Le risque de catastrophe naturel est-il encore assurable ?
Les incendies catastrophiques de Californie convoquent le juriste, au-delà de l’horreur de la situation humaine et environnementale. Depuis que le Président Donald Trump a exigé de l’administration américaine qu’elle retire de ses polices d’assurance l’exclusion d’assurance pour le risque climatique, le terme ayant été banni, la question se pose de savoir si le risque catastrophe naturel pourra encore être assuré au titre d’un contrat d’assurance, ou s’il doit être couvert par un autre système, qui peut être une solidarité régionale ou nationale.
Cette situation n’est pas spécifique aux Etats-Unis. La question de la politisation de la catastrophe naturelle intervient régulièrement en France, où les assurances acceptent relativement facilement de se faire dépouiller au profit de l’intérêt supérieur de la catastrophe naturelle. Sans qu'on sache bien jusqu'à quand elles accepteront.
Aléas – Vous avez dit Aléas ? Le droit de l'assurance repose sur la preuve de l’existence d’un aléa avant la souscription du risque. Que l’aléas disparaisse et le risque n’est plus assurable. Et pourtant l’aléas climatique semble perdre son caractère aléatoire. Ainsi dans certaines régions, la montée des eaux maritimes est programmée, alors que les risques d’inondation par ruissellement sont également connus et anticipés. Dès lors, peut-on encore assurer ce risque ? A quel titre ?
Pour revenir aux incendies de Californie, la question princeps ne me paraît plus de savoir s’il s’agit d’une catastrophe nationale ou d’une propagation incontrôlée d’incendie de maison à maison comme ce fut le cas à Hawaï. Les causes environnementales semblent acquises, bien que politiquement interdites. En revanche elles ne paraissent pas liées à un aléa imprévisible et irrésistible :
En effet, la Californie est une terre aride, revêtue d’une végétation naturelle qui accepte les incendies dits de repousse (plantes grasses dont la repousse est réactivée par la chaleur d’un incendie naturel).
Mais sur cette végétation naturelle théoriquement résiliente aux incendies, est intervenu un cycle météorologique naturel particulier et nouveau à l'échelle géologique, composé de fortes pluies en été et d’une grande sécheresse d’hiver. Les pluies d’été ont fait pousser les végétaux, et la sécheresse d’hiver les a tués, transformant cette végétation grasse résistant relativement bien aux flammes en une réserve de combustibles prête à flamber.
Aggravation du risque par le comportement humain: Toutefois la catastrophe aurait pu être circonscrite si la société californienne avait mis en place des dispositifs anti-incendie suffisants qu'on trouve dans toutes les règlementations d’urbanisme :
- Obligation de débroussailler
- Dimensionnement suffisant des réserves d’eau pour la lutte contre l’incendie
- Matériaux de construction des bâtiments non-combustibles ou ignifugés
Toutes les constructions n’ont pas brûlé. Les maisons ayant bénéficié de matériaux naturellement ignifugés ont tenu et apparaissent après coup comme des miraculées dans des rues calcinées. Certains y ont vu un complot. D’autres le doigt divin. C’est surtout la preuve par l’exemple qu’il était possible de réduire le niveau de la catastrophe. Au même titre que les normes antisismiques réduisent le niveau de destruction après séisme, les normes de construction jouent sur la résistance aux flammes et à leur propagation.
Enfin il y a quelque chose d’assez indécent à constater que ces maisons étaient pour la plupart adossées à des piscines de taille relativement importante, qui auraient pu servir de réserve d’eau pour alimenter des pompes à incendie. Ce furent des mètres cubes d’eau qui ont manqué aux pompiers pour limiter les dégâts.
Les États-Unis (et les pays de Common Law avec eux) ont adopté un droit casuistique. Tant qu’une situation factuelle ne se s’est pas produite au moins une fois, le droit l’ignore et la justice n’y trouve pas faute. Les normes y sont plus « détendues » qu’en Europe qu’on dit percluse de normes de sécurité. Portant ces normes ont été pensées précisément pour éviter des situations théoriquement possibles. Aux USA ce qui est impensable est excusé mais ce qui est déjà advenu n'a plus le droit de se reproduire. D'où des procès essentiellement casuistiques, qui pignolent sur des archi-points de droits pour se raccrocher à un précédent pouvant remonter au 18ème siècle, là où le droit français, codifié, va s'arrêter au principe, à l'exception légales et aux règlementations.
