Chauffeurs UBER : La requalification du statut de travailleur indépendant en contrat de travail

Publié le 23/04/2020 Vu 4 777 fois 0
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Dans son arrêt rendu le 4 mars 2020, la Cour de Cassation a jugé que le contrat liant un chauffeur à la société Uber est en réalité un contrat de travail, ouvrant ainsi la voie de la requalification.

Dans son arrêt rendu le 4 mars 2020, la Cour de Cassation a jugé que le contrat liant un chauffeur à la so

Chauffeurs UBER : La requalification du statut de travailleur indépendant en contrat de travail

Cela faisait de nombreuses années que le statut d’auto-entrepreneur des chauffeurs Uber était questionné, mais aucune requalification n'était intervenue.

Cependant dans un arrêt du 4 mars 2020, la Cour de Cassation a jugé que :

  • le contrat de partenariat liant un chauffeur à la société Uber est en réalité un contrat de travail et,
  • que le chauffeur Uber n’est pas un travailleur indépendant mais bel et bien un salarié. (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 4 mars 2020, n°19-13.316)

Comment la Cour de Cassation est-elle arrivée à cette conclusion ? Grace à quel mécanisme ? Selon quels principes jurisprudentiels ? Dans quel cas d’espèce ?

Mais au delà du raisonnement juridique, quelles sont les conséquences économiques et sociales d’une telle requalification ? Et quelle pourrait être la portée d’un tel arrêt ?

Le mécanisme juridique de la requalification

La requalification d’un contrat en un contrat de travail peut être demandée, notamment dans les cas suivants :

  • par un stagiaire, partie à une convention de stage qui exécute en réalité une tache régulière correspondant à un poste de travail permanent de l’entreprise,
  • par un travailleur dissimulé qui travaille de manière permanente pour une entreprise mais que l’employeur a préféré ne pas déclarer comme salarié,
  • par un travailleur indépendant partie à un contrat commercial ou à un contrat de prestation de services qui est en réalité dans une situation de salariat.

Plusieurs tribunaux peuvent être compétents pour requalifier ces situations en un contrat de travail selon les cas de figure.

Ainsi, le tribunal des affaires de la sécurité́ sociale ou le tribunal correctionnel sont susceptibles de procéder à cette requalification, même si en principe c’est le conseil des prud’hommes qui est la juridiction compétente.

Mais quand peut-on considérer que la situation de travail doit s’assimiler à du salariat et donc que le contrat doit être requalifié en contrat de travail ?

L’état de la jurisprudence antérieure 

La jurisprudence définit, depuis de nombreuses années, le contrat de travail comme« la convention par laquelle une personne s'engage à travailler pour le compte d'une autre et sous sa subordination moyennant une rémunération. » (Cour de cassation du 22 juillet 1954, Bull. civ. IV, no 576).

Ainsi, le contrat de travail se caractérise par trois critères cumulatifs :

  • une prestation de travail,
  • une rémunération et,
  • un lien de subordination.

Il résulte déjà d’une jurisprudence établie que l’existence d’une relation de travail salariée ne dépend :

  • ni de la volonté exprimée par les parties,
  • ni de la dénomination qu’elles ont données à leur convention,
  • mais de la réalité des conditions dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle.

Aussi en 2013, des candidats de télé-réalité considérés initialement comme travailleurs indépendants ont vu leurs contrats requalifiés en contrat de travail. (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 24 avril 2013, n°11-19.091 11-19.092 11-19.096 11-19.097 11-19.099 11-19.100 11-19.101 11-19.109 11-19.110 11-19.111 11-19.112 11-19.113 11-19.114 11-19.115 11-19.123 11-19.124 11-19.128 11-19.129 11-19.130 11-19)

Quelques années plus tard, la Cour de cassation a également jugé, dans l’arrêt Take Eat Easy du 28 novembre 2018 que :

  • la simple immatriculation de personnes physiques pour l’exécution de de leur activité ne suffit pas à établir une présomption irréfragable de non-salariat,
  • mais que cette présomption peut être renversée dès lors que ces personnes établisse l’existence d’un lien de subordination juridique permanent à l’égard du donneur d’ordre dans la fourniture de leurs prestations. (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 28 novembre 2018, n°17-20.079)

Ainsi, le critère déterminant pour établir l’existence d’un contrat de travail est depuis longtemps, l’existence d’un lien de subordination juridique.

Mais que recouvre cette notion abstraite de « lien de subordination juridique » ?

Dans un arrêt Société générale du 13 novembre 1996, la Cour de Cassation juge que le lien de subordination ou « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur » est caractérisé par le pouvoir de l’employeur :

  • de donner des ordres et des directives, 
  • d’en contrôler l’exécution,
  • et de sanctionner les manquements de son subordonné. (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 13 novembre 1996, pourvoi n° 94-13.187).

A l’inverse, le travail indépendant se caractérise, lui, par :

  • la possibilité de se constituer une clientèle propre,
  • la liberté de fixer ses tarifs et,
  • la liberté de fixer les conditions d’exécution de la prestation de service.

L’arrêt Uber : les faits, la solution 

Dans l’arrêt du 4 mars 2020, la Cour de Cassation applique sa jurisprudence classique pour la qualification d’un contrat de travail.

