Dissolution d'EURL et fraude

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Dissolution d'EURL et fraude

Par Guillaume Ferrand. L’Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée (EURL), créée par la loi du 11 juillet 1985, offre à son associé unique souplesse et simplicité dans sa création, son fonctionnement et sa dissolution. Mais le mécanisme original de dissolution de l’EURL (I) appelle une protection renforcée des droits des créanciers sociaux (II).

I-Mise en œuvre de la dissolution de l’EURL

Si l’associé unique est libre de dissoudre l’EURL (A), il doit néanmoins observer des formalités de publicité (B) en raison des effets qu’elle engendre (C).

A-Liberté de dissolution

L’associé unique d’une EURL peut décider sa dissolution anticipée à tout moment (1844-7, 4°). Cette décision est portée au registre spécial tenu au siège social de la société.

B-Publicité de la dissolution

La dissolution doit faire l’objet de plusieurs mesures de publicité :

-insertion dans un Journal d’annonces Légales (JAL) [1] ;

-dépôt de deux exemplaires de la décision de dissolution au greffe du Tribunal de commerce en vue d’une insertion modificative au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) dans le délai d’un mois à compter de la décision [2] ;

-publication au Bulletin Officiel des Annonces Civiles et Commerciales (BODACC) à la diligence du greffier, uniquement pour les EURL dont l’associé unique est une personne morale[3].

A défaut de respecter ces formalités, la dissolution est inopposable aux tiers [4].

C-Effets de la dissolution

 La dissolution de l’EURL produit des effets différents selon que l’associé unique est une personne physique ou morale :

-si l’associé unique est une personne physique : la dissolution de l’EURL entraînera sa liquidation (nomination d’un liquidateur, opérations de liquidation, clôture de la liquidation),

-si l’associé unique est une personne morale : la dissolution de l’EURL n’entraînera pas sa liquidation, mais emportera transfert universel du patrimoine de la société (actif et passif) au profit de l’associé unique, avec disparition corrélative de la personnalité morale de l’EURL.

  • Précisions :

Cette solution résulte de l’article L. 223-4 du Code de commerce, lequel dispose : « En cas de réunion en une seule main de toutes les parts d'une [SARL], les dispositions de l'article 1844-5 du code civil relatives à la dissolution judiciaire ne sont pas applicables ».

En pratique, l’article L. 223-4 du Code de commerce écarte l’application aux SARL du premier alinéa de l’article 1844-5 du Code civil, qui permet à tout intéressé de demander au juge la dissolution d’une société dès lors que celle-ci ne comprend plus qu’un seul associé et qu’elle n’a pas régularisé cette situation dans le délai d’un an (c’est-à-dire si l’associé restant n’a pas trouvé à céder une partie de ses titres à un tiers). Cette disposition est logiquement écartée dans le cas des SARL, dans la mesure où, depuis 1989, une SARL qui viendrait à ne compter plus qu’un seul associé devient automatiquement une EURL.

En revanche, l’article L. 223-4 du Code de commerce n’exclut pas l’application aux SARL des autres dispositions de l’article 1844-5 du Code civil. Notamment, l’alinéa 3 de cet article dispose : « En cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation ». Et l’alinéa 4 de préciser que cette transmission de patrimoine ne peut intervenir qu’au cas où l’associé unique est une personne morale (ceci afin d’éviter que l’associé unique personne physique ne se trouve investi d’un passif supérieur au montant de ses apports). Doctrine et jurisprudence[5] ont précisé que ces dispositions s’appliquaient à la dissolution volontaire ou judiciaire de l’EURL, que celle-ci soit créée ab initio ou résulte de la réunion de toutes les parts d’une SARL en une seule main.

II-Protection des créanciers sociaux

Lorsque l’associé unique de l’EURL est une personne morale, sa dissolution peut représenter un risque à l’endroit des créanciers (A), qui est réglé par la loi et la jurisprudence (B).

