Refinancer la protection sociale par le travail des IA : changement de paradigme social

Publié le 24/06/2025 Vu 161 fois 0
Légavox

9 rue Léopold Sédar Senghor

14460 Colombelles

02.61.53.08.01

La protection sociale est destructurée par l'intervention massive de l'IA et des machines intelligentes qui remplacent l'humain. Le financement de la protection sociale devra intégrer l'IA. Je présente une solution.

La protection sociale est destructurée par l'intervention massive de l'IA et des machines intelligentes qui r

Refinancer la protection sociale par le travail des IA : changement de paradigme social
IA__charges_sociales.jpg

Refinancer la protection sociale en intégrant le travail des IA et des robots :
Le nécessaire changement de paradigme social

 

Par Ariel DAHAN, Avocat

 

 

 

Nouvelles technologies, la destruction créatrice :

La théorie schumpetérienne de la destruction créatrice est règle qui a été constatée à chaque révolution industrielle : passage à la vapeur, passage au pétrole, passage à l’électricité, aviation, … Ce processus est essentiel pour la survie d’une société économique : L’innovation technologique vient détruire les anciennes industries, devenues obsolètes, et permet un progrès incontestable pour la société et l’Humanité en général : diminution des risques d’accident du travail, amélioration des conditions de travail, économie d’énergie ou de matières premières…

Si cette loi économique n’exclut pas les abus et notamment le consumérisme, la « grande consommation », et la surproduction permanente, elle s’inscrit toujours dans une projection de progrès, qui peut être retracée à postériori.

 

La destruction créatrice est créatrice parce qu’elle donne le temps aux opérateurs économiques de s’adapter : Formation des ouvriers, développement des modèles économiques, suivi des financiers, adaptation du marché et des clients. Elle doit donner le temps aux opérateurs de s’adapter – ou de disparaître de manière naturelle. Le passage de Homo Neanderthalensis à Homo Sapiens ne s’est pas fait en une génération. Il s’est fait progressivement, par une hybridation et une disparition progressive de Néandertal. Contrairement à ce que donnent à penser les films de science-fiction, Sapiens n’a pas commis de meurtre de masse contre Néandertal. Il a juste bénéficié de meilleures conditions environnementales et de meilleures opportunités génétiques.

 

Rupture civilisationnelle majeure : Toutefois la dernière révolution industrielle – la révolution numérique - produit une rupture civilisationnelle majeure : si comme dans toutes les révolutions industrielles elle entraîne une diminution du temps de travail et une amélioration apparente des conditions de travail, cette diminution du temps de travail ne porte plus sur les tâches difficiles, simples ou dangereuses. Elle se concentre sur les métiers à haute valeur ajoutée.

Le big-data, la révolution algorithmique, le machine-learning et les intelligences artificielles génératives sont autant de technologies innovantes qui n’allègent pas le travail des ouvriers, mais qui remplace une grande part du travail des cadres et métiers à haute valeur ajoutée (artistes, diagnosticiens médicaux, experts, ingénieurs, programmeurs, juristes, et parfois juges…).

 

Cette révolution impose la formation d’une certaine quantité d’opérateurs, mais ces opérateurs ne sont plus des ingénieurs informaticiens ni des ingénieurs réseaux. Ce sont des « machine-learning officers » : des personnes qui « parlent » aux machines en langage clair, et qui développent des instructions lisibles pour obtenir des résultats parfois improbables et parfois pertinents.

 

Ainsi, pour un staff de 10 professionnels à haute valeur ajoutée, ne resteront que du personnel de saisie des données (à supposer que le métier ne permette pas de scanner les données pour les transcrire en « big-data », et un seul professionnel à haute valeur ajoutée, dont la fonction sera celle du manager d’équipe, une équipe de plus en plus immatérielle et artificielle.

 

Cette situation laissera en arrière une floppée de salariés qui ne pourront pas être reclassés ni formés à l’IA. Soit en raison de la « fracture numérique » déjà dénoncée par Jacques Chirac en 1992, soit en raison d’un coût de formation trop important, soit encore en raison d’une faiblesse cognitive liée à l’âge du salarié. Soit encore parce qu’il n’y aura plus de place.

 

Par ailleurs le reclassement des compétences ne se fera plus au profit d’une formation de plus haut niveau comme c’est le cas actuellement. Ce reclassement va orienter l’humain vers le bas, vers des tâches non-remplaçables : tâches nécessairement manuelles, répétitives et de faible intérêt cognitif.

