L’usucapion ou prescription civile est la consolidation d’une situation juridique par l’écoulement d’un délai. La prescription est donc un moyen légal d’acquérir ou de se libérer après un certain laps de temps et dans les conditions bien encadrées par la loi.
La prescription est dite acquisitive lorsque l’écoulement du délai fait acquérir un droit réel à celui qui exerce déjà ce droit. De même, elle est extinctive lorsqu’elle fait perdre un droit réel ou un droit personnel du fait de l’inaction prolongée.
Ainsi donc, le code civil en son article 2262 dispose : « Toutes actions tant réelles que personnelles sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre, ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi.
L’article 2265 du code civil poursuit : « Celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble, en prescrit la propriété par dix (10) ans si le véritable propriétaire habite dans le ressort de la cour d’appel dans l’étendue de laquelle l’immeuble est situé et par vingt (20) ans s’il est domicilié hors dudit ressort ».
En droit comparé, ces dispositions sont très proches de l’article 2272 du code civil français qui dispose que « Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente (30) ans. Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix (10) ans ».
A l’analyse combinée de ces dispositions légales, l’on serait tenté d’affirmer que la prescription ou mieux, l’écoulement d’un délai permet au détenteur d’un droit réel immobilier de l’exercer pleinement. Mais non, il ne faut pas se leurrer. L’usucapion est un droit réel immobilier de façade (I), non avenu en droit foncier camerounais (II).
I- L’USUCAPION, DROIT REEL IMMOBILIER DE FACADE.
Il résulte des dispositions des articles 2262 et 2265 du code civil que l’acquisition d’un immeuble, de bonne foi et à juste titre après l’écoulement d’un certain délai confère à l’occupant le droit de propriété ; c’est-à-dire le droit d’user et de disposer de l’immeuble de la manière la plus absolue dans le respect bien entendu de la règlementation en vigueur.
Ø L’acquisition de bonne foi.
Il faut comprendre par acquisition de bonne foi, la croyance qu’a une personne de se trouver dans une situation conforme au droit et la conscience d’agir sans léser les droits d’autrui.
C’est l’hypothèse d’une personne qui acquiert le bien immobilier par le biais d’un soi-disant propriétaire. C’est-à-dire que le vendeur s’est fait passer pour le véritable propriétaire et à usurpé son droit de propriété.
C’est également le cas lorsqu’un héritier, au détriment des cohéritiers parvient à vendre un immeuble de la succession, donc un immeuble indivis sur la base d’un jugement d’hérédité qui ne fait pas état des autres héritiers.
L’acquéreur qui n’était pas informé de cette situation a acquis l’immeuble de bonne foi. Le commun des mortels dans la même situation que l’acquéreur ne se serait point douté.
La bonne foi permet d’atténuer la rigueur de la loi.
Ø L’acquisition à juste titre.
Par l’acquisition à juste titre, l’acquéreur a de fortes raisons de penser que son titre est légal ; que celui de qui il détient l’immeuble qu’il occupe paisiblement en était le véritable propriétaire. En effet, le titre que l’acquéreur dispose à la suite de la cession transmettrait la possession et la puissance de la propriété s’il émanait du véritable propriétaire.
Ø L’écoulement du délai.
Toute personne installée paisiblement sur une parcelle de terre pendant plus de trente années en devient pleinement propriétaire. Il n’a même pas besoin de prouver sa bonne foi ou de rapporter un titre quelconque. L’écoulement du délai de trente ans confère automatiquement à l’acquéreur le droit de jouir et d’aliéner son immeuble. Il en est le propriétaire.
Ce délai de trente ans est réduit à dix ans si l’acquéreur détient l’immeuble de bonne foi, à juste titre et le véritable propriétaire (c’est-à-dire celui de qui il aurait dû acquérir l’immeuble) a toujours résidé dans le ressort de la cour d’appel dans l’étendue de laquelle l’immeuble est situé.
Si le véritable propriétaire est domicilié hors du ressort de la cour d’appel dans l’étendue de laquelle l’immeuble est situé, le délai de trente ans est réduit à vingt ans.
C’est l’hypothèse où le véritable propriétaire dispose d’une parcelle qu’il a ‘‘abandonné’’ depuis dix, vingt, trente années alors qu’il réside dans la région où se trouve son terrain, de telle sorte qu’un inconnu de lui s’y est installé durant tout ce temps. Ne dit-on pas que la nature a horreur du vide ?
Mais quoi qu’il en soit, chaque citoyen devrait garder à l’esprit que non seulement l’acquisition d’un terrain doit être fait par devant notaire à peine de nullité, mais également que seul le titre foncier certifie la qualité de propriétaire.
II- L’USUCAPION, DROIT IMMOBILIER NON AVENU.
A l’état actuel du droit, il est constant que ni la bonne foi, ni le juste titre, ni l’écoulement du temps aussi long soit-il, ne confèrent à l’occupant la qualité de propriétaire. Seul le titre foncier confère ce droit. En plus, l’occupant sans droit ni titre court le risque de se voir déguerpir de l’immeuble querellé et de subir d’autres sanctions.
Ø Le titre foncier, la certification officielle de la propriété foncière.
L’article 1 du Décret N°76-165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier, modifié et complété par le Décret N°2005/481 du 16 décembre 2005 dispose clairement que « Le titre foncier est la certification officielle de la propriété immobilière » et non la bonne foi, le juste titre ou même encore l’effet du temps.
