Nouveau régime des plus-values immobilières

Publié le Modifié le 04/12/2013 Vu 1 473 fois 0
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Commentaire sur le nouveau régime des plus-values, entré en vigueur le 1er septembre 2013

Commentaire sur le nouveau régime des plus-values, entré en vigueur le 1er septembre 2013

Nouveau régime des plus-values immobilières

Article paru dans la revue Gestion de Fortune, numéro d'octobre 2013

« L’enfer est pavé de bonnes intentions » disait un célèbre essayiste britannique. Comme ces mots sonnent douloureusement justes, à l’heure où les plus élémentaires principes juridiques sont sacrifiés sur l’autel de l’incompétence zélée.

Le gouvernement a récemment pris une mesure visant à alléger l’impôt sur la plus-value immobilière des particuliers. A compter du 1er septembre 2013, les plus-values immobilières réalisées par les particuliers bénéficient d’un abattement calculé sur 22 ans, au lieu de 30, et pour les ventes réalisées avant le 31 août 2014, d’un abattement supplémentaire de 25%.

Si l’esprit de la loi se défend, la forme en est désastreuse : pressé de se refaire rapidement une popularité à moindre frais, l’exécutif s’est passé de l’aval du Parlement, publiant une instruction ministérielle le 2 août, applicable un mois plus tard. L’organe législatif ne sera consulté que bien après, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2014. Les irrégularités de la procédure ont, d’un point de vue formel, mis à mal les piliers de la démocratie. Sur le fond, le contenu de la mesure a un effet beaucoup plus modeste qu’attendu. On aura finalement malmené les socles de notre droit pour un piètre résultat. Constatez plutôt par vous-mêmes.

 UNE FORME NON CONFORME

Le 16 juin dernier, le Président annonçait en grandes pompes une réforme du régime des plus-values immobilières, applicable dès septembre 2013. Le défi nous semblait impossible à relever, dans un laps de temps aussi bref, compte tenu de la longueur du processus législatif.

Pour mémoire, un projet de loi est soumis au Conseil d’Etat pour avis, puis discuté en conseil des ministres, avant d’être examiné par les députés et sénateurs, qui votent le texte, en l’état ou en y apportant des correctifs. La loi est ensuite promulguée, après contrôle éventuel du Conseil constitutionnel. On imaginait mal comment la machine législative, en pleine période de vacances parlementaires, allait pouvoir satisfaire la volonté présidentielle.

Et pourtant, quelle ne fut pas notre stupeur de découvrir, début août, que la mesure entrerait effectivement en vigueur le 1er septembre. Par quel magique procédé ? Une simple instruction ministérielle, signée Bernard Cazeneuve, notre actuel ministre du Budget, décrit les nouvelles règles à appliquer à compter du 1er septembre, en l’attente de l’adoption du projet de loi de finances pour 2014.

On en arrive donc au paradoxe suivant : une instruction ministérielle édicte une nouvelle règle, en contradiction ouverte avec la loi codifiée au Code Général des Impôts, qui fixe l’abattement pour durée de détention à 30 ans. Et, une fois n’est pas coutume, pour être opérationnelle à temps, l’administration fiscale a même actualisé le formulaire Cerfa utilisé par les notaires pour déclarer la plus-value, conformément à l’instruction ministérielle.

Le crime est si grand qu’on ne sait plus comment le qualifier.

En premier lieu, on pourrait fustiger l’amateurisme du gouvernement. Le substantif lui sied décidément à merveille. N’avions-nous pas dénoncé, en janvier dernier (voir notre article « le gouvernement et l’immobilier : la grande incompréhension ») la légèreté avec laquelle Cécile Duflot avait tenté de passer en force son projet de loi, insuffisamment préparé, sans aucun égard pour le processus législatif ?

En deuxième lieu, le diagnostic apparaît beaucoup plus préoccupant : on dénoncera à raison une confusion des pouvoirs, au profit d’une dérive présidentialiste du régime. Montesquieu ne s’en serait probablement pas remis : par souci de feindre une efficacité illusoire, l’exécutif a pris le pas sur le législatif, reléguant les Parlementaires au rang de pantins tout juste bons à ratifier les mesures déjà décidées par ses soins. Le véhicule choisi pour faire passer la mesure est, à ce titre, édifiant : une instruction ministérielle, en lieu et place d’une loi, n’était-il pas le moyen le plus sûr de contourner tous les verrous de la démocratie, vérification du conseil d’Etat, vote des assemblées, contrôle du conseil constitutionnel ? Mais museler le Parlement revient à se passer de la voix du peuple, fondement de tout pouvoir, en régime démocratique.

