Le pardon du Président Sambi : Vers une amnistie générale au profit de Mohamed Bacar

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Le pardon du Président Sambi : Vers une amnistie générale au profit de Mohamed Bacar

Au cours des dernières décennies, un remarquable déploiement de mécanismes judiciaires et non judiciaires a été développé et invoqué par les gouvernements démocratiques sortant de périodes de guerre ou de régimes autoritaires, allant bien au-delà des poursuites pénales nationales. Cet essor a été reconnu par les Nations Unies dans un rapport du Secrétaire Général de 2004 sur le Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit. Un grand nombre de facteurs contribuent à expliquer cette expansion spectaculaire des mécanismes, notamment le développement de systèmes de protection des droits de l’homme par les Nations Unies, l’esprit inventif du mouvement international des ONG pour la défense des droits de l’homme, les vagues successives de transitions démocratiques et post-conflit auxquelles nous avons assistées à travers le monde aux cours des dernières décennies, ainsi que la fin de la guerre froide, qui a permis d’offrir des possibilités pour une coopération internationale jusqu’ici impensable.

En l’espace de deux décennies, les commissions vérité se sont multipliées aux quatre coins du monde, la justice pénale internationale a connu un développement sans précédent, les paroles de repentir et l’octroi de réparations aux victimes de violations des droits humains n’ont jamais été si nombreux. Quant au processus de mise en mémoire des crimes passés, il connaît depuis 1989 une intensité inégalée.

La justice transitionnelle porte la marque contradictoire des années 1990, celle de l’espoir et du tragique. Face lumineuse : l’effondrement des dictatures communistes dans l’ex-empire soviétique, la fin du régime d’apartheid en Afrique du Sud et l’affermissement des démocraties en Amérique latine. Face sombre : le génocide du Rwanda et les politiques de nettoyage ethnique dans les Balkans, au Caucase et en Afrique. Dans toutes ces régions, la gestion des crimes passés et parfois présents a provoqué un foisonnement d’initiatives et moult passions. Emblématisé par la création quasi-simultanée de la commission vérité et réconciliation sud-africaine et du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, un vigoureux débat a opposé dans le milieu des années 1990 partisans d’une politique de pardon et partisans d’une politique de châtiment. Chacun affirmant mieux servir l’objectif de la « réconciliation ».

Aujourd’hui, la communauté internationale met l’accent à la fois, sur les mécanismes extra judiciaires tournés vers la reconstruction sociale et sur la dimension stigmatisatrice du châtiment pénal. Face à des États menacés de fragmentation, où les valeurs traditionnelles et le tissu social se délitent, la justice transitionnelle se présente comme une fragile alternative pour échapper à l’escalade de la violence et de la vengeance. A l’écoute de la demande des victimes et des sociétés, la justice transitionnelle cherche à contribuer à leur réparation. Mais elle veut être davantage que cela. Elle entend mobiliser les forces vives de ces sociétés pour les aider à affronter un passé fait de crimes et de violations massives des droits de l’homme pour mieux ensuite se diriger vers une aube démocratique. En ce sens, la justice transitionnelle apparaît comme une nouvelle Jérusalem : elle indique la voie vers des réformes institutionnelles et politiques qui contribueront progressivement à l’établissement, puis à la consolidation de la paix et de l’État de droit. C’est dans ces termes qu’on comprend le « Pardon » du Président Sambi adressé à l’ancien Homme fort de l’Ile d’Anjouan, Mohamed Bacar.

En l’espèce, après s’être élu en 2002 et réélu  en 2007 président de l’île d’Anjouan, mais les résultats de ces deux scrutins restent contestés, l’ancien homme fort d’Anjouan Mohamed Bacar est parvenu à prendre le contrôle militaire à l’aide des Forces de la gendarmerie d’Anjouan (FGA) suite  à la déclaration d’une réélection  illégale par le gouvernement des Comores. Le 25 mars 2008, l’armée nationale de développement des Comores (AND) et de l’Union Africaine, appuyée par la France parviennent à reprendre le contrôle militaire de l’île sans effusion de sang. Le colonel Mohamed Bacar, accompagné de vingt deux de ses hommes, prend la fuite en direction de l’île française de Mayotte et demande l’asile politique à la France. Tout comme  les réactions nationales, l’Union Africaine estimait que le colonel Mohamed Bacar doit être jugé par les tribunaux comoriens pour « trahison, usurpation de pouvoir, tortures et crimes de guerre » et ainsi répondre aux plaintes déposées par les Anjouanais victimes de ses exactions. En fait, Il est reproché à Mohamed Baccar d’avoir remis dangereusement  en cause l’unité nationale, d’avoir pris une partie du territoire  en otage, d’avoir détourné des deniers publics, d’’avoir  fait torturer des gens et d’avoir érigé  la torture  et le viole comme moyens de pression politique.