 

Cet avenir pose un problème humain, puisque c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’une révolution industrielle induirait un affaiblissement des compétences cognitives humaines, au profit des machines. Sauf si l’on considère la théorie de Platon qui affirmait que l’écrit tue la mémoire et la capacité de réflexion, raison pour laquelle il n’a jamais écrit. Il voulait une société de tradition orale, reposant sur la mémorisation du savoir. La société actuelle en est très loin puisque, si elle a valorisé les apprentissages mémoriels, elle y a renoncé au profit de l’écrit d’abord, puis du support numérique. Les nouvelles générations élevées à l’IA n’auront probablement pas de compétences de mémorisation, au profit d’une capacité d’intégration immédiate des nouvelles données ! (Je frémis d’horreur de devenir un numéro dans un réseau connecté).

 

Coût social

Passée l’inquiétude philosophique, il faut s’interroger sur le coût social et sociétal de cette révolution dont l’avènement a déjà commencé.

 

En effet, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le régime social des salariés est financé dans l’ensemble des pays par un prélèvement sur les salaires – les cotisations sociales. Ce prélèvement qui atteint aujourd’hui (en France) 100% du salaire net restitué au salarié, (48% du coût total du salaire, dit extra-brut (salaire net + charges sociales salariales + charges patronales) finance l’ensemble des risques du salarié : assurance maladie professionnelle, chômage, retraite et prévoyance.

 

Pour les non-salariés, les prélèvements sont sensiblement identiques, avec une fausse économie de la cotisation chômage (23% du salaire brut) remplacée par une surprime imposée à tous les engagements financiers en raison de cette absence de protection chômage.

 

Avec la baisse de l’employabilité des salariés au profit des Intelligences Artificielles génératives et autres automates intelligents, c’est tout un pan d’activité qui se trouve défiscalisé (détaxé) puisque ne supposant plus de salariés.

 

Ainsi lorsque 10 salariés étaient nécessaires pour réaliser une prestation intellectuelle vendue 10 000 €, et coûtaient 2 500 € de frais salariaux, ils généraient des charges sociales de 48% de ces 2 500 €. Soit 1 200 € de cotisations sociales, prélevées par l’employeur pour financer le régime social.

Mais pour une même prestation de 10 000 € vendue par un opérateur d’IA générative la cotisation sociale n’est plus que celle du seul salarié opérateur (250 €) qui ne génèrera que 120 € de cotisations. Sauf à augmenter considérablement le salaire de l’opérateur pour qu’il rattrape la masse salariale économisée (ce qui n’aurait plus d’intérêt économique), la perte de financement sociale sera conséquente.

Dans cette situation le financement du régime de sécurité sociale actuel ne sera plus assuré.

 

Concurrence pure et parfaite :

Il faudrait, dans une logique naturelle de concurrence pure et parfaite, que l’activité industrielle non-salariée génère une charge sociale équivalente à la cotisation disparue.

 

Les propositions actuelles de « TVA sociale » sont des erreurs graves : Elles font peser le coût de ce financement par le consommateur final, qui paye déjà sa propre protection sociale.

La seule solution logique serait de lever une taxe sur les machines. Toutefois cette taxe ne doit pas être levée sur le seul achat des machines. En effet le cycle fiscal d’une machine est connu :

-          TVA et taxes d’importation sur l’achat

-          Taxe professionnelle ou équivalente

-          Réduction fiscale liée à l’amortissement de la valeur capitalistique de la machine (un ordinateur s’amortit sur 3 ans, une machine industrielle sur 10 ans, un logiciel 12 mois (-art.236 CGI)

 

Par comparaison, le salarié n’est pas amortissable. Il génère une triple charge :

-          Salaire

-          Charges sociales et taxe sur les salaires

-          Indemnité de rupture (licenciement, indemnité de départ en retraite…)

 

Ne pas reconnaître la valeur de cette activité générée par les machines, algorithmes ou IA génératives revient à créer une distorsion de concurrence entre les entreprises à IA et celles sans IA, qui ne peuvent faire autrement que de payer des salaires pour générer du profit.

 

L’IA, entité économique indépendante ?

Indépendante ou non les profits générés par les IA et autres machines intelligentes doivent être évalués et appréhendés.

Ce n’est pas tant le Chiffre d’Affaires de l’entreprise qui doit générer des charges sociales que l’activité productive qui remplace la main-d’œuvre.

 

Le droit est techniquement prêt à reconnaître une personnalité juridique à l’IA. Si elle est capable de conduire des véhicules, de passer des contrats (de transport notamment), de rendre des jugements et de créer des œuvres de l’esprit générant des droits d’auteur ou des brevets d’invention, alors elle doit se voir reconnaître un minimum d’existence juridique. Ne serait-ce que pour détenir un patrimoine, et générer de la fiscalité.

 

Adopter un statut juridique de l’IA rendrait possible de lui créer un régime fiscal et social qui lève une taxe ou un impôt sur l’activité générée par les machines ou les IA génératives.