A-Les problèmes

Le mécanisme de confusion des patrimoines résultant de la dissolution d’une EURL n’est pas sans risques pour les créanciers sociaux :

-Pour les créanciers de l’EURL dissoute : le risque est qu’une EURL solvable décide sa dissolution, alors que son associé unique est en difficulté financière. L’actif de l’EURL serait alors aussitôt absorbé par le passif de l’associé unique, diminuant ainsi les chances de recouvrement des créanciers de l’EURL.

-Pour les créanciers de l’associé unique : le risque est corrélativement qu’une EURL en difficulté ne décide sa dissolution alors que son associé unique est en bonne santé financière. L’actif de ce dernier se trouverait alors diminué à concurrence du passif transmis.

B-Les solutions

Pour protéger les créanciers en pareille situation, la loi a créée un mécanisme d’opposition (1). La jurisprudence de son côté veille à ce que de telles manœuvres ne soient pas réalisées dans un but frauduleux (2).

1° Solution légale : le mécanisme d’opposition

L’article 1844-5 alinéa 3 du Code civil prévoit que les créanciers peuvent faire opposition à la dissolution dans un certain délai.

  • Titulaires de l’action

Selon une première lecture de l’article 1844-5, l’action en opposition n’appartiendrait qu’aux seuls créanciers de l’EURL dissoute. Selon une autre lecture de cet article, celui-ci visant « les créanciers » au sens large, l’action en opposition pourrait aussi bénéficier aux créanciers de l’associé unique. La doctrine est divisée sur ce point, en l’absence de décision de la Cour de cassation.

  • Forme de l’action

L’opposition est adressée au Tribunal de Commerce du lieu du siège de l’EURL. Elle doit mettre en cause son représentant légal.

  • Délai

Les créanciers doivent faire opposition dans le délai d’1 MOIS à compter de la publication de la dissolution dans le Journal d’Annonces Légales.

Pratique : l’insertion modificative portée à l’extrait K-bis de la société indique la date de publication dans le Journal d’Annonce Légale.

  • Sanction

A défaut d’opposition dans les délais, la dissolution produit tous ses effets (disparition de l’EURL et transfert de patrimoine à l’associé unique) dès l’expiration du délai d’un mois. Les créanciers ne peuvent plus s’opposer à la dissolution. Notamment, les créanciers ne peuvent se prévaloir du fait que la société n’aurait pas été radiée du RCS[6]. 

  • Décision

Le juge saisi de l’opposition peut :

-soit rejeter l’opposition,

-soit accepter l’opposition. Dans ce cas, le juge ordonnera :

-soit le remboursement de sa créance à l’opposant,

-soit la constitution de garanties si la société en offre et si elles sont jugées suffisantes.

  • Suites de l’opposition

-si le juge rejette l’opposition: la dissolution prendra effet à la date du rejet en première instance,

-si le juge accepte l’opposition : la dissolution prendra effet au moment du remboursement complet de la créance de l’opposant ou au moment de la constitution des garanties ordonnées.

  • Critiques

Le mécanisme de l’opposition est la seule protection apportée aux créanciers par la loi. Cette protection est limitée en raison de la brièveté des délais, comme le révèle l’examen de la jurisprudence.

2° Solution jurisprudentielle : la nullité de la dissolution frauduleuse

Depuis longtemps, la jurisprudence considère que la dissolution d’une société opérée dans un but frauduleux est inopérante[7].

S’agissant de la dissolution d’une EURL, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt récent, riche en enseignements et lourd de conséquences[8].

Les faits sont les suivants : Une EURL (la société Scili) ne paye plus ses cotisations à l’URSSAF depuis quelques mois. L’URSSAF l’assigne en liquidation judiciaire. Deux jours après réception de l’assignation, l’associé unique (la société Wuig) décide la dissolution anticipée de l’EURL. L’URSSAF oublie de former opposition dans les 30 jours. L’associé unique étant une personne morale, cette dissolution emporte donc disparition de l’EURL et transfert de son patrimoine à l’associé unique.

