Contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole

Publié le 13/08/2023 Vu 1 089 fois 0
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Analyse du dispositif nouveau de contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole – Une réforme nécessaire des mécanismes de protection foncière, mais des incertitudes.

Analyse du dispositif nouveau de contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole – Une

Contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole

Contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole –réforme nécessaire des mécanismes de protection foncière

Par Ariel DAHAN, Avocat

 

Un débat se relance régulièrement à propos des terres agricoles, et de la souveraineté alimentaire. Il est focalisé sur les investissements massifs d'opérateurs chinois, mais il mériterait d'être étendu à d'autres pratiques, de désaffectation des terres agricoles au profit d’investissements touristiques ou de loisir notamment.

 

Certains se demandent s'il est possible de garantir le contrôle de l'exploitation physique des terres agricoles à des exploitants français (par propriété ou par fermage)

 

Un article récent du Figaro évoque une « razzia » chinoise sur les terres agricoles.

Terres agricoles francaises : enquête sur une razzia chinoise[1]

En 2019, France Info évoquait la faillite du fonds d’investissement chinois #Reward

Chine : le groupe Reward, à l'origine du rachat de terres agricoles en France, est en faillite[2]

 

La question n’est pas nouvelle. Depuis la première acquisition il y près de 20 ans, on sait que la Chine est acquéreur massif de sources de production agroalimentaire, que ce soit des droits de pêche en Afrique, ou des terres arables.

 

En 2021 constatant que le mécanisme de contrôle des transmissions foncières confié aux SAFER ne leur permet pas de réagir aux transferts de sociétés, l’Assemblée Nationale a instauré un contrôle des transferts des parts sociales de personnes morales détenant du foncier agricole. (loi Sempastous n° 2021-1756 du 23 décembre 2021 ), en créant un chapitre III « Contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole » dans le titre III du livre III du Code Rural et de la Pêche Maritime.[3]

 

Le décret d’application a été publié le 2 décembre 2022. Décret n°2022-1515 en date du 2 décembre 2022.

 

Les deux premiers articles de la loi donnent la tonalité et l’esprit de ce régime nouveau :

« Art. L. 333-1.-Le présent chapitre vise à favoriser l'installation d'agriculteurs, la consolidation d'exploitations agricoles et le renouvellement des générations agricoles en luttant contre la concentration excessive des terres et leur accaparement. Il contribue à la souveraineté alimentaire de la France et tend à faciliter l'accès au foncier, notamment en contrôlant le respect des prix du marché foncier local.

« Art. L. 333-2.-I.-La prise de contrôle d'une société possédant ou exploitant des biens immobiliers à usage ou à vocation agricole, au sens de l'article L. 143-1, réalisée par une personne physique ou morale qui détient déjà, dans les conditions prévues au III du présent article, directement ou indirectement, en propriété ou en jouissance, des biens de même nature dont la superficie totale excède un seuil d'agrandissement significatif ou qui, une fois réalisée la prise de contrôle, détiendrait une superficie totale excédant ce seuil est soumise à l'autorisation préalable du représentant de l'État dans le département.

 

L’objectif annoncé, mixte, est donc de préserver les prix de marché foncier et les conditions d’accès aux exploitations agricoles, mais également la souveraineté alimentaire. Information indispensable qui manque dans de nombreux pans du droit économique français. On pensera aisément à la souveraineté sanitaire, lorsque l’essentiel des médicaments et du matériel sanitaire n’est plus fabriqué en France.

 

Un contrôle départemental pour un seul régional

Reste à savoir comment fonctionne ce contrôle de souveraineté et ce contrôle des prix. L’article L333-2 CRMP l’explique très clairement : Il est mis en place un seuil de superficie détenu directement ou indirectement, en propriété ou en jouissance, par une même personne physique ou morale. Au-delà de ce seuil, l’accroissement est soumis à accord du Préfet de Département (représentant de l’Etat dans le département).

La loi (le Code Rural et de la Pêche Maritime) évoque un « seuil d’agrandissement significatif ». Ce seul d’agrandissement significatif n’est pas uniforme. Il est régional, fixé par le Préfet de Région, représentant de l’Etat dans la Région.

 

Le diable se cache souvent dans les détails. Pour les cas où les exploitations agricoles se trouveraient sur plusieurs régions, l’article L333-2-III prévoit que le seuil à prendre en compte sera celui du lieu où se trouve la plus grande superficie de terres détenues ou exploitées. Cette rédaction permet d’envisager un nombre important de moyens de contournement, si l’Etat adopte des seuils régionaux très différents d’une région à une autre. Il suffirait ainsi de se porter acquéreur de terres dans une région très faiblement dotée, bénéficiant d’un seuil très élevé, pour augmenter significativement sa capacité d’investir dans une région plus strictement contrôlée.