En l’espèce, un chauffeur, après la clôture définitive de son compte par la société Uber BV, avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de son contrat de partenariat en contrat de travail.

Il avait également formé des demandes de rappels de salaires et d’indemnités de rupture.

La Cour d’Appel, par un arrêt infirmatif, avait jugé que le contrat de partenariat signé par le chauffeur et la société Uber BV s’analysait en un contrat de travail.

Dans son arrêt du 4 mars 2020, la Cour de Cassation confirme l’arrêt de la Cour d’Appel en constatant que :

1°) ce chauffeur a intégré un service de prestation de transportcréé et entièrement organisé par cette société,service qui n’existe que grâce à cette plate-forme,à travers l’utilisation duquel il ne constitueaucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport ;

2°) le chauffeur se voit imposer un itinéraire particulierdont il n’a pas le libre choix et pour lequel des corrections tarifaires sont appliquées si le chauffeur ne suit pas cet itinéraire ;

3°) la destination finale de la course n’est parfois pas connue du chauffeur,lequel ne peut réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui lui convient ou non ;

 4°) la société a la faculté de déconnecter temporairement le chauffeur de son application à partir de trois refus de courseset que le chauffeur peut perdre l’accès à son compte en cas de dépassement d’un taux d’annulation de commandes ou de signalements de "comportements problématiques.(Cour de Cassation, Chambre Sociale, 4 mars 2020, n°19-13.316)

En définitive, la Cour de cassation juge qu’il ressort de l’ensemble de ces éléments que le travail en l’espèce est bien exécuté sous l’autorité d’un employeur.

Or, ce dernier a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements.

Un lien de subordination est donc établi, rendant ainsi le statut de travailleur indépendant fictif.

Ainsi, le chauffeur Uber, en l’espèce, est en fait un salarié.

Mais quelles sont les conséquences d’une telle requalification sur le plan économique et social ?

Les conséquences économiques et sociales de la requalification

La requalification du contrat de partenariat en contrat de travail a des conséquences économiques et sociales très importantes.

Ainsi, dès lors que la prestation devient un contrat de travail, le contrat produit ses effets depuis le jour de sa conclusion.

En d’autres termes, l’employeur doit régulariser la situation de son employé́ et donc :

  • proposer au salarié la mutuelle d’entreprise et des formations professionnelles ;
  • réaliser les visites médicales d’embauche et visites médicales périodiques ;
  • respecter des durées maximales de travail quotidiennes et hebdomadaires ;
  • respecter le droit au repos quotidien et hebdomadaire ;
  • verser à l’administration les charges sociales et les taxes sur les salaires ;
  • et de manière générale, se soumettre à l’ensemble des dispositions du Code du Travail applicables.

En outre, sur le plan des conséquences financières, le Salarié a le droit :

  • à l’indemnisation des congés payés (2,5 jours par mois), au remboursement de frais professionnels et à l’indemnisation des éventuelles heures supplémentaires ;
  • au versement d’un salaire minimum, s’il est dans l’entreprise ;
  • au paiement d’une indemnité au titre du travail dissimulé égale à 6 mois de salaire, en cas de rupture du contrat de travail alors requalifé en CDI, s’il y a eu reconnaissance d’un travail dissimulé en application des articles L8223-1, L. 8221-3 et L. 8221-5 du Code du Travail ;
  • au versement des indemnités de rupture de contrat de travail, si le salarié n’est plus dans l’entreprise, c’est à dire :
     
    • Dans le cas d’un licenciement nul, à une indemnité au titre de la nullité du licenciement,
    • Dans le cas d’un licenciement injustifié, à une indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
    • Dans le cas d’un licenciement irrégulier, à une indemnité au titre du non-respect de la procédure de licenciement,
    • Le cas échéant, à une indemnité de licenciement légale ou conventionnelle, à une indemnité de préavis, et à une indemnité compensatrice de congés payés.
  • au bénéfice des allocations chômage, en cas de perte d’emploi s’il remplit les conditions légales, et
  • aux allocations journalières de la Sécurité Sociale, en cas d’arrêt maladie s’il remplit, là-encore les conditions légales.

Et ensuite ?

Désormais, il convient de se demander quelle sera la portée d’un tel arrêt ?

Il est certain que cet arrêt pourrait faire jurisprudence et toucher l’ensemble des chauffeurs Uber à condition :

  • qu’ils travaillent dans des conditions analogues, et
  • qu’ils demandent la requalification de leur contrat de partenariat en contrat de travail.

Mais, cet arrêt, pourrait également, au delà même de la Société Uber, profiter à l’ensemble des auto-entrepreneurs placés dans les mêmes conditions de travail, qu’ils soient VTC pour des sociétés comme Kapten, Bolt, Heech ou qu’ils soient livreurs pour des sociétés comme Deliveroo ou Uber Eats.

Le Cabinet MPJAvocat se tient à la disposition de l’ensemble des travailleurs indépendants confrontés à cette situation pour leur apporter son aide et ses conseils pour faire valoir leurs droits.

Julien PINET,
Avocat

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