octobre 2010.

[15] Art. 7 du Règlement n° 2000-03 du 28 septembre 2000 portant organisation et fonctionnement des services administratifs et techniques de la Commission d'organisation et de surveillance des opérations de bourse, JORA n° 08 du 31 janvier 2001.

[16] Décret exécutif n° 04-93 du 1er avril 2004 portant règlement intérieur de l’agence nationale du patrimoine minier, JORA n° 20 du 4 avril 2004.

[17] Loi n° 07-11 du 25 novembre 2007 portant système comptable financier, JORA n° 74 du 25 novembre 2007, modifiée par ordonnance n° 08-02 du 24 juillet 2008 portant loi de finances complémentaire pour 2008, JORA n° 42 du 27 juillet 2008 ; décret exécutif n° 08-156 du 26 mai 2008 portant application des dispositions de la loi n° 07-11 du 25 novembre 2007 portant système comptable financier, JORA n° 27 du 28 mai 2008.

[18] Décret exécutif n° 04-94 du 1er avril 2004 portant règlement intérieur de l’agence nationale de la géologie et du contrôle minier, JORA n° 20 du 4 avril 2004.

[19] Art. 18 et 20 du décret exécutif n° 08-303 du 27 septembre 2008 fixant les attributions ainsi que les règles d'organisation et de fonctionnement de l'Autorité de régulation des services publics de l'eau, JORA n° 56 du 28 septembre 2008.

[20] Art. 48 de l'ord. 03-03 du 19 juillet 2003 modifiée et complétée relative à la concurrence.

[21] L'art. 152 de la Constitution dispose que « La Cour Suprême constitue l'organe régulateur de l'activité des cours et tribunaux ».

[22] TC, 2 mai 2011, Sté Europe finance et industrie, AJDA, 2011, p. 932. Voir, Emmanuel GUILLAUME, V° Autorités de régulation (Contentieux des), Encyclopédie Dalloz, Répertoire de contentieux administratif, mise à jour juin 2011.

[23] Martine LOMBARD, « Actualité du droit de la concurrence et de la régulation. Responsabilité du fait des autorités de marché », AJDA, 2012, p. 578.

[24] Voir, Rachid ZOUAÏMIA, Droit de la concurrence, Editions Belkeise, Alger, 2012.

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