Affaire Google Spain : L’affirmation d’un droit à l’oubli

Publié le Modifié le 13/10/2014 Vu 17 146 fois 0
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La CJUE consacre pour la première fois dans cette décision un droit à l'oubli contre le plus célèbre des moteurs de recherche...

La CJUE consacre pour la première fois dans cette décision un droit à l'oubli contre le plus célèbre des

Affaire Google Spain : L’affirmation d’un droit à l’oubli

La notion de moteur de recherche :

Un moteur de recherche est un service en ligne qui permet de trouver des ressources (images, vidéos, textes) grâce à un ou plusieurs mots-clés entrés dans un formulaire de recherche.  Cette application Web fonctionne grâce à un grand nombre de serveurs (robots ou spiders) chargés de parcourir la Toile et d’interroger de gigantesques bases de données. Les résultats de la recherche sont ainsi sélectionnés et classés en fonction de leur pertinence par rapport aux mots-clés indiqués. Les moteurs de recherche sont très pratiques pour chercher des informations sur quelque chose ou quelqu’un. Le  numéro 1 en matière de moteur de recherche demeure incontestablement le géant Google….

Google :

 « Google Inc », société que l’on ne présente plus, a été fondée en Californie en 1998 par Larry Page et Serguei Brin. Cette entreprise qui s’est principalement faite connaitre à travers son moteur de recherche, a ensuite acquis et développé de  nombreux logiciels et sites Webs tels que YouTube ou encore Google maps. Sa mission ? Organiser l’information à  l’échelle mondiale et  la rendre universellement accessible et utile.  Google est ainsi très vite devenu une figure emblématique du Net. Récemment, « To Google » est même devenu un verbe, défini par le dictionnaire Oxford comme l’action de chercher des informations sur quelqu’un ou quelque chose.

Seulement voilà, il peut arriver que des données personnelles atterrissent sur le Net et portent atteinte à la personne concernée. Quand protection des données personnelles et  liberté d’information s’entremêlent, la jurisprudence communautaire tend bien souvent à ménager le géant américain en dépit de la protection des données personnelles et de la vie privée. A titre d’exemple, on peut mentionner l’arrêt « Google adwords » du 23 mars 2010[1], dans lequel la CJUE a considéré que Google ne commettait pas de contrefaçon de marque lorsque étaient référencés des sites vendant des contrefaçons de produits Louis Vuitton.

Toutefois, en mai dernier,  la CJUE a rendu une décision novatrice qui a fait beaucoup de bruit. Pour la première fois, la Cour de justice de l’Union Européenne a, en effet, fait prévaloir  la  protection des données personnelles.

Décision CJUE 13 mai 2014 :

1) Les faits sont les suivants : En 1998, un quotidien espagnol « La Vanguardia » publie une annonce de vente aux enchères immobilières liée à une saisie pratiquée en recouvrement de dettes de Mario Costeja Gonzalez. Quelques années plus tard, M. Gonzalez constate qu’en introduisant son nom dans Google, la liste de résultat affiche des liens vers les pages du quotidien espagnol. M. Gonzalez entreprend alors plusieurs démarches auprès du quotidien et de Google pour que les pages et  les liens soient supprimés. Sa demande reste toutefois sans réponse. Il s’adresse alors à  l’agence espagnole de protection des données qui ordonne aux exploitants du moteur de recherche de retirer les pages et liens mis à disposition sur  le  Net  en considérant que «(…) leur localisation et leur diffusion sont susceptibles de porter atteinte au droit fondamental de protection des données et à la dignité des personnes. » Saisie d’un recours introduit par les sociétés Google SPAIN et Google Inc,  la  juridiction supérieure espagnole (« Audiencia Nacional ») interroge alors la Cour de justice de l’Union européenne d’une série de questions préjudicielles relatives à la Directive 95/46/CE.

2) Réponses de la Cour :

La Cour affirme tout d’abord que l’activité d’un moteur de recherche consistant à trouver des informations publiées ou placées sur Internet par des tiers, à les indexer de manière automatique, à  les stocker temporairement et enfin à les mettre à disposition des internautes selon un ordre de préférence donné doit être qualifiée de « traitement de données à caractère personnel ».

