Crash de l’Airbus A310 de la Yemenia Airways : Vers une dérive des assureurs

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Crash de l’Airbus A310 de la Yemenia Airways : Vers une dérive des assureurs

Le droit a vocation à régir les événements de la vie et de la société, a également vocation à régir les événements heureux, ainsi de la naissance, du mariage, de l’embauche, de l’acquisition du logement, de l’achat d’un voyage. Mais il a aussi vocation à régir des événements tragiques, comme un accident aérien.

Il y a un an, le 30 juin 2010, 152 personnes ont péri au large des Comores dans l'accident de l'Airbus A310 exploité par la Yemenia. Or que cet accident aérien fait effectivement l’objet de règles juridiques prévues tant par les droits nationaux des différents Etats dans le monde que par le droit international. Au plan international, il fait l’objet de règles issues de la Convention relative à l’aviation civile internationale signée à Chicago le 7 décembre 1944 (la «  Convention de Chicago »), de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à Varsovie le 12 octobre 1929 (la «  Convention de Varsovie ») et de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à Montréal le 28 mai 1999 (la «  Convention de Montréal »).

D’après ces textes, l’accident aérien est défini comme l’événement rencontré par un aéronef qui entraîne soit des blessures graves ou la mort de personnes se trouvant à bord de l’aéronef ou en surface et en contact avec celui-ci, soit des dommages ou une rupture structurelle de l’aéronef, soit la disparition de ce dernier. Il se distingue en cela de l’incident et de l’incident grave qui ne se traduisent pas par des dommages et correspond, dans le langage courant, à la catastrophe aérienne ou au crash aérien. Mais que se passe-t-il juridiquement en cas d’accident aérien à l’instar de l’Airbus A310?

D’abord, la survenance d’un accident aérien donne lieu à des opérations de recherches lorsque l’aéronef et le lieu de l’accident ne sont pas localisés. Tel peut être le cas d’un accident aérien survenu en mer ou dans un territoire reculé. La Convention de Chicago prévoit l’obligation pour tout Etat de porter assistance aux aéronefs en détresse sur son territoire. L’Annexe 12 Recherches et sauvetage de la Convention de Chicago rassemble les normes et pratiques recommandées élaborées par l’Organisation de l’aviation civile internationale l’ «  OACI » applicables en la matière et est complétée par un Manuel international de recherche et de sauvetage aéronautiques et maritimes commun avec l’Organisation maritime internationale. C’était  le cas dans le cadre de l’accident de l’Airbus A310 de Yemenia Airways au large des Comores le 30 juin 2010du Brésil le 1er juin 2009. L’armée aéroterrestre de secours de l’Armée comorienne, coordonnait les opérations de recherches et de sauvetage.

Ensuite il y a l’enquête technique qui est prévue au plan international par l’article 26 de la Convention de Chicago et détaillée dans l’Annexe 13 Enquête sur les accidents et incidents d’aviation civile. L’enquête technique vise ainsi, dans le but d’accroître la sécurité aérienne, à déterminer les causes et circonstances de l’accident aérien et émettre des recommandations de sécurité. Elle n’a donc pas pour but de déterminer, ni préjuger les éventuelles responsabilités pénales ou civiles. Dans chaque Etat, un organisme permanent spécialisé est chargé de procéder à ces enquêtes techniques. Comme en France, il s’agit du Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile (le «  BEA »). Quel que soit l’Etat dans lequel est immatriculé l’avion, est situé le siège de la compagnie aérienne ou du constructeur, a été conçu et/ou construit l’aéronef ou dont les passagers, membres d’équipage et toutes autres victimes sont ressortissants, l’enquête technique est de la compétence de l’Etat sur le territoire duquel ou dans l’espace aérien duquel est survenu l’accident aérien, appelé « Etat d’occurrence ». Ce qui n’a pas été le cas des Comores dans le cadre de l’accident de l’A310. Mais puisque la France  dont des ressortissants sont au nombre des morts graves, disposait de plein droit de s’imposer dans l’enquête étant donné qu’aux Comores n’en dispose pas d’infrastructures adéquats pour mener l’enquête.