Aujourd’hui, lors de son discours prononcé á Mutsamudu à l’occasion de la célébration du 35 eme anniversaire de l’indépendance des Comores, le Président SAMBI a déclaré qu’il a « pardonné » l’ancien président de l’Ile Autonome d’Anjouan, Mohamed Bacar et son frère Abdou Bacar et qu’il les autorise á « rentrer » au pays. Certes, l’article 12 de la constitution de l’Union des Comores de 2001 dispose que le Président de la République a le droit de faire grâce. Mais celle-ci est une mesure de clémence qui a pour effet de soustraire « un condamné » à l’application de la peine qu’il aurait dû subir. Son exercice appartient au Président de l’Union, qui est seul juge de l’opportunité de cette mesure.

Or ni Mohamed Bacar ni son frère n’ont jamais fait l’objet d’une condamnation même par contumace. Ainsi ils ne peuvent être graciés par le Président de l’Union. Par contre, ils peuvent bénéficier d’une loi d’amnistie adoptée par l’Assemblée de l’Union des Comores qui a déjà connu deux lois d’amnistie dans le passé : La loi N°90-008/AF portant amnistie des infractions politiques commises de l’année 1975 au 31 Décembre 1988 du 9 septembre 1990 qui dispose dans son article 1er que « sont amnistiés les faits d’attentat à la sûreté de l’Etat, à la liberté et à l’exercice des droits civiques commis entre l’année 1975 et la date du 31 Décembre 1988 ». L’autre loi d’amnistie est la loi N° 95-017/AF du 2 novembre 1995 Portant Amnistie pour les infractions relative à l’atteinte à la sûreté de l’Etat commise entre le 1er Août 1975 et le 15 octobre 1995. Cette loi dispose dans ses articles 1er, 2 et 3 que « Sont amnistiées de plein droit, toutes les infractions prévues aux articles 71 et suivants du Code Pénal, relatives à l’atteinte à la Sûreté de l’Etat lorsqu’elles ont été commises entre le 1er Août 1975 et le 15 Octobre 1995, toutes les infractions commises à l’occasion ou en liaison avec les consultations électorales qui se sont déroulées entre le 1er Août 1975 et le 15 Octobre 1995 et toutes les infractions prévues aux articles 183 et suivants du Code Pénal relatives aux faits de rébellion lorsqu’elles ont été commises entre le 1er Août 1975 et le 15 Octobre 1995 » . Cette amnistie entraîne sans qu’elle ne puisse jamais donner lieu à restitution, la remise de toutes les peines principales accessoires et complémentaires ainsi que toutes les incapacités des déchéances subséquentes. Elle rétablit l’auteur de l’infraction dans le bénéfice du sursis qui a pu lui être accordé vers une condamnation antérieure selon l’article 7 de cette loi.

Ainsi seule l’Assemblée de l’Union est compétente pour amnistier Mohamed Bacar et ses consorts. Le Pardon du Chef prononcé la 6 juillet dernier, n’a aucun effet juridique sur les peines encourues par ces personnes qui ont commis des infractions contre l’autorité de l’Etat. Du moins sur le plan légal.

Ce pardon du Président Sambi traduit ici sa participation au rétablissement et au maintien de la paix, d’établir, sinon de renforcer l’État de droit. Mais est ce que ce sont à la fois des objectifs individuels et sociétaux pour un rétablissement psychologique des victimes ? En tout état de cause, ce pardon du Président Sambi a pour but de faciliter «  le ramassage des armes et ne serait effectif que si Mohammed Bacar  collabore  pour retrouver les armes détenues par ses anciens camarades. Et si c’est le prix à payer pour  collecter les armes et assurer la paix pourquoi pas ». A laissé entendre le ministre de la justice, Djaffar Ahmed Mohamed Mansoib.

C’est ce qu’on a vu avec  le Mozambique qui avait décidé d’une amnistie générale à la fin d’une guerre civile atroce en 1992 et l’Algérie a pratiquement fait de même à l’automne 2005.

L’expression du repentir par le chef de l’État ou des hauts responsables de l’État n’est pas nouvelle. Mais depuis la fin de la guerre froide, les actes de repentir ont pris une extension inédite. A la fin des années 1990, tous les leaders occidentaux se sont publiquement excusés pour des crimes anciens, parfois pluriséculaires. Ainsi, Tony Blair pour la responsabilité de la famine en Irlande au 17e siècle, Jacques Chirac pour la responsabilité de la France dans la déportation des juifs, Gerhardt Schröder pour le passé nazi de l’Allemagne, Bill Clinton que ce soit pour l’attitude de son pays pendant le génocide rwandais, pour la traite négrière et l’esclavage, ou pour le soutien à des régimes dictatoriaux en Amérique latine.

Mais faudrait-il pour autant de privilégier ce pardon au profit des séparatistes accusés d’avoir remis dangereusement en cause l’unité nationale, d’avoir fait torturer des gens, d’avoir pris en otage une partie du territoire national, d’avoir détourné des deniers publics ?

 

par ISSA DAID

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