Régularité d’une évaluation d’office d’un contribuable micro-BIC : précisions sur l’articulation entre les articles L. 66, L. 68 et L. 73 du LPF
La régularité des procédures d’évaluation d’office et de taxation d’office constitue une source de contentieux fréquente, en particulier lorsque le contribuable est placé sous un régime fiscal dérogatoire tel que le régime « micro-BIC » ou la franchise en base de TVA. L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Marseille le 5 octobre 2023 (n° 21MA04415), confirmé par le Conseil d’État dans une décision de non-admission du 10 mars 2025 (n° 489946), apporte une clarification importante sur la faculté de l’administration fiscale de recourir à ces procédures, même en l’absence de démonstration préalable du dépassement des seuils applicables au régime micro.
Il s’agissait en l’espèce de déterminer si l’administration peut, en cas de non-dépôt de déclarations, engager une procédure d’évaluation d’office sur le fondement de l’article L. 73, 1° du LPF à l’encontre d’un contribuable qui se prétend bénéficiaire du régime micro-BIC, sans avoir au préalable établi le dépassement des seuils légaux. La réponse des juridictions est claire : oui, sous réserve du respect des garanties procédurales prévues aux articles L. 66 et L. 68 du LPF.
Les faits : un contribuable au régime micro contrôlé sur plusieurs exercices
Mme B., exploitant une activité de restauration sous l’enseigne « Chez François », bénéficiait depuis la création de son entreprise du régime micro-BIC pour l’imposition de ses bénéfices, ainsi que de la franchise en base en matière de TVA. L’administration a procédé à une vérification de comptabilité portant sur les années 2013 à 2015.
Durant ce contrôle, le service a adressé à l’intéressée des mises en demeure de déposer des déclarations de résultats BIC et des déclarations de TVA dans un délai de trente jours, conformément aux articles L. 68 et L. 73 du LPF. Mme B. n’a pas déféré à ces mises en demeure. L’administration a alors engagé deux procédures parallèles :
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l’évaluation d’office des bénéfices sur le fondement de l’article L. 73, 1° du LPF ;
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la taxation d’office à la TVA sur le fondement de l’article L. 66, 3° du LPF.
Le contribuable contestait la validité de ces procédures, au motif qu’en l’absence d’éléments établissant le dépassement des seuils du régime micro-BIC, elle n’était pas tenue de souscrire des déclarations selon un régime réel.
L’articulation entre les articles L. 73, L. 68 et le régime micro-BIC
Le principe : la procédure d’évaluation d’office des bénéfices
L’article L. 73, 1° du LPF permet à l’administration de procéder à l’évaluation d’office du bénéfice imposable des contribuables soumis à un régime réel d’imposition lorsqu’ils ne déposent pas leur déclaration dans le délai légal.
Cette disposition est étroitement articulée avec l’article L. 68, qui conditionne cette procédure à l’envoi préalable d’une mise en demeure de déposer la déclaration concernée, demeurée infructueuse au bout de trente jours.
En revanche, pour les contribuables placés sous le régime micro-BIC, l’article L. 73, 1° bis prévoit un régime spécifique d’évaluation d’office, sans mise en demeure préalable, lorsque certaines conditions sont réunies (notamment l’absence d’option pour un régime réel, et la non-tenue des obligations comptables et déclaratives).
L’enjeu : déterminer quel régime d’évaluation s’applique au contribuable
Le contribuable soutenait que, relevant du micro-BIC, il ne pouvait être visé que par le 1° bis de l’article L. 73, ce qui aurait interdit à l’administration de lui adresser une mise en demeure au titre du 1° sans établir au préalable le dépassement des seuils.
Cette position a été écartée par les juges. Pour la cour administrative d’appel, confirmée par le Conseil d’État, dès lors que l’administration estime que le contribuable dépasse les seuils du micro-BIC, elle peut se fonder sur le 1° de l’article L. 73, sans avoir à établir formellement ce dépassement au moment de l’envoi de la mise en demeure.
Il s’agit donc d’une appréciation unilatérale et anticipée de la part de l’administration, qui fonde valablement le recours à l’évaluation d’office sous condition que la mise en demeure soit régulière.
Sur la régularité formelle de la mise en demeure
L’un des autres axes de défense soulevés par Mme B. portait sur l’absence de motivation des mises en demeure. Elle arguait que le défaut de motivation faisait obstacle à la régularité de la procédure, notamment au regard du respect des droits de la défense.
