L’identification des abus en droit de la distribution au regard du droit français

Publié le 30/10/2010 Vu 6 951 fois 1
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L’aggravation de la vulnérabilité, causée par la disparition du principe de non-discrimination, le législateur français a cherché à renforcer la protection de la partie faible à travers l’identification des abus.

L’aggravation de la vulnérabilité, causée par la disparition du principe de non-discrimination, le légis

L’identification des abus en droit de la distribution au regard du droit français

La distribution considérée en elle-même est un service qui consiste dans la commercialisation de biens ou de produits, de marchandises ou de services rendus par le distributeur. Si bien qu’elle se développe, la distribution sous le principe de la liberté du commerce et de l’industrie, doit satisfaire les exigences de l’ordre public économique de direction attachée à l’intérêt général comme celle de l’ordre public économique de protection attachée aux intérêts particuliers des acteurs économiques. Ainsi, pour que soit maintenue l’âpreté, inhérente au monde des affaires, du jeu de la concurrence, et que les entreprises ne soient pas laissées dans l’incertitude sur la correction de leur comportement, ont été identifiés matériellement les abus sanctionnables (I) et pour que soit assuré le contrôle effectif de ces abus, ont été aménagés les conditions de leur indentification (II).

I. L’identification matérielle des abus

Typologiquement, les abus dans les relations entre fournisseur et distributeur sont condamnés au titre des pratiques restrictives de concurrence, mais peuvent aussi être condamnés au titre des pratiques anticoncurrentielles.

1. Les abus des pratiques restrictives de concurrence

L’article L.442-6-I du code de commerce vise le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir «  un avantage quelconque », c'est-à-dire pécuniaire ou non pécuniaire, « ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ». Une telle définition devrait permettre d’obtenir la nullité de la convention emportant un tel avantage, pour absence de cause, ou sa résolution pour inexécution.

Est fournie une liste au demeurant non exhaustive, d’exigences la grande distribution avait imposées aux fournisseurs et pour lesquelles elle avait été condamnée :

  • « Participation non justifiée par l’intérêt commun et sans contrepartie proportionnée au financement d’une opération d’animation commerciale, d’une acquisition ou d’investissement en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d’enseignes ou de centrales de référencement ou d’achat », une pratique dite de « la corbeille de la mariée » ;
  • « Globalisation artificielle des chiffres d’affaires », une pratique dite de « l’empilement des ristournes » ;
  • « Alignement sur les conditions commerciales plus favorables obtenues par d’autres clients ».

L’article L.442-6-II, prévoit également l’annulation de la clause permettant de « bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d’accords de coopération commerciale ».

Il convient que l’avantage obtenu à l’occasion de l’établissement de la relation soit proportionné. Il doit donc non seulement exister, mais aussi être en rapport avec la valeur du service correspondant.

En effet pour faciliter la preuve de l’abus, il est disposé que celui qui se prétend libérer doit justifier du fait qui a produit l’extinction de son obligation (C.com., art.L.442-III). Concrètement le bénéficiaire du service devra justifier du paiement et le débiteur du service, généralement le distributeur, devra apporter la preuve matérielle que le service a bien été rendu, ce qui nécessitera de sa part une grande rigueur  dans la collecte et la conservation de ces éléments probatoires. Ce dispositif déroge au principe posé par l’article 1315 du code civil. Sa portée paraît cependant limitée. En effet, l’article L.442-6-III du code de commerce, en reprenant une partie de l’article 1315, n’exclut pas expressément les autres dispositions de ce texte, ni celles des articles 6 et 9 du code de procédure civile. L’apport essentiel est de faire porter, à titre principal, la preuve des éléments de fait sur celui qui doit rendre le service et  de faciliter l’action du demandeur et surtout l’action de l’administration dans le cadre de l’article L.442-6 du code de commerce.

2. Les abus constituant des pratiques anticoncurrentielles

Les abus de comportement au stade de l’établissement de la relation commerciale, et particulièrement la discrimination injustifiée à laquelle doit être assimilé le refus de contracter peuvent être sanctionnés au titre des pratiques anticoncurrentielles lorsqu’il en résulte une atteinte à la concurrence sur le marché.

Le libre exercice de la concurrence peut être limité par l’application de conditions discriminatoires visées implicitement par l’article L.420-1 et explicitement par l’article L.420-2 du code de commerce. La discrimination n’est pas condamnable en elle-même, elle est condamnable si elle n’est pas justifiée par une disposition légale, par le comportement du demandeur ou par une contrepartie.

La loi impose parfois un traitement discriminatoire. Ainsi, le législateur interdit la commercialisation de certains produits auprès de certains distributeurs ; par exemple, les fournisseurs de produits pharmaceutiques ne peuvent vendre qu’à des pharmacies centrales. Le comportement présent ou passé du demandeur peut justifier un traitement discriminatoire. Comportement présent tenant à une demande anormale en raison d’un contenu ou de modalités non conformes aux usages commerciaux ou aux conditions proposées par le fournisseur. Comportement passé tenant à une déloyauté : dénigrement des produits du fournisseur, inexécutions contractuelles.