En troisième lieu, dans un autre registre, tout aussi grave, c’est la fragilité du dispositif qui interpelle. Imaginons le scénario suivant. Une série de ventes de résidence secondaire interviennent ce dernier trimestre, avec une imposition sur la plus-value calculée selon les nouvelles règles, profitant de l’abattement sur 22 ans de détention et de l’abattement exceptionnel de 25%.

La mesure est intégrée au projet de loi de finances pour 2014, et obtient brillamment le soutien des députés et sénateurs. Le conseil constitutionnel, saisi comme c’est de coutume pour une loi de finances, censure la disposition. L’administration fiscale, qui aura appliqué un texte fantôme, sera obligée de reprendre toutes les déclarations de plus-values pour les calculer selon les anciennes règles, et de demander aux intéressés un complément substantiel de plusieurs dizaines de milliers d’euros. On imagine très bien la colère de ceux qui auront tenté, à leurs dépens, de profiter de l’aubaine suggérée par François Hollande en juin dernier. Et leur incompréhension lorsqu’on leur expliquera que c’est parce que le gouvernement n’a pas su respecter la procédure législative.

On nous reprochera sans doute notre esprit chagrin, le contrôle du conseil constitutionnel n’aboutissant pas forcément à une censure, mais on se souviendra avec profit que, l’an dernier, une mesure à peu près identique n’avait pas résisté à l’œil sévère des juges. Sans oublier que l’instruction ministérielle, dépassant largement les attributions du ministre du budget, tomberait au moindre recours devant le juge administratif.

Pourtant, on remarquera que les occasions d’insérer cette mesure dans un véhicule normatif adéquat n’ont pas manqué : avec pas moins de quatre lois de finances rectificatives l’an dernier, on aurait aisément pu glisser une réforme de la plus-value immobilière. A moins que l’idée n’ait germé que très récemment. En résumé, on navigue à vue.

SUR LE FOND : UN MESSAGE BROUILLE PAR LA COMPLEXITE DES REGLES

La nouvelle règle prévoyant une exonération totale de la plus-value après 22 ans de détention, on a salué le retour à l’ancien régime qui prévalait avant 2004. Loin s’en faut, pour deux principaux motifs.

D’une part, contrairement à l’ancien régime, qui prévoyait un abattement linéaire de 5% après 2 ans de détention, le nouvel abattement ne prend effet qu’après 5 ans de détention, soit à compter de la 6ème année. Il est de 6% jusqu’à la 21ème année, puis de 4% la dernière année. Les reventes rapides de biens ne bénéficieront donc pas des largesses du régime.

D’autre part, vraie nouveauté: il prévoit un abattement spécifique pour les prélèvements sociaux. Jusqu’à présent, l’abattement pour durée de détention valait autant pour le calcul de l’impôt sur la plus-value que des prélèvements sociaux sur la plus-value. L’assiette était donc identique.

A présent, il va donc falloir réaliser deux calculs distincts, l’un pour l’impôt, plutôt généreux, l’autre pour les prélèvements sociaux, qui relèvent d’un abattement plutôt parcimonieux.

Il s’étale en effet sur 30 ans, à raison de 1,65% de la 6ème à la 21ème année, 1,60% pour la 22ème année, puis 9% au-delà. Les effets de l’abattement sont donc concentrés sur les dernières années de détention. Ce découplage des deux abattements est un cadeau empoisonné : le traitement des prélèvements sociaux retiendra d’une main ce que l’allègement de l’impôt sur le revenu apportera de l’autre. Cette précision risque de s’avérer douloureuse pour ceux qui s’en tiendront au résumé de la mesure : peu importe que vous possédiez le bien depuis plus de 22 ans, vous aurez quand même quelque chose à payer, non sous la forme d’impôt sur la plus-value, mais au titre des prélèvements sociaux.

