Interdiction du voile intégrale en France : La liberté de religion à l'épreuve de la sécurité publique

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Interdiction du voile intégrale en France : La liberté de religion à l'épreuve de la sécurité publique

Il est vrai que le problème du voile intégral en ce qu’il concerne peu ou prou quelques 2000 femmes en France est un problème crucial pour la République française laïque.

Ah quel beau concept que celui de laïcité qui en son temps a permis à la France de se dégager de l’omniprésence du clergé, qui avait beaucoup exigé de la fille aînée de l’église, pour consacrer cette liberté de conscience, de religion et d’opinion chère au cœur de la 3ème République.

Souvent invoqué et, il est vrai, souvent galvaudé ce principe était pourtant resté pendant de nombreuses années inaperçus même si l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 la garantissait, de même que l’article 10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyens de 1789 martelait que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuse, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » et que le cinquième alinéa de la constitution de 1946 rappelait que « nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ».

Le Conseil Constitutionnel créé par la constitution de 1958 en affirmera la valeur constitutionnelle au travers de la liberté de conscience dans les décisions du 23 novembre 1977 et du 19 juin 2001 dans lesquelles il énonce que « la liberté de l’enseignement et la liberté de conscience sont des principes fondamentaux reconnus par les lois de la république ».

Mais comme si cela n’était pas suffisant l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales précisera que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion… » Et la cour européenne dans un arrêt Kokkinakis c/ Grèce du 25 mai 1993 dira que la liberté de conscience et de religion représente « l’une des assises d’une société démocratique » et que la liberté de conscience, dans sa dimension religieuse figure « parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents ».

Enfin l’article 10 de la charte des droits fondamentaux de l’union européenne indiquera que « toute personne à le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites… ».

C’est dire si la liberté de religion en ce qu’elle est une composante essentielle de la liberté de pensée et de conscience jouit d’une solide assises tant en France qu’en Europe.

Pour ce qui est de la France l’ensemble des textes de références ci-dessus rappelés ont été déclarés conforme par le Conseil Constitutionnel le 19 novembre 2004 à l’article 1er de la Constitution qui déclare  que « la France est une république laïque »,  ce qui interdit à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre l’Etat et le particulier.

L’étendue de la garantie est donc particulièrement vaste puisqu’elle englobe à la fois des droits tels que la liberté d’adhérer à une religion, d’en changer, de la manifester et de convaincre les autres qu’elle est la meilleure mais aussi une interdiction fondamentale qui est celle faite aux collectivités publiques de discriminer les personnes sur des critères fondés sur la religion.

Le principe ainsi posé de manière claire et sans appel souffre bien entendu d’exceptions.

En effet certaines ingérences sont autorisées si elles sont prévues par la loi et que ces ingérences constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique à la sécurité publique, à la protection de l’ordre de la santé ou de la moralité publique ou enfin à la protection des droits et libertés d’autrui.

La Cour Européenne des Droit de l’Homme dans un arrêt du 12 février 2009 (Nolan et K c/ Russie req. N° 2512/04) a indiqué que les motifs de restriction de l’exercice du droit de liberté de religion est exhaustive et d’interprétation stricte et que surtout l’ingérence de l’Etat doit être neutre et impartial c'est-à-dire sans appréciation de la légitimité des croyances religieuses ou des modalités d’expression de celles-ci (CEDH 15 septembre 2009 req. n° 798/00)

Cela a conduit la Cour le 1er octobre 2009 (req. n° 32782/02 et n° 76836/01) à juger que le refus opposer par la Russie de conférer le statut « d’organisation religieuse » à des groupes pratiquant la scientologie était contraire à l’article 9 de la Convention.

Pour finir sur ce bref rappel des principes en matière de liberté religieuse il convient de noter que cette liberté doit aussi se concilier avec des principes concurrents que sont la sécurité publique et le principe de laïcité à l’école.

Sur le second point la question semble avoir été réglée en deux temps par la jurisprudence.

Dans un premier temps un avis du Conseil d’Etat du 27 novembre 1989 semblait apprécier la laïcité de manière très libérale, prohibant simplement les manifestations ostentatoire et revendicative de la religion, cette position ayant été confirmée au contentieux dans un arrêt célèbre du 2 novembre 1992 et 10 mars 1995.

Pour autant les décisions devenant pour le moins contradictoires la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 introduira dans le code de l’éducation l’article L.141-5-1 qui interdira « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ».

Dans quatre arrêts  du 5 décembre 2007 fera application pour la première fois de l’article ci-dessus rappelée en indiquant que si les signes religieux discrets étaient toléré ce n’était pas le cas d’une part des signes ou tenues, tels que notamment  un voile ou un foulard islamique, une kippa, une grande croix et d’autre part ceux dont le port ne manifeste ostensiblement une appartenance religieuse qu’en raison du comportement de l’élève ce qui est le cas pour un bandana couvrant la chevelure, un keshi sikh.

Bien entendu devant une telle incurie juridique les personnes concernées se sont tournées vers la Cour Européenne qui validera la position française dans six arrêts du 30 juin 2009 !...