Comportement Raisonnable vs Reasonable Man : La limite à l’intelligence, dans le droit anglo-saxon, s’appelle le « reasonable ». Ce « reasonable » sonne comme notre « Bon Père de Famille », mais il n’y ressemble pas du tout. Le « reasonable » correspond à une notion floue, aux contours variables, dans laquelle la justice considèrera à postériori que le sujet de droit pouvait ou ne pouvait pas considérer la situation comme problématique. Le justiciable devant appliquer des efforts « raisonnables » pour éviter le sinistre. Pour apprécier le respect de son obligation, les juges comparent une floppée de décisions antérieures – c’est l’aspect casuistique de ce droit. Si aucun « précédent » n’est relevé, alors le justiciable n’est pas en tort. Mais qu’un précédent puisse être relevé (fut-ce il y a 200 ans dans un contexte fort différent) et il sera possible de s’y raccrocher, soit pour exonérer soit pour sanctionner.
Au rebours de cette apparence de raison autoproclamée, mais dont on voit qu’elle est limitée par la jurisprudence, le droit « civil » opposait jusqu’à la Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes la notion juridique de « bon père de famille ». Cette loi éminemment politique et doctrinale a introduit en France – contre l’avis du juriste et à son corps défendant – le terme « raisonnable » ou « raisonnablement ». Toutefois cette raison, nécessairement cartésienne puisque nous sommes français, ne s’exprime pas de la même manière en Droit Civil qu’en Common Law.
Dans cette conception, le citoyen qui n’est plus un « bon père de famille » mais qui doit être « raisonnable », qui ne doit plus agir « en bon père de famille » mais « raisonnablement » ce citoyen n’est pas le « reasonable man » anglais ou américain. Le caractère raisonnable de son action s’entend, pour le droit français, d’un minimum de comportement que la société est en droit d’attendre d’un citoyen normalement éduqué et instruit.
Retenons la définition anglo-saxonne du « Reasonable Person », donnée par la Cour suprême du Canada. La Cour a ainsi défini la personne raisonnable (version québécoise du reasonable man) :
« une personne réfléchie et non une personne aux réactions émotives, mal informée sur les circonstances d’une affaire ou en désaccord avec les valeurs fondamentales de notre société. Mais cette personne n’est pas un juriste qui connaît tous les rudiments du système de justice criminelle, les éléments constitutifs des infractions criminelles ou les subtilités de l’intention criminelle et des défenses disponibles aux accusés. » (Source : Jocelyn Giroux et Denis Laliberté, « Entre embâcles et méandres », in Argument, vol. 19, no 1, automne-hiver 2017, p. 53)
Ainsi le comportement raisonnable devrait-il être de celui qui ne croit pas aux chimères, qui est suffisamment instruit, et qui est à même de se faire son opinion sur une situation donnée. On peut penser qu’on est ramené à l’Honnête Homme idéal du XVIIème siècle : l’individu ayant une culture générale étendue, des qualités sociales propres à le rendre agréable à la cour (courtoisie et humilité) ainsi que des vertus morales (modération et maîtrise de ses émotions). Le citoyen à la tête bien faite plutôt que bien pleine, cher à Montaigne.
L’ancien Honnête Homme était héritier du Kalos kagathos (grec ancien : καλὸς κἀγαθός) traduit littéralement par « bel et bon » était kalos kagathos celui qui se hissait pleinement à la hauteur de sa dignité d'homme : En un mot celui qui s’assume et assume ses faits.
La chrétienté médiévale retiendra l’Honestus Clerus. L’Angleterre Victorienne s’attachera au Gentleman cultivé. L’Allemagne romantique s’accrochera pour sa part à l’esprit de l'Aufklärung (siècle des lumières germanique).
