Un principe réaffirmé : la responsabilité pénale suit la transmission universelle de patrimoine
Une société absorbante peut être condamnée pour les faits de l’absorbée
Depuis le revirement opéré par la chambre criminelle le 25 novembre 2020, il est désormais admis qu’une société absorbante peut être condamnée pénalement pour une infraction commise par la société absorbée, à condition que la fusion soit postérieure aux faits poursuivis mais antérieure au jugement.
Cette position, d’abord limitée aux sociétés par actions, a été étendue aux SARL en mai 2024. L'arrêt du 29 avril 2025 s’inscrit dans cette logique de consolidation : il ne s’agit plus uniquement de permettre une condamnation, mais d’assurer la pleine continuité des voies de recours engagées avant ou après la fusion.
La fusion-absorption ne fait pas obstacle à l’appel pénal : une application rigoureuse de l’article 509 du code de procédure pénale
L’acte d’appel détermine seul l’étendue de la saisine de la cour
L’article 509 du code de procédure pénale prévoit que l’affaire est dévolue à la cour d’appel « dans la limite fixée par l’acte d’appel et la qualité de l’appelant ». Il appartient donc à la juridiction du second degré, sous le contrôle de la Cour de cassation, de déterminer l’étendue de sa compétence au regard du seul acte d’appel, sans pouvoir l’interpréter de manière restrictive.
Dans l’affaire commentée, la société absorbée avait cessé d’exister juridiquement à la date de l’appel. Son propre recours était donc irrecevable. En revanche, l’appel interjeté par la société absorbante, qui ne comportait aucune limitation de portée, devait s’étendre de plein droit à la condamnation de l’absorbée. En jugeant le contraire, la cour d’appel a méconnu l’effet dévolutif de l’appel.
La disparition juridique de l’absorbée ne neutralise pas l’action publique
Une fiction de continuité juridico-économique
La Cour de cassation réaffirme ici que la transmission universelle de patrimoine emporte également transmission du contentieux pénal, en matière d’amendes ou de confiscations. Il n’est plus possible pour une société absorbante de se retrancher derrière la dissolution juridique de l’absorbée pour écarter sa responsabilité ou celle-ci.
La société absorbante devient le prolongement procédural de l’absorbée. À ce titre, elle peut former appel, exercer des recours, se défendre, mais également se voir condamner. Cette logique s’inscrit dans une volonté jurisprudentielle d’effectivité de la répression pénale, même en cas de restructuration juridique.
La peine prononcée doit être individualisée au regard de la situation de l’absorbante
Une peine unique, mais doublement fondée
Lorsque la cour d’appel statue sur renvoi après cassation, et prononce une peine en tenant compte des faits imputables à la société absorbée, c’est la société absorbante qui en supporte les effets. Cette peine doit donc être motivée en tenant compte :
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des circonstances propres à l’infraction,
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de la personnalité morale et économique des deux sociétés,
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de leur situation respectives à la date des faits,
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et des ressources de la société absorbante au moment où la peine est prononcée (C. pén., art. 132-20).
Cette construction permet d’articuler les exigences de l’individualisation de la peine avec les effets juridiques d’une fusion-absorption.
Un arrêt pivot pour la stratégie contentieuse des sociétés en restructuration
Impacts pratiques pour les avocats en droit pénal des affaires
Cette décision appelle plusieurs observations pour la pratique :
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Une société absorbante doit anticiper les conséquences pénales d’une fusion avec une société faisant l’objet de poursuites en cours ;
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Si une condamnation est intervenue en première instance, elle devra examiner attentivement l’opportunité et la portée d’un éventuel appel, faute de quoi la décision pourrait devenir définitive ;
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Dans l’acte d’appel, il est impératif de formuler explicitement toute restriction souhaitée à l’effet dévolutif, au risque de voir la cour d’appel statuer sur l’ensemble des condamnations ;
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En cas de condamnation sur renvoi, les conseils devront veiller à ce que la motivation de la peine respecte les critères d’individualisation, faute de quoi une nouvelle cassation pourrait être encourue.
Par cet arrêt du 29 avril 2025, la Cour de cassation clarifie et sécurise le régime de responsabilité pénale applicable en cas de fusion-absorption, tant sur le plan de la condamnation que sur celui des voies de recours. La chambre criminelle poursuit ainsi sa construction d’un droit pénal des personnes morales en adéquation avec la réalité des groupes et des opérations de restructuration.
Il en ressort une jurisprudence exigeante, fondée sur la transparence, la continuité procédurale et la cohérence économique. Dans ce contexte, les praticiens devront faire preuve d’une rigueur accrue dans le suivi des contentieux pénaux touchant à des sociétés appelées à disparaître juridiquement, sans pour autant échapper à la responsabilité.