Concernant la notion de « responsable de traitement », la cour rejette l’argument soulevé par Google consistant à exclure cette qualification au motif que le moteur de recherche n’exercerait «(…) pas de contrôle sur les données à caractère personnel publiées sur les pages web de tiers ». En effet, pour les juges, le traitement effectué par un moteur de recherche « se distingue de et s’ajoute à celui effectué par les éditeurs de sites web. » L’exploitant du moteur de  recherche est donc responsable lorsqu’il détermine les finalités et les moyens du traitement de données à caractère personnel.

Au niveau du champ d’application territorial du droit national en matière de protection des données personnelles, la cour considère que lorsque l’exploitant d’un moteur de recherche crée dans un Etat membre une succursale ou une filiale destinée à assurer la promotion et la vente des espaces publicitaires proposés par ce moteur et dont l’activité vise les habitants de cet Etat membre, un traitement de données à caractère personnel est effectué « sur le territoire d’un Etat membre ».

En ce qui concerne l’existence d’un principe de subsidiarité qui obligerait toute personne à s’adresser préalablement ou simultanément au propriétaire du site web sur lequel figurent les informations la concernant, la cour affirme que l’exploitant d’un moteur de recherche est obligé, à certaines conditions, de « supprimer des résultats » obtenus à la suite d’une recherche effectuée sur le nom d’une personne, même si dans certains cas, la publication sur les sites tiers pourrait subsister ou serait licite.

Elle énonce également que les droits fondamentaux d’une personne prévalent  non seulement sur l’intérêt économique de l’exploitant du moteur de recherche, mais également sur l’intérêt du public à accéder à ladite information lors d’une recherche portant sur le nom de cette personne.

Enfin, concernant la question du droit à l’oubli, la Cour en reconnait l’existence. Elle précise en effet, qu’un traitement licite de données exactes peut devenir « (…) avec le temps incompatible avec la directive lorsque ces données ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées. Tel est notamment le cas lorsqu’elles apparaissent inadéquates, qu’elles  ne sont pas ou plus pertinentes ou sont excessives au regard de ces finalités et du temps qui s’est écoulé. »

Cette consécration d’une des manifestations du droit à l’oubli s’effectue en réinterprétant profondément  le droit à la protection des données et en lui donnant une portée à laquelle les rédacteurs de la directive n’avaient sans doute pas pensé.

 Cette décision n’a pas enchanté Google qui n’a pas manqué de donner son avis  : « L'arrêt exige de Google de porter des jugements difficiles sur le droit d'un individu à l'oubli et le droit à l'information du public ».La firme californienne n'a ainsi eu d'autre choix que de se  conformer à la décision de justice européenne sur le droit à l'oubli. Elle propose ainsi depuis le jeudi 29 mai un formulaire en ligne qui permet aux internautes européens de demander la suppression de résultats de recherche associés à leur nom. (12 000 demandes dès le premier jour !)

Depuis l’arrivée du web 2.0, la notion de protection des données personnelles sur internet a ainsi fait couler beaucoup d’encre. Cette décision surprenante, s’inscrit à l’heure où un consensus européen semble se dessiner au sujet d’une réforme en matière de protection des données personnelles.

Quant à Monsieur Gonzalez, s’il voulait se faire oublier ou plutôt faire disparaitre son passé, c’est  pari perdu puisqu’aujourd’hui, une requête effectuée avec son nom via Google aboutit a  plus de 39.700 résultats…

 

[1] Arrêt 23 mars 2010 CJUE, C-236/08 à 238/08, Google Inc. V. Louis Vuitton Malletier SA

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A propos de l'auteur
Blog de E-Reputation et droit

Avocat fondateur de Dalet-Venot Avocats, avec plus de 15 années d'expérience, je suis passionnée par le droit de la presse et des médias, qui est l'un de mes domaines d'intervention.

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