Le juge de première instance rejete la demande de l’URSSAF tendant à l’ouverture d’une liquidation judiciaire contre la société Scili aux motifs que celle-ci avait disparu du fait de la dissolution.

L’URSAFF fait appel. Elle demande à la Cour d’appel de déclarer la dissolution nulle ou inopposable sur le fondement de la règle « la fraude corrompt tout … », en soutenant que cette dissolution n’avait été utilisée que dans le but de faire échapper la société dissoute au paiement de ses cotisations.

La Cour d’appel de Paris, par arrêt du 19 mai 2011, considère qu’au moment de décider la dissolution anticipée de l’EURL, l’associé avait eu connaissance de l’assignation en liquidation judiciaire. Qu’en l’absence de preuve contraire, l’opération de dissolution avait eu pour but exclusif d’éluder le débat sur l’éventuel état de cessation des paiements de l’EURL et l’ouverture d’une procédure collective subséquente.

La Cour en déduit : « Qu'en agissant ainsi, [l’associé unique] de la société SCILI avait commis une fraude a la loi:
- en usant d'un procédé légal, soit la dissolution sans liquidation avec transfert universel de patrimoine,
- pour atteindre un but illégal : à savoir faire échec (…) à l'éventuelle application à la société SCILI des dispositions impératives régissant les procédures collectives ».

Et la Cour de décider : « Qu'en application du principe général la fraude corrompt tout... et compte tenu du caractère d'ordre public de la règle éludée, l'acte de dissolution sans liquidation ainsi frauduleusement accompli doit être annulé ».

Les conséquences de cette décision sont graves puisque, la nullité ayant un effet rétroactif, la société dissoute est réputée ne jamais avoir été dissoute. Ce que la Cour énonce très clairement : « la société Scili est toujours existante » !. Cette résurrection de la société dissoute a pour effet de lui restituer sa personnalité morale et le patrimoine qu’elle avait cru pouvoir transmettre. Tirant les conséquences de sa décision, la Cour d’appel constate la cessation des paiements de la société, en fixe la date et prononce l’ouverture d’une liquidation judiciaire à son encontre.

Conclusion 

Cette décision est de nature à redonner aux créanciers qui n’ont pas formé opposition dans les délais, une dernière chance de s’opposer à la dissolution de leur débiteur. Notons que l’action en nullité de la décision de dissolution se prescrit par trois ans[9].

Enfin, il convient de relever que dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, la société dissoute était en difficulté financière, alors que son associé unique était a priori en bonne santé financière. Dans ce schéma, les créanciers de l’EURL dissoute auraient pu réclamer le paiement de leur créance entre les mains de l’associé unique, tenu de répondre des obligations de l’EURL. A fortiori, la fraude devrait être d’autant plus facilement caractérisée et l’action en nullité d’autant plus facilement admise dès lors que l’associé unique est lui-même en procédure collective.

 


[1] art. R. 210-9 du Code de commerce

[2] art.R. 123-66 sur renvoi de R. 123-70 du Code de commerce

[3] art. R. 123-159 du Code de commerce

[4] art. L. 237-2 du Code de commerce

[5] Notamment : CA Douai, 2e ch., 14 novembre 1996, EURL Heathrose France

[6] Com. 24 septembre 2002, N° de pourvoi: 00-13663

[7] en ce sens : CA Rouen, 2e ch. Civile, 14 octobre 1966 ; Cass. com. 2 mai 1990, n° 88-15871 ; CA Paris, 3e ch. B, 15 février 2002

[8] CA Paris ch. 5-9, 19 mai 2011 n° 10-08992, Union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Paris c/ SARL SCILI

[9] art. L. 235-9 alinéa 1 du Code de commerce

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