Mais enfin ce qui nous intéresse ici, c’est la procédure pénale. Un accident aérien peut résulter d’infractions pénales. Il peut s’agir de mise en danger délibérée de la vie d’autrui, de blessures involontaires, d’homicides involontaires voire d’acte de terrorisme. Les statistiques de l’aviation civile montrent cependant que l’erreur humaine est la cause principale des accidents aériens puisqu’elle intervient dans plus de la moitié de ces derniers tandis que les défaillances techniques et les actes de terrorisme se raréfient du fait du progrès de l’aéronautique et du renforcement de la sûreté dans les aéroports. Dans cette procédure pénale, nous allons s’intéresser sur la procédure d’indemnisation.

 

La procédure d’indemnisation

 

Un accident aérien provoque des détériorations, des blessures, des décès. Les trois préjudices que recense le droit sont ainsi présents : matériel, corporel et moral. Les victimes sont traditionnellement les passagers, membres d’équipage, éventuelles victimes au sol et leurs proches ainsi que le propriétaire de l’aéronef, qui peut être la compagnie aérienne elle-même ou une autre compagnie bailleresse voire un crédit-bailleur, et les éventuels propriétaires de biens au sol endommagés par l’accident. Les développements ci-après se concentrent sur l’indemnisation du préjudice par suite de mort ou de lésions corporelles.

L’indemnisation des préjudices en cas de mort ou de lésions corporelles est méticuleusement réglée par la Convention de Varsovie ou, pour les Etats dans lesquels elle est déjà en vigueur, la Convention de Montréal. La Convention de Montréal remplace progressivement la Convention de Varsovie dont les stipulations sont aujourd’hui obsolètes et inadaptées au transport aérien international. Elles régissent toutes deux les relations entre les passagers et la compagnie aérienne dans le cadre d’un transport aérien international. La Convention de Varsovie et la Convention de Montréal, qui ont vocation à coexister pendant une période indéterminée et sans doute de façon durable pour certaines liaisons, créent des règles indépendantes des droits nationaux et uniformes quel que soit l’Etat d’occurrence, l’Etat de l’exploitant, l’Etat de conception, l’Etat de construction, l’Etat d’immatriculation ou l’Etat dont les passagers sont respectivement ressortissants.

Dans un premier temps, le Règlement oblige la compagnie aérienne à verser aux proches des victimes et, le cas échéant, aux passagers victimes eux-mêmes une avance visant à couvrir leurs besoins économiques immédiats tels que les frais d’hospitalisation, de déplacement sur les lieux, d’hébergement, de rapatriement sanitaire ou mortuaire. Exemple, dans le cadre de l’accident au large des Comores, les victimes directes devraient recevoir environ 17 500 euros.

Dans un second temps, intervient la procédure amiable d’indemnisation. L’économie générale du droit de la responsabilité des compagnies aériennes repose sur une présomption de faute : la faute de la compagnie aérienne est présumée en cas d’accident aérien de sorte que la victime n’a pas à en rapporter la preuve, preuve qui serait au demeurant un fardeau au sens juridique du terme du fait de l’extrême technicité de l’aviation civile. La jurisprudence française emploie à cet égard la notion d’obligation de sécurité de résultat qui couvre aussi bien la phase de transport elle-même que les phases d’embarquement et de débarquement. Sur l’accident aérien survenu au large des Comores, témoigne la thèse soutenue par le juge français. La preuve en est  que le secrétaire d'Etat aux transports, Dominique Bussereau, avait déclaré que l'Airbus A310 "avait été contrôlé en 2007 par la DGAC [Direction générale de l'aviation civile] en France, et elle avait constaté un certain nombre de défauts. L'appareil, depuis, n'était pas réapparu dans notre pays" en raison d'"irrégularités".

La Convention de Varsovie permet à la compagnie aérienne de renverser cette présomption en démontrant que  le dommage résulte d’un cas de force majeure ou  d’une faute de la victime ou  d’un tiers ou qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour éviter le dommage.

Prenant acte de cette évolution du système issu de la Convention de Varsovie, la Convention de Montréal a profondément reformé le régime d’indemnisation. D’une part, elle supprime tout plafond d’indemnisation et oblige à une réparation intégrale du dommage, sans limitation. Une seule cause d’exonération demeure : la victime a provoqué ou contribué à la réalisation de son dommage.

