L’affaire en bref
En décembre 2024, la cour d’appel de Versailles a validé la mise à l’écart d’un directeur général de SAS qui, sans autorisation préalable, s’était octroyé 10 400 € d’indemnité de congés. Résultat : licenciement pour faute grave, révocation instantanée du mandat social, perte d’une indemnité conventionnelle de 100 000 € et application d’une clause bad leaver l’obligeant à céder 5 % du capital au prix historique. L’arrêt illustre la puissance coercitive d’un pacte d’associés bien rédigé – mais aussi les risques pour un dirigeant qui minimise les procédures internes.
Le pacte d’associés : véritable baromètre de confiance
Dans une SAS, l’article L. 227-5 du Code de commerce laisse aux statuts et au pacte la liberté d’organiser la gouvernance. Un pacte peut ainsi :
-
exiger qu’un comité stratégique approuve toute rémunération supplémentaire significative ;
-
priver le dirigeant de son indemnité de mandat en cas de faute grave ;
-
prévoir une clause bad leaver imposant la cession forcée des titres à un prix plancher.
Pour l’investisseur, ces clauses encadrent le risque d’agence ; pour le dirigeant-actionnaire, elles constituent un terrain miné dès qu’il s’écarte de la procédure.
Rémunération, comité stratégique et faute grave
La chambre sociale définit la faute grave comme celle qui rend « impossible le maintien du salarié » ; le pacte commenté transpose mot pour mot ce standard dans la sphère corporate. En versant un avantage de 10 % de sa rémunération fixe sans l’aval requis, le dirigeant a :
-
violé son obligation contractuelle de loyauté (article 1103 C. civ.) ;
-
rompu la confiance des associés, critère décisif de la faute grave ;
-
justifié la mise à pied immédiate et la révocation ad nutum.
L’argument selon lequel l’assemblée générale avait approuvé les comptes n’a pas convaincu : l’approbation des comptes n’efface pas l’inexécution d’un pacte.
Bad leaver : quand la sanction dépasse le licenciement
La clause prévoyait un prix de cession égal à la moyenne des coûts d’acquisition des actions si la faute grave était retenue. Le dirigeant estimait ses titres à 50 € pièce, valorisation issue d’une levée de fonds postérieure ; la cour refuse :
-
le prix contractuel est intangible tant qu’il n’est pas manifestement dérisoire ;
-
à défaut d’avoir sollicité l’expertise contradictoire prévue dans les trente jours, l’associé perd son levier de revalorisation.
Sur un patrimoine latent d’environ 800 000 €, la décote représente près de 600 000 € : la clause bad leaver peut donc supprimer l’essentiel de la plus-value.
Bonnes pratiques pour protéger votre position
Dirigeants : avant de signer ou de lever un tour, consacrez du temps à ces points :
-
Définir la faute grave : listez les comportements visés (primes non validées, concurrence, divulgation d’informations).
-
Encadrer l’option d’achat : imposez une expertise automatique si le prix s’écarte de plus de x % de la dernière valorisation.
-
Fixer un prix plancher indexé : par exemple 70 % de la dernière valeur de transaction ou de l’EBITDA multiplié par un coefficient secteur.
-
Soigner la forme : toute décision impactant votre sort doit être actée par un PV détaillé ; conservez emails et convocations.
-
Prévoir un protocole de sortie : calendrier de remise du matériel, clauses de communication interne, lettre de recommandation éventuelle.
Trois questions à se poser avant de parapher un pacte
-
Puis-je activer une expertise indépendante en cas de litige sur le prix ?
-
La qualification de « faute grave » est-elle objective ou laissée à l’appréciation unilatérale des majoritaires ?
-
Le cumul contrat de travail / mandat social est-il articulé ? Une sanction unique ou un double effet (licenciement + révocation) ?
Un « oui » clair à ces trois questions réduit considérablement l’aléa.
La discipline contractuelle avant tout
L’arrêt Versailles rappelle qu’un écart de gouvernance, même anodin en apparence, peut pulvériser la valeur patrimoniale d’un dirigeant-associé. La clause bad leaver n’est pas une coquille théorique : appliquée à la lettre, elle se montre redoutablement efficace.
Investisseurs : sécurisez la rédaction, documentez chaque manquement et conservez la preuve du contradictoire.
Chefs d’entreprise : anticipez les conséquences d’un simple bonus non validé ; votre capital en dépend. Un pacte bien négocié et régulièrement respecté demeure le meilleur rempart contre une perte sèche de valorisation.
Retrouvez l'article complet ici.
https://www.avocats-lebouard.fr/