Portée incertaine d'une élection de domicile en France

Publié le Modifié le 12/03/2011 Vu 11 897 fois 0
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Il était demandé à la Cour de Cassation de se prononcer sur la prévalence des règles issues du Règlement du 29 mai 2000 (lesquelles figurent aux articles 683 à 688 du Code de Procédure civile, qui décrivent la procédure de notification à l’étranger) sur l’article 682 du Code de Procédure civile qui prévoit la possibilité de signifier un jugement au domicile élu en France par la partie demeurant à l’étranger.

Il était demandé à la Cour de Cassation de se prononcer sur la prévalence des règles issues du Règlement

Portée incertaine d'une élection de domicile en France

Par Guillaume Fort. Commentaires à propos de l’arrêt n°2100-2142 du 2 décembre 2010 rendu par la 2ème Chambre civile de la Cour de Cassation.

Extrait de la décision:


« Sur le moyen unique :

Vu les articles 652 et 677 du code de procédure civile, ensemble les articles 684 et 689 du même code ;
Attendu que les jugements sont notifiés aux parties elles-mêmes ; que la notification n'est valablement faite à domicile élu que lorsque la loi l'admet ou l'impose ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société de droit italien Cattelan Italia a assigné la société Protis devant un tribunal de commerce en résiliation d'un contrat d'agence commerciale ; que la société Protis a également assigné la société Cattelan Italia devant le même tribunal en indemnisation de la rupture abusive de ce contrat ; qu'ayant joint les deux procédures, le tribunal a condamné la société Cattelan Italia au paiement de diverses sommes ; que la société Protis a signifié le jugement le 6 février 2007 au cabinet de l'avocat chez lequel la société Cattelan Italia avait élu domicile ; que cette dernière a relevé appel du jugement le 11 janvier 2008 ;

Attendu que pour déclarer l'appel irrecevable comme tardif, l'arrêt retient qu'il se déduit du rapprochement des articles 682, 689 et 855 du code de procédure civile qu'il n'est nullement nécessaire que la partie résidant à l'étranger ait donné à l'avocat, chez lequel elle a élu domicile, un mandat spécial à cette fin pour que la signification à domicile élu soit régulière ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'élection de domicile imposée par l'article 855 du code de procédure civile n'emporte pas pouvoir pour la personne chez laquelle domicile a été élu de recevoir la signification du jugement destinée à la partie elle-même, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE…. »

Note:

1. Faits et procédure

Dans le cadre d’un contentieux devant le Tribunal de [--], une société ayant son siège social en Italie a élu domicile au cabinet de son conseil français (ce qui est une obligation légale en vertu de l’article 855 du Code de procédure civile).

Au terme de la procédure de première instance, le conseil français de cette société a été rendu destinataire, en lieu et place de la société elle-même, de la signification du jugement ayant condamné sa cliente à diverses sommes, ce alors qu’il n’avait aucun mandat spécial pour recevoir une telle notification.

Devant la Cour d’appel, la tardivité de l’appel interjeté par la société italienne a été discutée, ce qui l’a conduite à remettre en cause la validité de la signification du jugement faite à son conseil français.

La Cour d’appel a finalement jugé que :

  • Il se déduit du rapprochement des articles 682, 689 et 855 du Code de Procédure civile qu’il n’est pas nécessaire que l’avocat chez qui domicile a été élu dans le cadre de l’assignation ait reçu un mandat spécial pour recevoir la signification du jugement pour que cette dernière, faite à son cabinet, soit valable et, 
  • Ce sont les règles du Code de Procédure civile qui sont applicables et non celles issues du Règlement de mai 2000 (1) ni celles issues des articles 683 et 688 relatifs aux notifications des actes à l’étranger.

La société italienne a donc formé un pourvoi à l’encontre de la décision de la Cour d’appel, soutenant notamment que la signification à une partie ayant son siège en Italie d’un jugement rendu en France doit être effectuée selon les modalités prévues par les articles 4 à 9 du Règlement du 29 mai 2000 et non selon les modalités, différentes, prévues par le Code de Procédure civile.

L’arrêt est cassé au motif que l’élection domicile imposée par l’article 855 du Code de Procédure civile dans le cadre de l’assignation, n’emporte pas, selon la Cour de Cassation, pouvoir pour la personne chez laquelle domicile a été élu en France de recevoir la signification du jugement.

2. Commentaire de la décision

Il était demandé à la Cour de Cassation de se prononcer sur la prévalence des règles issues du Règlement du 29 mai 2000 (lesquelles figurent aux articles 683 à 688 du Code de Procédure civile, qui décrivent la procédure de notification à l’étranger) sur l’article 682 du Code de Procédure civile qui prévoit la possibilité de signifier un jugement au domicile élu en France par la partie demeurant à l’étranger.

La question était en réalité mal posée car il s’agissait de savoir si l’article 682 pouvait une offrir une option entre la voie classique de la notification à l’étranger et celle de la notification à domicile élu, les deux étant théoriquement possibles.

Malheureusement, la Cour de Cassation ne répond pas tout à fait à la question. En effet, l’arrêt d’appel cassé au motif que l’élection domicile imposée par l’article 855 du Code de Procédure civile dans le cadre de l’assignation, n’emporte pas, selon la Cour de Cassation, pouvoir pour la personne chez laquelle domicile a été élu en France de recevoir la signification du jugement.

L’arrêt de la Cour de Cassation doit vraisemblablement être interprété comme signifiant que l’élection de domicile par l’article 855 ne vaut pas élection de domicile au sens de l’article 682. En d’autres termes, l’élection de domicile faite lors de la délivrance de l’assignation en justice n’est pas suffisante pour permettre au défendeur de signifier le jugement rendu ultérieurement au domicile élu de la société étrangère qui l’a assigné.

La règle est assez logique car l’élection de domicile faite dans le cadre de l’assignation ne produit effet qu’aussi longtemps que dure l’instance. Or, l’instance prend juridiquement fin dès le prononcé du jugement. Au moment de la signification du jugement, l’instance n’existe donc plus, de sorte que l’élection de domicile est alors caduque, son objet ayant disparu.

La question demeure en revanche de savoir si la partie qui veut signifier un jugement, pour autant que son adversaire étranger ait fait une élection de domicile au sens de l’article 682 (donc indépendamment de l’élection faite au titre de l’article 855), a le choix entre une signification au domicile élu et une signification à l’étranger.

A défaut de précisions en droit interne quant à l’articulation des articles 682 et 683 et suivants du Code de Procédure civile, il convient de se référer au règlement communautaire du 13 novembre 2007 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale. Le préambule du règlement indique à son considérant n°8 que « le présent règlement ne devrait pas s’appliquer à la signification et à la notification d’un acte au représentant mandaté d’une partie dans l’État membre où l’instance a lieu, quel que soit le lieu de résidence de cette partie ».

Il faudrait donc considérer que la partie qui veut faire signifier un acte de procédure dispose d’une option entre le domicile élu et le domicile étranger de son adversaire. Pour autant, il serait souhaitable que le législateur ou la jurisprudence se positionnent clairement à ce sujet afin de lever l’incertitude actuelle.

Nota :
(1) Le règlement du 29 mai 2000 a été remplacé le 13 novembre 2007 par le règlement n°1393/2007 relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale.

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