 

J’ai déjà longuement détaillé un tel statut juridique depuis 2017. Pour plus de détail sur les aspects « non-sociaux » de ce statut, il est possible de consulter l’article Le statut personnel des robots et autres intelligences artificielles : droits, devoirs, actions et responsabilités | Miroir Social. Ce statut juridique de l’IA spécifique, tourné en priorité autour de sa capacité de création patrimoniale, permet de créer pour chaque IA un patrimoine d’affectation complet impliquant :

-          un « équivalent salaire », destiné à couvrir les frais d’entretien de la machine (amortissement)

-          un équivalent impôt sur le revenu de la machine calculé sur la valeur économique devant revenir à la machine (l’équivalent salaire qui est actuellement totalement défiscalisé par l’amortissement)

 

Le prix d’acquisition de la machine et son amortissement peuvent être assimilés au salaire du salarié réparti sur la durée de vie de la machine. Et cet équivalent salaire peut générer un impôt sur le revenu fictif (de la machine) devant être payé par l’exploitant de la machine.

 

De cette manière le surcoût n’est plus imposé aux consommateurs finaux, mais bien aux machines et à leurs exploitants.

C’est à mon avis une solution qui permet de maintenir une concurrence libre et parfaite entre tous les opérateurs pour un même service donné.

 

Reste à discuter des taux, et de la durée de cette fiscalisation, car il n’est pas question que l’être humain devienne un individu financé par le salaire des machines.

C’est un débat plus complexe.

 

Quatre pistes seront à éviter :

Dans une logique de crashtest de l’intelligence artificielle j’ai interrogé Chat GPT sur la question et il est tombé dans le panneau, en proposant une taxe sur l’usage, une taxe sur la production et un fonds de solidarité humaine. J’ajoute à ce compendium des erreurs à ne pas faire la TVA sociale pour les raisons déjà exposées.

 

-          La taxe sur l’usage, taxe redondante qui frapperait le propriétaire de l’IA pour le volume d’utilisation. Cette solution me semble contre-productive, outre qu’elle constituerait certainement une double taxation de la propriété après la TVA.

-          La taxe sur la production assistée par IA : taxe qui serait levée sur l’économie ou la productivité de l’IA. Cette taxe risque d’être contre-productive, car décorrélée de la valeur travail de l’IA. Ce n’est pas le profit ou l’économie générés qui doivent être taxés. C’est bien la force de travail de remplacement de l’humain.

-          La TVA sociale est l’une des pire solutions, car elle frapperait l’utilisateur, humain par essence, qui supporte déjà une taxe sociale sur son activité.

-          Le Fonds de solidarité IA / Humain est également une piètre solution qui ne serait qu’un pis aller.

 

Reste à évoquer comment lutter contre le dumping social opéré par les compagnies de fast-fashion qui font l’impasse sur les distributeurs pour vendre directement au consommateur par internet. Mais c’est un autre débat avec d’autres solutions.

 

Ariel DAHAN, le 24 juin 2025

 

Pour aller plus loin sur le même sujet, d: Le statut personnel des robots et autres intelligences artificielles : droits, devoirs, actions et responsabilités | Miroir Social

Vous avez une question ?

Posez gratuitement toutes vos questions sur notre forum juridique. Nos bénévoles vous répondent directement en ligne.

Publier un commentaire
Votre commentaire :
Inscription express :

Le présent formulaire d’inscription vous permet de vous inscrire sur le site. La base légale de ce traitement est l’exécution d’une relation contractuelle (article 6.1.b du RGPD). Les destinataires des données sont le responsable de traitement, le service client et le service technique en charge de l’administration du service, le sous-traitant Scalingo gérant le serveur web, ainsi que toute personne légalement autorisée. Le formulaire d’inscription est hébergé sur un serveur hébergé par Scalingo, basé en France et offrant des clauses de protection conformes au RGPD. Les données collectées sont conservées jusqu’à ce que l’Internaute en sollicite la suppression, étant entendu que vous pouvez demander la suppression de vos données et retirer votre consentement à tout moment. Vous disposez également d’un droit d’accès, de rectification ou de limitation du traitement relatif à vos données à caractère personnel, ainsi que d’un droit à la portabilité de vos données. Vous pouvez exercer ces droits auprès du délégué à la protection des données de LÉGAVOX qui exerce au siège social de LÉGAVOX et est joignable à l’adresse mail suivante : donneespersonnelles@legavox.fr. Le responsable de traitement est la société LÉGAVOX, sis 9 rue Léopold Sédar Senghor, joignable à l’adresse mail : responsabledetraitement@legavox.fr. Vous avez également le droit d’introduire une réclamation auprès d’une autorité de contrôle.