Nom, fonction, signature : les dirigeants peuvent-ils faire valoir leur droit à l’effacement ?
Le droit à l’effacement, également connu sous le nom de « droit à l’oubli », figure parmi les droits fondamentaux reconnus aux personnes physiques par le Règlement général sur la protection des données (RGPD).
Ce droit peut-il être invoqué par un dirigeant de société dont les nom, fonction ou signature apparaissent dans des documents accessibles au public ? Et si oui, dans quelles limites ? Cette question, à la croisée du droit des sociétés, du droit des données personnelles et de la transparence économique, appelle une réponse nuancée.
Le nom et la signature d’un dirigeant sont des données à caractère personnel
Un rappel des fondements du RGPD
L’article 4, paragraphe 1, du RGPD définit les données à caractère personnel comme toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable. Sont ainsi considérés comme des données personnelles :
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Le nom et le prénom d’un dirigeant,
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Sa fonction dans la société,
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Ses coordonnées professionnelles,
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Sa signature apposée sur un acte ou document officiel.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) l’a rappelé de manière constante, notamment dans un arrêt du 3 avril 2025 (C-710/23, L.H. c/ Ministerstvo zdravotnictví) : le simple fait que ces données soient utilisées dans un cadre professionnel ne leur ôte pas leur qualification de données personnelles.
La signature manuscrite comme donnée protégée
La signature d’un dirigeant, lorsqu’elle figure sur un contrat, un certificat ou un document d’entreprise, constitue une donnée à caractère personnel au sens du RGPD. Elle est protégée à ce titre, même en l’absence de traitement numérique.
Le droit à l’effacement : une protection encadrée
Un droit prévu à l’article 17 du RGPD
Le RGPD reconnaît à toute personne concernée un droit à l’effacement de ses données, lorsque l’un des motifs suivants est rempli (article 17, §1) :
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Les données ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ;
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Le traitement repose sur le consentement et celui-ci est retiré ;
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Les données ont fait l’objet d’un traitement illicite ;
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L’effacement est requis pour respecter une obligation légale.
Une exception majeure : l’obligation légale de conservation ou de publication
L’article 17, §3 du RGPD précise que ce droit ne s’applique pas lorsque le traitement est nécessaire :
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Au respect d’une obligation légale de conservation ou de publication (ex. : RCS, publicité légale),
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À l’exercice d’un droit en justice ou à la défense d’intérêts juridiques,
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À l’exercice de la liberté d’expression et d’information.
Autrement dit, un dirigeant ne peut pas demander l’effacement de ses données lorsque leur publication ou conservation est imposée par la loi.
Quand le droit à l’effacement peut-il être invoqué ?
En dehors des obligations légales
En pratique, un dirigeant peut exercer son droit à l’effacement :
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Si ses données figurent sur des documents mis en ligne sans base légale,
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Si une entreprise publie son nom ou sa signature dans une newsletter ou un contenu marketing,
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Si ses informations sont reprises par des tiers sans justification,
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Ou encore si une ancienne fonction est toujours associée à son nom sur des documents devenus obsolètes.
Dans ces hypothèses, le responsable du traitement devra démontrer l’existence d’un fondement juridique clair pour refuser la demande d’effacement. À défaut, il sera tenu de supprimer les données litigieuses.
Jurisprudence récente favorable au droit à l’effacement
Dans un arrêt du 4 octobre 2024 (C-200/23), la CJUE a jugé que les associés de société peuvent demander l’effacement de leurs données figurant dans des statuts soumis à publicité, dès lors que ces données ne sont pas exigées par la loi.
Ce raisonnement peut être transposé aux dirigeants lorsque les données diffusées excèdent ce que prévoit la réglementation.
Quelle procédure pour faire valoir ce droit ?
Étapes recommandées pour un dirigeant
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Identifier le responsable du traitement (entreprise, site internet, éditeur, etc.) ;
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Formuler une demande d’effacement claire et motivée, en rappelant le fondement de l’article 17 du RGPD ;
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Préciser les documents, liens ou fichiers visés par la demande ;
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Conserver une preuve de l’envoi et du contenu de la demande.
Le responsable du traitement dispose d’un délai d’un mois pour répondre. En cas de refus injustifié, le dirigeant peut saisir :
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La CNIL, au titre de son pouvoir de régulation ;
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Ou le juge judiciaire, pour obtenir réparation du préjudice subi (art. 82 du RGPD).
En résumé
Le droit à l’effacement peut être valablement exercé par un dirigeant lorsque la publication de ses données personnelles ne repose pas sur une obligation légale. Si le registre du commerce ou les actes soumis à publicité échappent à cette protection, toute diffusion superflue, obsolète ou injustifiée est susceptible d’être contestée.
Dans un environnement où la réputation d’un dirigeant peut être altérée par la persistance de contenus en ligne ou de mentions non maîtrisées, le RGPD offre un cadre juridique structurant, à condition d’en connaître précisément les limites.
Pour aller plus loin :
https://www.lebouard-avocats.fr/post/rgpd-protection-donnees-dirigeants-societe
https://www.lebouardavocats.com/blog-posts/rgpd-dirigeants-publication-donnees-personnelles