La validité d'une clause attributive de compétence asymétrique en droit européen : éclairage de l'arrêt CJUE du 27 février 2025
Un principe d’autonomie contractuelle encadré
Fondement juridique européen
L’article 25, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, dit "Bruxelles I bis", consacre la faculté pour les parties à un contrat de désigner par accord exprès la ou les juridictions d’un État membre de l’Union européenne pour trancher leurs différends. Cette prérogative s’inscrit dans le cadre du principe d’autonomie de la volonté en matière contractuelle, sous réserve des règles de protection des parties faibles et de la compétence exclusive prévues aux articles 15 à 24 du même règlement.
Définition et spécificité de la clause asymétrique
Une clause attributive de compétence est qualifiée d’"asymétrique" lorsqu’elle impose à l’une des parties de saisir une juridiction désignée, tout en permettant à l’autre partie d’introduire une action devant d’autres juridictions compétentes selon les règles ordinaires. Cette clause, parfois considérée comme déséquilibrée, soulève la question de sa validité au regard du droit de l’Union.
L’arrêt du 27 février 2025 : vers une reconnaissance sous conditions strictes
Faits et contexte du litige
L’affaire C‑537/23 oppose la société italienne Società Italiana Lastre SpA (SIL) à la société française Agora SARL. Les deux parties avaient conclu un contrat comportant une clause attributive de compétence exclusive au profit du tribunal de Brescia, tout en laissant à SIL la faculté de saisir tout autre tribunal compétent en Italie ou à l’étranger.
Appelée en garantie devant un tribunal français, SIL invoque cette clause pour contester la compétence de la juridiction française. La Cour de cassation, saisie du pourvoi, interroge la CJUE sur la validité de cette clause asymétrique.
Apports de l’arrêt de la CJUE
La Cour de justice de l’Union européenne affirme que ce type de clause n’est pas nul par principe. Elle énonce trois conditions cumulatives devant être remplies pour que la clause soit valable :
1. La clause doit concerner des juridictions situées dans l’UE ou dans un État lié par la convention de Lugano
La clause ne saurait désigner une juridiction d’un État tiers non signataire de la convention de Lugano. Elle peut toutefois viser plusieurs juridictions appartenant à différents États membres.
2. Elle doit présenter une précision suffisante
Les juridictions désignées doivent pouvoir être identifiées de manière certaine et objective, notamment par une désignation expresse ou par référence aux règles de compétence du règlement Bruxelles I bis.
3. Elle ne doit pas contrevenir aux dispositions protectrices du règlement
La clause ne peut s’appliquer si elle contrevient aux règles protégeant les consommateurs, les salariés ou les assurés (articles 15, 19, 23) ou si elle déroge à une compétence exclusive prévue à l’article 24 (ex. : droits réels immobiliers ou validité d’une société).
Une approche fondée sur des critères européens autonomes
Interprétation de la "nullité quant au fond"
La CJUE précise que la notion de "nullité quant au fond" visée à l’article 25 § 1 renvoie aux causes classiques de nullité contractuelle prévues par le droit national applicable (vice du consentement, incapacité, etc.). En revanche, les éventuels déséquilibres ou imprécisions d’une clause ne doivent pas être appréciés selon le droit interne, mais au regard des exigences propres du droit de l’Union.
Une clause déséquilibrée n’est pas nécessairement invalide
La Cour affirme clairement que l’asymétrie dans la désignation des juridictions ne remet pas en cause, à elle seule, la validité de la clause. L’objectif de sécurité juridique, qui fonde le règlement Bruxelles I bis, impose avant tout des critères de clarté, de prévisibilité et de consentement librement exprimé.
Recommandations pratiques pour les rédacteurs de contrats internationaux
Bonnes pratiques à adopter
Pour garantir la validité d’une clause asymétrique dans un contrat international :
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Privilégier une formulation claire, en identifiant précisément les juridictions compétentes ;
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Éviter les expressions vagues telles que "tout tribunal compétent à l’étranger" ;
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Veiller à ce que la clause ne contrevienne pas aux protections impératives du règlement ;
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Conserver une trace écrite du consentement éclairé des parties.
Nécessité d’un audit contractuel
Les entreprises et leurs conseils juridiques ont tout intérêt à revoir leurs contrats types ou accords-cadres, notamment dans les secteurs transfrontaliers, afin de s’assurer de la validité des clauses attributives de juridiction à la lumière de cette jurisprudence récente.
Par cet arrêt du 27 février 2025, la CJUE clarifie le régime juridique applicable aux clauses de compétence asymétrique. Elle confirme que, dans le cadre du règlement Bruxelles I bis, ces clauses peuvent parfaitement s’intégrer dans les contrats commerciaux internationaux, dès lors qu’elles respectent des conditions de lisibilité, de cohérence et de conformité aux dispositions protectrices de l’Union.
Les avocats experts en droit des affaires à Versailles doivent désormais intégrer ces critères dans leurs pratiques rédactionnelles pour sécuriser leurs stratégies contentieuses et contractuelles dans un environnement juridique européen de plus en plus exigeant.