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Discrimination : la famille de l’employeur peut-elle justifier un salaire ?

Publié le 12/06/2025 Vu 173 fois 0
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Arrêt Cass. soc. 9 avr. 2025 : privilégier un salarié parent de l’employeur constitue une discrimination salariale. Analyse et bonnes pratiques.

Arrêt Cass. soc. 9 avr. 2025 : privilégier un salarié parent de l’employeur constitue une discrimination

Discrimination : la famille de l’employeur peut-elle justifier un salaire ?

Situation de famille de l’employeur : nouveau critère de discrimination salariale

Cadre normatif : du texte national aux sources européennes

L’article L 1132-1 du Code du travail prohibe toute mesure discriminatoire tenant, entre autres, à la situation de famille. Jusqu’ici, la doctrine considérait que ce motif visait exclusivement la sphère privée du salarié : mariage, PACS, nombre d’enfants. L’arrêt du 9 avril 2025 (Cass. soc., n° 23-14.016) rehausse le standard protecteur : il confirme qu’une différence de traitement peut être illicite lorsque l’employeur privilégie un membre de sa propre parenté.


Cette lecture s’accorde avec la directive 2000/78/CE et la jurisprudence de la CJUE sur la discrimination par association (CJUE, 17 juil. 2008, Coleman, C-303/06 ; 16 juil. 2015, Nikolova, C-83/14), lesquelles jugent que le principe d’égalité ne protège pas seulement un groupe défini mais toute personne subissant une disparité en raison d’un motif prohibé.

Les faits : deux collaboratrices, des rémunérations divergentes

Un député emploie deux collaboratrices parlementaires. L’une, diplômée d’un master 2 en droit, cadre à temps partiel, exécute la totalité des tâches législatives. L’autre, sans diplôme et aux missions essentiellement logistiques, n’est autre que l’épouse de l’élu ; elle perçoit un salaire supérieur de 62 % et bénéficie de primes exclusives (ancienneté, disponibilité). Licenciée pour cessation de mandat, la première assigne l’employeur pour discrimination salariale.


Devant la cour d’appel, l’argumentaire patronal repose sur la confidentialité et la fidélité supposées de l’épouse. Les juges lyonnais rejettent cette justification : l’avantage est corrélé au lien matrimonial, non à des compétences objectivables. La Cour de cassation confirme : le défaut d’appartenance à la famille de l’employeur est un motif prohibé dès lors qu’il fonde un traitement moins favorable.

Portée de l’arrêt : un élargissement inédit

  • Redéfinition du critère : la situation de famille englobe désormais celle de l’employeur lorsqu’elle crée une inégalité.

  • Applicabilité universelle : si l’affaire concerne l’Assemblée nationale, la solution vaut pour toute structure privée ou publique, y compris les entreprises familiales.

  • Principe de proportionnalité : toute différence de rémunération doit reposer sur un but légitime et des éléments objectifs, étrangers à la parenté.

Conséquences pratiques pour les employeurs

Le risque contentieux dépasse la seule réparation salariale. En cas de litige, le salarié victime apporte des faits laissant présumer une discrimination (art. L 1134-1), puis l’employeur doit prouver que l’écart repose sur :

  • un niveau de qualification distinct (fiches de poste, diplômes) ;

  • une responsabilité supérieure (management, délégation budgétaire) ;

  • des résultats mesurables (objectifs chiffrés, indicateurs de performance).

À défaut :

  • rappel des salaires sur cinq ans, avec intérêts ;

  • dommages-intérêts pour préjudice moral ;

  • possible sanction pénale (art. 225-1 et 225-2 C. pén.) en cas de discrimination caractérisée.

Bonnes pratiques de conformité

  1. Transparence salariale : établir une grille fondée sur des critères écrits, accessibles et régulièrement mis à jour.

  2. Traçabilité des évaluations : conserver les comptes rendus d’entretiens, matrices de compétences, décisions de primes.

  3. Éthique de gouvernance : exclure tout critère familial dans les comités de rémunération ; intégrer un tiers externe en cas de doute.

  4. Sensibilisation : former managers et associés aux risques de discrimination indirecte.

Perspectives : vers un contrôle accru des entreprises familiales ?

Cet arrêt s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle de protection renforcée : après l’égalité femmes-hommes et l’élargissement du harcèlement moral, la Cour cible les biais de faveur intra-familiale. Il faut s’attendre à :

  • une hausse des contentieux dans les PME à actionnariat familial ;

  • un contrôle renforcé de l’Inspection du travail lors des ruptures collectives ;

  • une vigilance des partenaires sociaux lors des NAO sur les écarts de rémunération.

En consacrant la situation de famille de l’employeur comme vecteur de discrimination salariale, la chambre sociale étend la portée de l’article L 1132-1. Derrière cette avancée se profile une exigence : celle d’une gouvernance salariale rigoureuse, fondée sur des critères strictement professionnels. Les employeurs doivent désormais documenter chaque avantage accordé à un membre de leur entourage, sous peine de voir leur politique RH mise en cause devant le juge prud’homal, voire le juge pénal.

 

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