Le dispositif temporaire d’abattement exceptionnel de 25% tempèrera, dans un premier temps, les effets négatifs des prélèvements sociaux, qui alourdiront sensiblement la facture, dans un second temps, à compter du 1er septembre 2014. On peut se demander si cette dissociation entre impôt sur le revenu et prélèvements sociaux ne serait pas une manœuvre pour soumettre, in fine, la plus-value afférente à la résidence principale aux prélèvements sociaux.

Après tout, on connaît un mécanisme similaire dans d’autres dispositifs fiscaux : la plus-value liée à la cession de titres dans un PEA est exonérée d’impôt après 5 ans, mais subit les prélèvements sociaux de 15,5%. Ce serait une manne pour le gouvernement, le volume des transactions touchant les résidences principales étant sans commune mesure avec le marché des résidences secondaires.

Si on étudie le champ d’application de la mesure, les deux abattements (dispositifs permanent et temporaire) prévoient des exclusions communes et particulières.

Au rang des exclusions communes, les terrains à bâtir ne bénéficieront en aucun cas du nouveau dispositif. Entendons par là que, pour l’heure, on reste sur un abattement pour durée de détention étalé sur 30 ans, que le gouvernement souhaite, du reste, abolir, dans la loi de finances pour 2014. La plus-value sur cession de terrains à bâtir subirait donc une fiscalité de 19% majorés de 15,5% de prélèvements sociaux, sachant qu’il est possible que le prélèvement forfaitaire libératoire soit remplacé par le barème de l’impôt.

Au rang des exclusions particulières, c’est-à-dire qui ne concernent que l’abattement exceptionnel de 25%, ce dernier ne saurait bénéficier, d’une part, aux cessions de titres de sociétés à prépondérance immobilière (notamment SCI/SCPI), ni aux cessions intra-familiales ou assimilées (par personne morale interposée).

Ces exclusions, même si assez limitées, font sourire : elles donnent à la mesure une allure manichéenne, comme s’il s’agissait de distinguer le bon grain de l’ivraie, la plus-value vertueuse de la plus-value indigne. L’aversion du gouvernement envers les terrains à bâtir est, à ce sujet, aussi étonnante qu’incompréhensible. La finalité de la présente mesure, qui consiste à alléger l’impôt sur les plus-values, est de fluidifier le marché immobilier. Soit. Mais c’est exactement le même argument qui justifie l’alourdissement de la fiscalité sur la plus-value des terrains à bâtir ! A finalité identique, moyens contraires. Outre cet éclairage économique, la pertinence juridique de cette distinction pose problème. C’est elle qui causé l’annulation de l’article de la loi de finances pour 2013 incriminé, au motif, notamment, qu’elle créait une rupture d’égalité devant les charges publiques[1]. Et voilà que le gouvernement revient à la charge sur le même terrain !

Par ailleurs, ces exclusions contribuent à alimenter la complexité du texte. C’est sans doute le principal reproche qu’on adressera au fond. Le calcul de l’abattement n’est pas simple, et il est dédoublé par une sorte de schizophrénie obligeant à calculer d’un côté l’impôt, de l’autre les prélèvements sociaux. Comme si cela ne suffisait pas, il faut en plus l’articuler avec d’autres mesures, notamment la taxe sur les plus-values élevées. Plutôt que d’abroger cette surtaxe dont l’effet est résolument contraire au message que le gouvernement souhaite faire passer, le texte s’y réfère expressément.

En d’autres termes, il faudra désormais procéder en 4 étapes : calculer la plus-value brute, puis les deux abattements pour durée de détention (Impôt sur le revenu et prélèvements sociaux), y appliquer l’abattement exceptionnel de 25%, et enfin, constater si le résultat représente plus ou moins 50 000€. Si oui, il faudra y appliquer la surtaxe sur les plus-values élevées.

On en conviendra aisément, si choc il y a, c’est un choc de complexification. Quel dommage de s’être précipité : la lenteur du processus législatif a parfois du bon, car elle permet de mûrir les décisions que l’on souhaite voir adopter, et de constater si elles sont de nature à résister à l’épreuve du temps.

Pauvre démocratie, et pauvre Vème République. On aura ébranlé ses piliers pour une mesure qui n’en vaut guère la peine. Dans la même veine, si la VIème République officialisait Twitter et Facebook comme nouveaux journaux officiels, elle pourrait faire encore plus vite (et mal).

 

[1] Voir les motifs de la décision du Conseil Constitutionnel  n° 2012-661 DC du 29 décembre 2012

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