Sur ce point le recul semble être définitivement établi. La  liberté de religion en ce qu’elle est une partie intégrante de la liberté de pensée est terrassée par le principe de laïcité de la République française.

Reste à examiner cette liberté bien malmenée à l’aune de la sécurité publique.

Dans cette matière se pose essentiellement la question du port de signes religieux et les risques d’usurpation d’identité. Sans surprise l’atteinte est limitée à l’obligation pour la personne de fournir à l’appui de sa demande de carte d’identité ou de passeport une photo d’identité prise tête nue mais aussi l’obligation d’avoir cette tête nue lorsque l’on pénètre dans des ambassades ou des consulats.

Dès lors un premier constat s’impose. D’une part si le principe de la liberté de religion cède entièrement ce n’est que dans le cadre strict du principe de la laïcité de la République, principe qui se trouve mis en exergue qu’au sein de l’école de la République. D’autre part il ne concerne que le port de signes religieux ostentatoires en eux même ou qui peuvent le devenir par le comportement de l’élève.

D’autre part, jusqu’à maintenant, le principe de liberté de religion ne cédait pas devant les impératifs de la sécurité publique. En effet les atteintes au principe étaient somme toute assez logiques en ce qu’elles devaient avoir pour objectif d’identifier les personnes.

Que dire du débat actuel sur l’idée d’interdiction générale du port du voile intégral ?

Cette interdiction pressentie semble ne pas devoir s’inscrire dans le débat sur l’école. Les choses en cette matière ont été me semble-t-il définitivement réglées au profit de la laïcité.

Cette interdiction peut-elle s’inscrire dans l’affrontement entre liberté religieuse et sécurité publique ?

Si tel était le cas, comme on le pressent dans les déclarations des responsables politiques qui pour justifier cette interdiction pointe du doigt, l’islamisme rampant qui se cache derrière le port du voile intégral, cela reviendrait à faire deux amalgames indignes de notre République Laïque.

Le premier serait de faire du port du voile intégral une « infraction pénale » sanctionnant l’expression d’une liberté religieuse.

Le second serait d’assimiler le port du voile intégrale à islamique et terrorisme.

Le Conseil d’Etat sans doute sensible à ne pas stigmatiser une religion et fort d’une jurisprudence relative à l’ordre public semble avoir opté pour placer le débat dans le cadre de l’utilisation par l’autorité publique de ses pouvoirs de police donc dans le débat concernant l’affrontement de la liberté de religion avec la sécurité publique puisqu’il n’est pas favorable à une interdiction générale et absolue.

Par ailleurs il semble aussi placer le débat dans l’espace public et plus particulièrement dans les établissements publics, ces derniers étant l’étalon de mesure de l’absence d’interdiction générale et absolue.

En clair la voie choisie est médiane, une sorte de « troisième voie » puisqu’une interdiction du voile intégral pourrait être proportionnée si elle ne s’appliquait qu’aux établissements dépendant directement des collectivités publiques et en cela il étend à d’autres établissements publics les principes développés dans le cadre de la liberté de religion et l’école.

Mais il semble ne pas être non plus insensible aux questions de sécurité en permettant d’étendre l’atteinte à la liberté de religion sur le fondement de la sécurité publique et de transposer la jurisprudence relative aux passeports et aux carte d’identité en interdisant le port du voile dans certains établissements privés sensibles tel que les banques ou les bijouteries.

Dans cette matière comme dans tant d’autres le Conseil d’Etat se montre maître dans l’art de ménager la « chèvre et du choux ».

Reste à savoir ce que dira la loi et ce que dira le Conseil Constitutionnel sur cette question.

Pour ma part me reviens à l’esprit la phrase d’un mien professeur de droit qui s’étonnait que l’on puisse caractériser un Etat (il parlait de l’ex RDA) de République démocratique et qui, facétieux, nous disait que lorsque l’on faisait suivre démocratique à République c’est que l’on n’était pas très sûr qu’elle le soit.

Est on sûr que notre République est vraiment laïque… et œuvre-t-on réellement pour que la coexistence entre les différentes religions qui arpente l’espace public français soit pacifique ?

L’avenir le dira…mais d’ores et déjà l’avenir pollué par le débat sur l’identité nationale et les risques terroriste n’est pas radieux.

Notre espace public mais aussi privé est envahi par la problématique sécuritaire.

Au-delà de ces questions et des réponses qui peuvent apparaître à certains comme légitime et au-delà de la question de la présumée liberté de choix laissée aux femmes de porter le voile intégral il convient de se poser la question du devenir de notre Etat et de ses principes.

J’ai l’amère sensation que notre Etat de droit pétrit du siècle des lumières se meurt inexorablement et laisse petit à petit place au monstre qu’est l’Etat sécuritaire se nourrissant de nos peurs et de notre paranoïa.

N’oubliant cependant jamais que celui qui est prêt à sacrifier sa liberté à la sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre.

Sommes-nous prêt… ?


Cabinet d’avocats Pascal-Pozzallo

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