Le décret d’application [4]n’évoque pour l’essentiel que la Corse, ce qui ne permet pas de répondre à l’ensemble des questionnements.

 

La demande d’autorisation d’agrandissement est transmise à la SAFER qui « la traite au nom et pour le compte du représentant de l’Etat dans le Département ». La SAFER est donc instituée délégataire obligée légale du Préfet.

Il est prévu que les organisations interprofessionnelles locales peuvent s’exprimer sur le projet en présentant des observations écrites au Préfet ou à la SAFER.

 

Là encore, le fonctionnement de la demande d’autorisation prévoit une autorisation implicite en cas de non-réponse au-delà du temps d’instruction.

La demande se fait matériellement directement sur le site internet de la SAFER [5]compétente régionalement :

 

 

Traitement de la demande par la SAFER

Le décret d’application prévoit un contrôle du traitement de la demande, et des conditions d’irrecevabilité automatiques.

Il prévoit également une période de publicité obligatoire sur le site internet de la SAFER.

Art. R. 333-7.-La société d'aménagement foncier et d'établissement rural transmet la demande d'autorisation au préfet mentionné à l'article R. 333-4 et la publie dans un délai de quinze jours à compter de la date d'accusé de réception.
« La
publicité est assurée pendant un mois sur le site internet de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural. Elle précise le nom du demandeur, l'objet de la demande, la commune du lieu du siège social ainsi que la superficie totale des terres détenues ou exploitées directement ou indirectement par la société faisant l'objet de la prise de contrôle et par le bénéficiaire de la prise de contrôle. Elle mentionne la date d'accusé de réception de la demande.

 

La SAFER doit donner son avis motivé au Préfet dans un délai de deux mois. A défaut, son avis est réputé favorable.

A défaut de réponse dans le délai de 4 mois à compter de l’accusé de réception de la demande, l’autorisation est réputée accordée.

 

Le Préfet peut rendre une décision de refus pur et simple, une décision demandant des précisions, ou encore soumettre son autorisation à des engagements spécifiques des opérateurs, engagements qui seront contrôlés et soumis à un pouvoir de mise en demeure du Préfet. (Art. R333-16 CRPM)

 

Publication de la décision et recours éventuels :

La décision d’acceptation ou de refus formelle est notifiée et publiée au Recueil des actes administratifs du département. (art. R333-15 C.Rural & Pêche Maritime).

Plus important, l’information sur les décisions résultant de l’absence de décision expresse du préfet dans les délais impartis sont publiées et transmises dans les mêmes conditions.

Ce point constituera très certainement un débat contentieux ultérieur sur l’effectivité de la publication de la décision implicite. On voit mal en effet pourquoi une administration revendiquerait son absence de décision !

 

Comme toute décision faisant grief, la décision d’autorisation est susceptible de recours de tiers dans les deux mois de sa publication.

La décision implicite portant autorisation devant être publiée également, elle sera susceptible de recours à compter de sa publication formelle.

Une autre question se posera de savoir si un tiers aura qualité pour contester une décision implicite qui n’aurait pas encore été publiée.

 

Capacité de la SAFER à mener ses opérations de contrôle :

Lors de la demande il faut indiquer un ensemble d’informations, en ce inclus les bénéficiaires effectifs de la société, les modalités d’exploitation, de jouissance ou de propriété, les surfaces et natures de culture…

Toutefois compte tenu des délais d’instruction, (2 mois pour un avis motivé et 4 mois pour une décision implicite d’autorisation) il est très raisonnable d’envisager que le contrôle effectif de certaines opérations complexe pourrait être impossible à réaliser dans ce délai. Reste à savoir si la SAFER saisie aura le courage d’avouer son incapacité à décider et si le Préfet aura le courage de demander des investigations complémentaires.

 

Le dispositif est en vigueur depuis le 1er mars 2023. Il faut lui laisser du temps pour s’installer. Mais dans un souci de souveraineté alimentaire il faut aussi que les professionnels soient vigilants et surveillent les décisions publiées.

 

A noter à ce sujet que les jeunes agriculteurs peuvent bénéficier du dispositif ELAN, plan de portage foncier financé par les SAFER le Crédit Agricole et le Crédit Mutuel aux fins d’activité sociale et solidaire[6].

Ce fonds ELAN permet de faire financer l’acquisition et le portage des terres agricoles pendant 10 à 30 ans, et donne au jeune agriculteur la possibilité d’opter pour l’acquisition du terrain au moment où il le souhaite.

Ariel DAHAN, le 13 août 2023



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