Dirigeant de fait : les critères de qualification resserrés par la jurisprudence
La notion de dirigeant de fait en droit des entreprises en difficulté soulève régulièrement des interrogations pratiques et contentieuses. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 26 mars 2025 (n° 24-11.190) illustre, une fois encore, l’exigence d’une preuve rigoureuse et concrète d’immixtion dans la gestion pour retenir cette qualité. Il s’agit d’un rappel utile pour toutes les personnes exerçant une influence significative dans une entreprise sans en avoir la qualité officielle de dirigeant.
Une affaire de confusion fonctionnelle et familiale
Dans cette affaire, un directeur commercial avait vu sa faillite personnelle prononcée au titre de gérant de fait. Son implication dans les décisions de la société, son lien de parenté avec le gérant statutaire (son neveu) et les déclarations de plusieurs salariés avaient suffi, pour la cour d’appel, à caractériser une emprise et une direction de fait.
La Cour de cassation ne l’a pas entendu de cette oreille. Elle rappelle que l’ascendant hiérarchique ou familial ne suffit pas à établir la qualité de dirigeant de fait. Il faut des actes précis de gestion, exercés en toute autonomie, qui dépassent les attributions normales du poste occupé.
Le cadre juridique applicable : une exigence d’actes objectifs
L’article L.653-1 du Code de commerce autorise les juridictions à prononcer des sanctions personnelles à l’encontre de toute personne ayant, en droit ou en fait, dirigé une entreprise en difficulté. Mais pour être qualifié de dirigeant de fait, encore faut-il prouver une activité de direction effective, régulière, structurée, et surtout indépendante.
Ce principe est constant : la jurisprudence exige des actes de gestion positifs, matériels, accomplis en toute liberté. La simple influence, aussi marquée soit-elle, n’est pas suffisante. Ce critère protège les cadres supérieurs ou les membres de la famille du gérant contre une assimilation abusive à une fonction dirigeante qu’ils n’ont pas exercée en droit.
Les implications concrètes de cette décision
Ce rappel jurisprudentiel est essentiel dans le contexte de gouvernances complexes, notamment dans les TPE et PME familiales, où les fonctions peuvent se chevaucher. Il rappelle que :
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L’influence psychologique, hiérarchique ou liée à l’expérience n’est pas un critère suffisant ;
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La qualité de dirigeant de fait suppose une immixtion dans les décisions stratégiques, financières, sociales ;
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Seuls des actes répétés, identifiables et datés, peuvent emporter cette qualification.
L’arrêt impose ainsi une vigilance accrue aux collaborateurs exerçant des fonctions opérationnelles élevées, notamment aux directeurs commerciaux, généraux ou administratifs.
Les recommandations pour se prémunir contre le risque de requalification
Dans la pratique, il est impératif de structurer clairement les pouvoirs de chacun au sein de l’entreprise. Les délégations doivent être formalisées, les périmètres de responsabilité tracés, et les décisions engageant la société prises exclusivement par les dirigeants statutaires.
Pour les collaborateurs de haut niveau, il est recommandé de :
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Ne jamais signer au nom de la société sans délégation expresse ;
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S’abstenir de participer à des décisions stratégiques sans validation hiérarchique ;
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Documenter systématiquement les échanges et la chaîne de validation ;
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Éviter toute confusion dans les communications internes ou externes.
En cas de doute sur votre exposition au risque de requalification, consultez un avocat en droit des affaires sur la Ville de Versailles. Un avocat saura évaluer la nature réelle de vos actes et vous conseiller sur la documentation à produire pour écarter toute responsabilité personnelle injustifiée.
Une jurisprudence utile pour la sécurité des relations internes
La Cour de cassation confirme, à travers cet arrêt, sa volonté de limiter strictement la notion de direction de fait à ce qu’elle est réellement : une direction autonome, exercée en dehors du champ contractuel, matérialisée par des actes décisifs.
Ce faisant, elle protège les entreprises et leurs collaborateurs contre des extensions excessives de responsabilité. Elle évite également que le droit des procédures collectives ne serve d’instrument à des règlements de compte internes ou à des interprétations abusives de rapports hiérarchiques ou familiaux.