Cette argumentation est rejetée. Il est constant que les mises en demeure prévues aux articles L. 68 et L. 66 du LPF n’ont pas à être motivées. Cette position résulte d’une jurisprudence établie du Conseil d’État, confirmée dans de nombreuses affaires concernant tant les déclarations de résultats que les déclarations de TVA.
Le caractère sommaire de la mise en demeure n’enlève rien à sa régularité, dès lors qu’elle désigne précisément les obligations non remplies, les années concernées, et accorde un délai de 30 jours pour se conformer à la demande.
Procédure de taxation d’office à la TVA : une mise en demeure... facultative
En parallèle de l’évaluation d’office des bénéfices, l’administration avait engagé une taxation d’office à la TVA. Sur ce point, la jurisprudence est encore plus nette : aucune mise en demeure n’est nécessaire pour taxer d’office à la TVA en cas d’absence de déclaration dans les délais.
C’est ce que rappelle la cour en se fondant sur l’article L. 66, 3° du LPF, selon lequel les redevables de TVA qui ne déposent pas leurs déclarations sont automatiquement taxés d’office. Cette position a été confirmée de longue date, notamment par un arrêt de principe du Conseil d’État en assemblée du 21 juin 1985.
Autrement dit, l’administration, bien que l’ayant fait en l’espèce, n’avait aucune obligation de mettre en demeure Mme B. avant de la taxer à la TVA, ce qui confirme la régularité renforcée de cette procédure.
La charge de la preuve après taxation d’office : un renversement classique
L’arrêt rappelle également un principe classique : lorsqu’un contribuable est taxé d’office, la charge de la preuve de l’exagération des bases d’imposition repose entièrement sur lui (article L. 193 du LPF). Mme B. ne pouvait donc obtenir la décharge des impositions litigieuses qu’en démontrant, par des éléments probants, que les bases reconstituées étaient excessives.
Or, en l’espèce, ni les méthodes alternatives proposées, ni les estimations produites, ni les déclarations ex post ne permettaient de remettre en cause les bases déterminées par l’administration, fondées sur une reconstitution détaillée des ventes à consommer sur place et à emporter.
Une jurisprudence qui s’inscrit dans la continuité
Cet arrêt de la CAA Marseille s’inscrit dans un courant jurisprudentiel déjà amorcé. En 2012, la CAA de Lyon avait jugé dans le même sens (arrêt du 13 juillet 2012, n° 11LY01628), en admettant que le recours à l’article L. 73, 1° était justifié à l’encontre d’un contribuable micro-BIC dépassant les seuils, sans qu’il soit nécessaire d’établir ce dépassement par avance.
Le Conseil d’État a depuis systématiquement validé cette approche, qui repose sur une lecture fonctionnelle des articles du LPF : la procédure applicable dépend de l’appréciation de l’administration sur la qualification du régime fiscal effectif, non de celui revendiqué par le contribuable.
Ce qu’il faut retenir
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L’administration peut engager une évaluation d’office sur le fondement de l’article L. 73, 1° du LPF dès lors qu’elle estime que le contribuable dépasse les seuils du régime micro-BIC, sans avoir à établir ce dépassement au préalable.
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La mise en demeure préalable prévue à l’article L. 68 est suffisante pour enclencher cette procédure, même sans motivation, pourvu qu’elle respecte les formes légales.
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En matière de TVA, la taxation d’office en cas de non-dépôt est possible sans mise en demeure, conformément à l’article L. 66, 3° du LPF.
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Une fois taxé d’office, le contribuable supporte la charge intégrale de la preuve de l’exagération des impositions.
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Cette jurisprudence consacre une approche souple de la part de l’administration dans la détermination du régime applicable, dès lors qu’elle s’appuie sur des éléments objectifs tirés du contrôle.
La décision de la CAA de Marseille, confirmée par le Conseil d’État, consolide les prérogatives de l’administration fiscale dans l’usage de la procédure d’évaluation d’office à l’encontre de contribuables revendiquant à tort le bénéfice du régime micro-BIC.
Elle invite les contribuables à faire preuve de rigueur dans la gestion de leurs obligations déclaratives, sous peine de voir s’appliquer un régime contraignant, où le silence ou l’inertie peut suffire à engager une procédure d’imposition d’office. Pour les praticiens, cet arrêt rappelle l’importance de vérifier non seulement les seuils du régime fiscal appliqué, mais aussi les conditions précises dans lesquelles l’administration a engagé ses procédures.