En France l’honnête homme est tout sauf un spécialiste ou un professionnel. C’est l’homme « de bon goût ». Celui dont la culture doit lui permettre de déjouer les pièges quotidiens que lui tend la société. À ce titre il doit se former un minimum. Ce sont les connaissances scientifiques des Lumières, puis l’Instruction obligatoire.
C’est là que la société touche le bout de sa logique : L’instruction est obligatoire, et gratuite, pour tous. Ergo l’honnête homme est celui qui sait invoquer cette instruction obligatoire. Voilà tout ce qui était attendu du « bon père de famille » d’avant 2014, devenu simplement « raisonnable » à partir de 2014. Contrairement à la notion anglosaxonne floue de « reasonable », la notion française de « raisonnable » englobera nécessairement toutes les connaissances connues du grand public, et délivrées gratuitement par la société au travers son instruction obligatoire ainsi qu’au travers des multiples sources d’information publique.
Dès lors, l’homme raisonnable français « sait » qu’il doit débroussailler autour de sa maison, et qu’à défaut il s’expose à des amendes, voire à un refus de couverture par l’assureur en cas de sinistre. Du moins s’il ne le sait pas, tant pis pour lui ! Nul n’est censé ignorer la loi. Adage frappé du coin du bon sens !
En France, l’obligation de débroussaillage concerne les habitations situées à moins de 200 mètres d’un massif forestier, de landes, de maquis ou garrigues classés à risque d’incendie.
Dans ce cas, le débroussaillement devra être réalisé sur une surface ayant une profondeur de 50 mètres au moins autour des bâtis. Et les voies d'accès doivent être débroussaillées sur une profondeur de 10 mètres de part et d'autre de la voie.
Aux USA, il existe également une obligation de débroussaillage. Fédéralisme oblige, les règlementations varient d’un État à l’autre, d’un Conté à un autre, d’une Ville à l’autre, sur une distance de 100 pieds (30,5 m). Cette distance étant parfois ramenée à 30 pieds (10m).
Dans un contexte où les maisons sont presque toutes bâties en bois, et au regard du précédent d'incendie par propagation de Hawaï il semble que cette distance de débroussaillage soit nettement insuffisante. Si la différence paraît faible entre 100 pieds et 50 m, elle suffit parfois à créer un pont de flammes et à propager l’incendies au-delà d’une zone déboisée.
Que dirait l’assureur (ou le réassureur) face à ces risques récurrents, pour lesquels l’occurrence apparaît certaine et pour lesquels le comportement des assurés semble aggraver fortement les conséquences ?
Cette question pourrait se poser également en France. Nous ne sommes pas à l’abri d’une jurisprudence qui considèrerait un jour que les épisodes de gonflement/sécheresse des nappes phréatiques ne relèvent plus de la reconnaissance de catastrophe naturelle mais sont des risques prévisibles liés à la géologie du terrain, et tant pis pour les assurés qui subiront les mouvements du sol ;
Droit ou politique ? Plus aucun assuré n’est à l’abri d’un assureur qui souhaiterait s’exonérer définitivement des conséquences de l’inondation en aval d’un cours d’eau connu pour ses débordements. Pas plus qu’il ne sera à l’abri de l’assureur qui voudra supprimer le risque climatique de ses polices d’assurance. Une grande partie des assureurs américains a retiré de ses polices le risque climatique en 2023, de sorte que certains des sinistrés des feux de 2025 ne sont plus assurés. La réintroduction du risque climatique dans certaines zones ne relèvera plus du droit de l’assurance mais de la volonté politique d’imposer aux assureurs des polices d’assurance décorrélées de l’aléas.
Aujourd’hui, le « bon père de famille » (notion inscrite à la liste du patrimoine national en détresse qu’il faudra un jour reconstituer), le citoyen « raisonnable » se doit de prendre en considération l’ensemble des risques auxquels il est exposé, de s’assurer en conséquence et d’agir avec les précautions qui s’imposent eut égard à la réalité locale. Dans la mesure où l’information lui est délivrée gratuitement par les informations d’urbanisme, ne pas l’exploiter et en tirer profit ne serait vraiment pas « raisonnable »…
Ariel DAHAN,
Le 14 janvier 2025