Une contrepartie peut encore justifier un traitement discriminatoire : quantités commandées dont l’importance emporte une diminution des coûts, services rendus, ou durée des relations (remises de « fidélité »).

Le refus de fournir un produit ou un service dès lors qu’il est offert à la vente ou à la prestation, généralement désigné sous l’expression réductrice de « refus de vente », constitue la forme la plus grave de discrimination, puisqu’il vise à ne pas traiter avec un contractant potentiel alors que le produit ou le service sont disponibles matériellement et juridiquement.

Il est constitué quand le vendeur ou le prestataire de service refuse d’entrer en négociation, ou de répondre à une demande d’information en vue de contracter, ou d’enregistrer une commande, ou encore d’exécuter le contrat de vente ou de prestation de services conformément aux conditions convenues.

Le refus de contracter est visé implicitement par l’article L.420-1 et explicitement par l’article L.420-2, al. 1 et 2 du Code de commerce. Ainsi dans le cadre d’une dépendance économique, il existe également un  des abus  qui sont sanctionnés. L’article L.420-2 al. 2 du code de commerce sanctionne l’abus tenant à l’exploitation de la dépendance économique d’une entreprise à l’égard d’une autre. Cette situation est constituée par quelques critères à considérer cumulativement :

  • La notoriété de la marque de l’entreprise en situation de force ;
  • L’importance de sa part de marché ;
  • L’importance de sa part dans le chiffre d’affaires de la victime, ce qui suppose que les parties soient déjà en relation commerciale ;
  • L’impossibilité pour la victime de trouver  une solution commerciale équivalente.

Par ailleurs l’abus n’est condamnable que si la concurrence est affectée sur un marché dit « pertinent ». En principe le marché pertinent est constitué par le plus petit ensemble de produits et le plus petit ensemble d’espaces géographiques qui sont susceptibles de faire l’objet de substitutions, des points de vue de la demande comme de l’offre. Le temps peut également constituer un élément de définition du marché dans la mesure où celui-ci se modifie en raison de l’évolution de la technologie, de la modification des goûts des consommateurs et de la durée du besoin économique concerné.

Ainsi la méthode utilisée pour délimiter le marché pertinent est celle du faisceau d’indices concordants qui permet de révéler la substituabilité, au sens économique, entre produits ou services placés en concurrence.

Toutefois, l’abus ne sera condamnable que si l’atteinte réelle ou même potentielle à la concurrence est « sensibles ». la prise en compte d’un seuil de sensibilité longtemps discutée en droit interne est maintenant admise en matière d’entente (art. L.464-6-1, C. com.). Pourront échapper aux poursuites les entreprises dont la part de marché cumulée ne dépasse pas 10% lorsqu’elles sont en entente horizontale, 15% lorsqu’elles sont en entente verticale. La notion est également utilisée au cas d’exploitation abusive d’un état de dépendance économique, pour écarter l’application de l’article L.420-2, al. 2 du code de commerce, sauf lorsque se trouvent établis non seulement l’effet mais aussi l’objet anticoncurrentiel de la pratique.

II. L’identification formelle des abus

L’identification formelle de l’abus peut s’opérer à partir de la convention établie entre le fournisseur et le distributeur ou de la facture qui en résulte nécessairement.

1. La convention établie

Pour contrôler les abus dans la négociation des conventions entre le fournisseur et distributeur, se trouve maintenue l’exigence de formalisation du « résultat de la négociation », dans certain délai. Le résultat de la négociation quelle que soit l’importance du contrat d’affaires, doit être formalisé dans « une convention écrite conclue entre le fournisseur et le distributeur ».

Cette convention qui récapitule « les obligations auxquelles se sont engagées les parties » est « établie soit dans un document unique, soit dans ensemble constitué par contrat-cadre annuel et des contrats d’application » (art. L.441-7-I, C. com.). Le contrat cadre à la différence de la convention « unique » ne requiert pas que soient précisés toutes les modalités de mise en œuvre de l’accord.

Trois types d’informations doivent être repris dans la convention récapitulative : les conditions de l’opération principale de fourniture « telles qu’elles résultent de la négociation commerciale dans le respect de l’article L.441-6 » (C. com., art. L. 441-7). Relevant de ces informations : les conditions de vente, le barème de prix, la réduction de prix, les conditions de règlement et les services relevant des conditions particulières. Les conditions relevant des conditions générales du fournisseur qui n’auront pas fait l’objet d’une négociation devraient s’appliquer sans qu’il soit besoin de les rappeler puisqu’elles constituent « le socle de la négociation ».

Les conditions de services rendus au fournisseur par le distributeur ou par un prestataire de services agissant pour le compte du distributeur doivent être distinctes  de ceux relevant des obligations d’achat et de vente. La précision est logique puisque les obligations liées à l’achat et la vente sont déjà formalisées au titre des conditions de vente, mais discutable et non détachable qui n’a jamais eu de réelle signification et qui ne devrait plus avoir d’intérêt avec la liberté de discriminer à l’occasion de l’opération de vente, les conditions de vente. Ces services doivent être précisés dans leur objet, les modalités et la date prévue d’expiration, leur rémunération ainsi que les produits auxquels ils se rapportent. Ces services doivent favoriser la commercialisation des produits ou des services du fournisseur.

