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Travaux en cours, taxe foncière : nouvelle doctrine du Conseil d'État

Publié le 02/07/2025 Vu 104 fois 0
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CE 5 mai 2025 : tant que les travaux sont en cours, aucun changement de caractéristiques n'est retenu et la taxe foncière reste inchangée.

CE 5 mai 2025 : tant que les travaux sont en cours, aucun changement de caractéristiques n'est retenu et la t

Travaux en cours, taxe foncière : nouvelle doctrine du Conseil d'État

Travaux en cours et taxe foncière : quelle nouvelle doctrine pour la valeur locative ?

 

Le contentieux Pamier, tranché par le Conseil d’État le 5 mai 2025, bouleverse la pratique des fiscalistes immobiliers. Derrière un litige apparemment technique – la contestation de cotisations de taxe foncière et de taxe d’enlèvement des ordures ménagères sur des entrepôts en restructuration – la Haute juridiction a fixé un principe limpide : tant qu’un immeuble n’a pas retrouvé un état stabilisé, l’administration ne peut réévaluer sa valeur locative. Dans un marché où les calendriers de travaux s’allongent et les restructurations lourdes se multiplient, cette règle invite les propriétaires et investisseurs à revisiter leur stratégie fiscale.

Rappel des fondements légaux

  • Article 1516 CGI : pose le principe de la mise à jour annuelle des valeurs locatives.

  • Article 1517 I 1 CGI : recense les « constructions nouvelles », « changements de consistance », « changements d’affectation » et surtout les « changements de caractéristiques physiques ou d’environnement ».

  • Article 1517 II CGI : précise la date de référence pour arrêter la nouvelle valeur locative (méthode comparative ou comptable selon l’article 1498 CGI).

Le Bulletin officiel (BOFiP, fiche IF-TFB-20-20-10-10) rappelle que les seules modifications pérennes affectant la structure, la surface ou la destination de l’immeuble justifient une revalorisation. À défaut de stabilité, l’administration serait dépourvue de base fiable pour asseoir l’impôt.

L’arrêt Pamier : une clarification bienvenue

Dans l’affaire CE, 5 mai 2025, n° 499328, trois bâtiments industriels avaient été mis « à nu » : façades et toitures démolies, plateaux ouverts aux quatre vents, mais squelettes en béton conservés. Pour le redevable, cet état rendait les biens impropres à tout usage ; la taxe foncière devait donc être suspendue ou, à tout le moins, réduite. Le Conseil d’État refuse :

  1. Caractère provisoire : la déstructuration n’est qu’une phase transitoire d’un projet de rénovation.

  2. Absence de nouvelle consistance : l’immeuble n’a pas acquis de caractéristiques définitives mesurables.

  3. Objectif de la loi : garantir que l’assiette reflète une valeur locative exploitable, pas un instantané d’un chantier.

La différence de traitement avec les immeubles achevés, juge le Conseil, repose sur « un critère objectif et rationnel » conforme aux articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789.

Travaux en cours : quels critères pour exclure le changement de caractéristiques physiques ?

Le juge administratif retient une approche fonctionnelle :

  • Stabilité : les modifications doivent être achevées et destinées à perdurer.

  • Exploitabilité : les locaux doivent pouvoir être loués ou utilisés dans leur nouvel état.

  • Mesurabilité : surfaces, volumes ou équipements nouveaux doivent pouvoir être quantifiés.

À l’inverse, restent hors champ : échafaudages, démolitions partielles, démantèlement de second œuvre, dépose d’installations techniques, dès lors qu’ils annoncent une recomposition future. Seule l’impropriété absolue et durable (effondrement ou destruction totale) ouvre droit à l’exonération prévue à l’article 1389 CGI.

Obligations déclaratives et point de départ des droits fiscaux

Article 1406 CGI impose au propriétaire de déclarer, dans les 90 jours de l’achèvement, tout changement relevant de l’article 1517. Avant cette date :

  • Aucune déclaration ; aucune révision : la taxe foncière continue sur l’ancienne base.

  • Exonérations « construction nouvelle » (art. 1383 CGI) ne courent pas.

  • Date de prise d’effet : 1ᵉʳ janvier de l’année suivant l’achèvement fiscal (mise hors d’eau et hors d’air, réseaux opérationnels).

Pour les sociétés soumises à l’IS, ignorer cette échéance expose à un rappel portant sur quatre années.

Stratégies de maîtrise de la charge fiscale

  1. Planification fine du calendrier : décaler symboliquement la réception au‐delà du 1ᵉʳ janvier peut reporter l’impact d’un an.

  2. Audit locatif anticipé : comparer la future valeur locative à l’ancienne pour évaluer la marge fiscale.

  3. Lissage triennal (art. 1518 B CGI) : si la variation excède 30 %, la hausse se répartit sur trois ans.

  4. Exonérations ciblées : constructions d’habitation neuves (deux ans), immeubles basse consommation ou zones de revitalisation bénéficient d’abattements conditionnels.

Dans un contexte de cash‐flow tendu, intégrer ces paramètres dès la phase notariale sécurise la rentabilité nette.

Risques contentieux et charge de la preuve

La jurisprudence confie au contribuable la preuve de l’état réel de l’immeuble au 1ᵉʳ janvier :

Pièce Utilité
Constat d’huissier horodaté Attester du stade exact des travaux
Rapports de maître d’œuvre Décrire les éléments livrés ou non
Photographies géolocalisées Visualiser la non‐exploitabilité
Attestation d’assurance dommages‐ouvrage Confirmer l’absence de réception
 

En cas de désaccord, la réclamation doit être déposée avant le 31 décembre de l’année suivant le recouvrement (art. R*196‐2 LPF), sous peine d’irrecevabilité.

Perspective : vers un encadrement renforcé ?

L’administration pourrait, à court terme, mettre à jour le BOFiP pour intégrer la grille d’analyse de l’arrêt Pamier ; un rescrit‐type n’est pas à exclure. Les chambres consulaires, soucieuses de compétitivité foncière, plaident déjà pour un dispositif similaire au « capping » britannique, étalant automatiquement toute hausse supérieure à 15 %. À défaut de réforme, l’arsenal existant (lissage triennal, exonérations zonées) restera la seule soupape.

 

La décision du 5 mai 2025 ferme une brèche souvent utilisée pour négocier à la baisse des bases cadastrales durant les chantiers. Désormais, travaux en cours riment avec stabilité fiscale : la valeur locative, et donc la taxe foncière, ne bougeront qu’une fois la poussière retombée et les rubans coupés. Aux opérateurs d’anticiper, de documenter et de négocier chaque jalon du calendrier pour transformer cette contrainte en avantage compétitif.

 

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