Pour couvrir ces risques, toute compagnie aérienne souscrit une police d’assurance. En règle générale, compte tenu du montant élevé des indemnités en jeu, ce sont plusieurs assureurs qui se groupent et assurent ensemble la compagnie et chacun de ses aéronefs. Un des assureurs est alors désigné comme interlocuteur unique de la compagnie aérienne : l’apériteur.

Le passager est titulaire du droit à réparation mais lorsqu’il a péri dans l’accident aérien, ni la Convention de Varsovie, ni la Convention de Montréal ne détermine les personnes tierces ayant droit à réparation. Cette question de la détermination des personnes ayant droit à réparation et de leurs droits respectifs revient par conséquent au droit national applicable, lequel est déterminé par application de la règle de conflit de lois lorsque se présente un élément d’extranéité. C’est dire que les droits nationaux peuvent reprendre leur empire en dépit des objectifs d’uniformisation poursuivis par la Convention de Varsovie et la Convention de Montréal. Existent ainsi des divergences d’interprétation de celles-ci et de traitement juridique des victimes selon le droit national applicable.

Les indemnisations sont versées aux passagers, s’ils ne sont pas décédés, en tant que victimes directes et ce, sur le fondement de la responsabilité contractuelle. La jurisprudence française reconnaît également un droit à réparation au bénéfice des victimes indirectes ou victimes par ricochet que sont généralement le conjoint, les enfants, les parents et les frères et sœurs et ce, sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Les personnes ayant droit à indemnisation sont en revanche limitativement déterminées dans la plupart des législations nationales: le conjoint, les enfants, les petits-enfants, les parents, les grands-parents et les frères et sœurs. Ce qui est actuellement invoqué dans l’action en justice  intentée par les victimes dans le cadre de cet accident au large des Comores. L’indemnisation se matérialise par une offre d’indemnisation faite par l’assureur à la victime.

Mais dans le cadre de notre sujet, les  victimes, c'est-à-dire les ayants droits refusent  l’offre d’indemnisation de l’assureur. Pourquoi ?

L’évolution de la situation concernant les indemnisations pour les familles des victimes, c'est-à-dire les ayants droits aux Comores,  un an après ce crash,  l’attente d’indemnisation juste reste dans l’ombre. Le problème est que  les familles des victimes, souhaitent écarter  une indemnisation discriminatoire. Les assureurs de Yemenia, ont accepté certes, la procédure d’indemnisation mais partielle, c'est-à-dire une indemnisation distincte et spécifique entre celle des victimes qui sont à Paris et celle des familles des victimes qui se trouvent aux Comores.  Or que la douleur ressenti par les familles des victimes aux Comores est la même que celle ressenti par les familles à Paris. Donc, par rapport à cela, on ne peut pas créer une distinction en proposant une indemnité spécifique  pour les familles qui sont aux Comores et proposer une indemnisation juste pour celle des familles qui sont à Paris. Or  encore ni la Convention de Varsovie et la Convention de Montréal, n’a émis expressément cette distinction.

Même s’il convient d’observer que les procédures d’indemnisation ont lieu généralement de façon amiable par accord avec les assureurs des compagnies aériennes, il faut néanmoins constater une tendance croissante des victimes et, le cas échéant, de leurs proches à saisir les tribunaux contre tous ceux qui, à un titre quelconque, pourraient être reconnus responsables de l’accident aérien. Le procès en responsabilité devient alors, plus qu’une affaire d’indemnisation, une question de recherche de la vérité et de condamnation des coupables. Les victimes ne se satisfont pas toujours en effet des indemnités qui ne sauraient de toute façon réellement réparer leurs souffrances mais veulent connaître la vérité et que justice soit faite, telle est la deuxième revendication intentée par les familles des victimes de l’accident de l’A310.

Il s’avère que la justice comorienne a été saisie de cette affaire  appelée lex fori concernant l’indemnisation des familles des victimes qui ressort de sa compétence  comme le stipule la Convention de Montréal. Mais le juge comorien peut-il s’ériger à ses propres moyens sans aucune ingérence intérieure ou extérieure  pour qu’il fasse comprendre à ces assureurs de Yemenia, que la douleur ressentie par les comorien aux Comores, est la même que celle ressentie par les comoriens à Paris ?

 

par ISSA SAID

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