Quant aux autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur, doivent figurer dans la convention récapitulative, avec des indications sur leur objet, leur date prévue et modalités d’exécution mais pas d’indication sur les produits ou services auxquels ils se rapportent. La référence à ces obligations maintient le caractère subsidiaire de la catégorie par rapport  aux obligations tenant à l’opération principale de fourniture et à celles propres à favoriser la commercialisation des produits ou services fournis.

La référence de l’objectif permet de « favoriser la relation commerciale » permet de conserver le caractère large de la catégorie tout en soulignant le rapport entre ces obligations et la relation établie entre le fournisseur et le distributeur.

La convention récapitulative est conclue pour une durée d’un an à l’issue de laquelle peut être convenue sa reconduction pour une même durée et le cas échéant sa prorogation jusqu’à conclusion de la nouvelle convention. La date de conclusion doit être antérieure au 1er mars. Il semble prudent de réserver cette formule à des situations où le service donnant  lieu à l’avenant ne pouvait être raisonnablement envisagé en début d’année. Lorsque les produits ou les services du fournisseur sont « soumis à un cycle de commercialisation particulier », la convention établie peut être conclue non pas avant le 1er mars mais dans les deux mois qui suivent le point de départ de la période de commercialisation (art. L. 441-7-1, al. 6, C. com.).

2. La facture

Chaque opération de vente de produits ou de prestation de services doit faire l’objet d’une facture. L’article L.441-3 du code de commerce dispose que la facture doit être délivrée « dès la réalisation de la prestation de services » ou « dès la réalisation de la vente ». il faut entendre par réalisation non pas le moment de l’accord des volontés mais pour le vente : le moment de la livraison, c'est-à-dire de la remise matérielle des produits concernés, ou celui de leur retirement, et pour la prestation de service : le moment de son exécution.

La facturation doit intervenir pour chaque opération, chaque livraison, chaque prestation de services. Cette exigence est imposée aux deux parties : le fournisseur puisque c’est à lui de « délivrer » la facture mais également l’acheteur parce qu’il est attendu de lui qu’il la réclame. Le fournisseur étranger n’est pas soumis à ce dispositif mais l’acheteur français ne saurait s’estimer dégagé, il doit lui demander, même vainement, une facture conforme.

L’exigence est pénalement sanctionnée d’une amande de 75 000 euro pouvant être portée à 50% de la somme facturée ou celle qui aurait dû être facturée (art. L.441-5, C. com.), et pour les personnes morales d’une amande de 375 000 euro et de l’exclusion des marchés publics pour une durée de cinq ans (art. L. 441-5, C. com.). La formalisation de la facture établissant la créance de prix du vendeur est imposée par le droit fiscal (CGI, art. 289 et 1751), mais le dispositif du droit de la concurrence met l’accent sur un impératif de transparence qui fait de la facture un instrument de contrôle économique. En effet, la facture permet de constater les conditions réellement appliquées et de révéler des comportements condamnables : prestation fictive en amont, revente à perte en aval.

A cette fin, la facture doit comporter les informations utiles sur les parties, l’objet du contrat, le prix et les conditions de règlement.

  • Les parties doivent être identifiées par leur nom et leur adresse. Pour la vente, l’information concerne le vendeur et l’acheteur mais également, le cas échéant, leur mandataire ou commissionnaire.
  • L’objet du contrat doit être précisément définit quantitativement et qualitativement, qu’il s’agisse de produits ou de services.
  • Le prix indiqué doit être le prix unitaire hors taxe minoré, le cas échéant, de toute réduction de prix acquise à la date de la vente ou de prestation de services et directement liée à cette opération de vente ou de prestation de service, à l’exclusion des escomptes non prévus sur la facture.

La réduction de prix est acquise lorsqu’elle correspond à une créance du distributeur certaine, liquide et exigible au moment de l’opération facturée. Cela exclut la réduction du prix avant que se réalise l’événement qui la conditionne par exemple : la réalisation d’un certain volume d’achats ou la réalisation d’une promotion. La réduction est directement liée à l’opération facturée lorsqu’elle correspond à la fourniture. Cela exclut les réductions de prix récapitulées sur une même facture à l’occasion d’une opération alors qu’elles correspondent à d’autres fournitures antérieurement exécutées et facturées. Cela exclut aussi la réduction de prix par soustraction de la rémunération du service rendu par le distributeur, car ce service doit faire l’objet d’une facturation distincte opérée par le distributeur prestataire ; rien n’interdit cependant au fournisseur bénéficiaire du service d’opérer, pour déterminer la somme que devra effectivement payer le distributeur, une compensation entre le prix du service rendu par le distributeur et le prix de vente du produit.

 

Par ISSA SAID

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1 Publié par Visiteur
30/10/2010 18:11

Cher issa

Je tiens à vous remercier de votre article, un article qui m'a plu et m'a aidé énormément. Très bon article.

Amicalement

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