Avant le Décret du 27 avril 1976 qui fixe les conditions d’obtention du titre foncier, l’Ordonnance N°74-1 du 6 juillet 1974 fixant le régime foncier disposait déjà en son article 8 que « Les actes constitutifs, translatifs ou extinctifs de droits réels immobiliers doivent à peine de nullité être établis en la forme notariée.
Sont également nulles de plein droit les cessions et locations de terrains urbains ou ruraux non immatriculés au nom du vendeur ou bailleur ».
L’exigence de cette formalité permet à l’homme de l’art qui est le notaire de procéder avant toute constitution de l’acte de vente, toute cession, toute mutation, de procéder à des vérifications d’usage aux fins de s’assurer d’une transaction saine. Evitant ainsi à l’acquéreur de se retrouver dans la situation où le titre qu’il détient résulte de la mauvaise personne. Le respect scrupuleux de cette formalité permet d’éviter le ‘‘juste titre’’. Cette exigence vient également bannir les ventes sous-seing privé de terrain.
Ainsi donc, toute personne installée sur un terrain fusse-t-il de bonne foi, à juste titre et ce depuis plus de dix, vingt, trente voire même quarante années ne peut valablement prétendre à la qualité du propriétaire si le titre foncier initial n’a pas été muté à son nom. Il est occupant sans droit ni titre et tombe sous le coup de la loi N°80-22 du 14 juillet 1980 portant répression des atteintes à la propriété foncière domaniale.
Ø La récrimination des atteintes à la propriété foncière.
Aux termes de l’article 1 de la loi N°80-22 du 14 juillet 1980 portant répression des atteintes à la propriété foncière domaniale, « Est nulle de plein droit et de nul effet, toute cession immobilière à titre onéreux ou gratuit portant sur une propriété indivise ».
L’article 2 de la loi du 14 juillet 1980 poursuit : « Sont passibles d’une amende de 50.000 à 200.000 F et d’un emprisonnement de 2 mois à 3 ans ou d’une de ces peines seulement,
a) Ceux qui exploitent ou se maintiennent sur un terrain sans autorisation préalable du propriétaire ;
b) Les agents de l’Etat convaincus de complicité dans les transactions foncières de nature à favoriser l’occupation irrégulière de la propriété d’autrui ».
En cas d’occupation irrégulière, sans droit ni titre, en plus de la condamnation à la peine privative de liberté et d’amende, l’occupant peut voir :
-Le tribunal ordonne son déguerpissement immédiat et à ses frais ;
-La mise en valeur réalisée sur l’immeuble en question sous forme de plantation, constructions, ouvrages de quelques nature que ce soit est acquise de plein droit au propriétaire sans aucune indemnité pour l’occupant sauf en cas de bonne foi avérée ;
-Si le propriétaire exige la suppression des constructions, plantation, ouvrages réalisés sur ledit terrain, cela sera ordonnée par le tribunal aux frais de l’occupant ;
-Pour couronner le tout, l’occupant peut au surplus être condamné au paiement des dommages intérêts pour le préjudice éventuel subi par le propriétaire de l’immeuble.
De même, toute personne dont les droits ont été lésés par suite d’une immatriculation n’a pas de recours sur l’immeuble mais seulement, en cas de dol, une action personnelle en dommages-intérêts contre l’auteur du dol lui est ouverte. Toutefois, en cas de faute de l’administration, le ministre des domaines et des affaires foncières peut au vu des irrégularités commises au cours de la procédure de l’obtention du titre foncier ainsi que des actes authentiques produits, procéder au retrait du titre foncier irrégulièrement délivré (Décret N°2005 / 481 du 14 décembre 2005 modifiant le Décret N°76-165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier).
Ø L’abrogation de toutes dispositions contraires en matières foncières.
L’Ordonnance N°74-1 du 6 juillet 1974 fixant le régime foncier, le Décret N°76-165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier, modifié et complété par le Décret N°2005/481 du 16 décembre 2005 et loi N°80-22 du 14 juillet 1980 portant répression des atteintes à la propriété foncière domaniale constituent le droit positif actuel en la matière et se substituent aux dispositions contraires du code civil. En effet, l’Ordonnance N°74-1 du 6 juillet 1974 fixant le régime foncier disposait déjà à son article 22 qu’elle abroge toutes les dispositions contraires en matière foncière. Or, l’article 2265 du code civil est contraire aux dispositions légales relatives au régime foncier et domanial et par voie de conséquence, est abrogé par cette Ordonnance du 6 juillet 1974.
Au regard de tout ce développement, j’exhorte toute personne qui souhaite acquérir un terrain de se rapprocher des hommes de l’art que sont les avocats, les notaires, à l’effet d’échapper à tout risque d’erreur, de manipulation, de manœuvre. Evitez de vous faire flouer, de vous faire berner, de vous faire arnaquer. Le certificat de vente sous –seing privé d’un terrain, légalisé dans une unité de police ou ailleurs est nul et de nul effet. Ni l’occupation paisible aussi longtemps soit-il de la parcelle acquise ne vous mettra à l’abri d’un potentiel déguerpissement tant que votre vente n’aura pas été faite par devant notaire et que le titre foncier n’est point en votre nom.
En plus de délier bourse, et personne n’ignore ôh! Combien onéreuses sont les parcelles de terre, vous risquez d’hypothéquer votre liberté, votre avenir, de payer des amendes, de payer des dommages-intérêts, d’être déguerpi avec toutes ses conséquences, etc.
L’usucapion n’est point une réalité en droit foncier camerounais.
« Nul n’est censé ignorer la loi »
« Mon peuple périt faute de connaissance »