Les 5 points clés de l’étude
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La crise du COVID-19 conduit à un élargissement du recours au télétravail ainsi qu'à des périodes successives de confinements total ou partiel. Cette période exceptionnelle nous impose donc une cohabitation plus forte avec nos voisins.
Dès lors, comment prévenir la survenir la survenance de conflits de voisinage ? Comment caractériser un « trouble anormal de voisinage » et comment peut-on y remédier par le dialogue ? Ce dernier doit-il être placé sous l'égide d'un professionnel formé au réglement amiable des différends ?
I) Trouble anormal de voisinage : fondement juridique et champ d’application
1.1 le fondement juridique
Le « trouble anormal de voisinage » n’est défini par aucun texte.
Il s’agit en effet d’une notion prétorienne, c’est-à-dire créée par les juges. Ces derniers se sont fondés sur l’article 544 du code civil, aux termes desquels « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Il en résulte que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ou encore excédant les inconvénients normaux du voisinage » (Cass. 2e civ., 19 nov. 1986, n° 84-16.379, Bull. 1986 II N° 172 p. 116).
Si la jurisprudence s’est fondée sur l’article 544 du code civil, dont il est ici utile de rappeler que sa rédaction n’a pas varié depuis le code Napoléon de 1804, elle aurait pu tout aussi bien « mobiliser » la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen qui, en son article 4, énonce que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits ». Autrement dit, les droits de chacun cessent là où commencent ceux des autres.
Cette même logique se retrouve dans la loi du 10 juillet 1965 qui régit la copropriété : « Chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne [pas] porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires » (article 9, 1er alinéa).
Il s’ensuit une distinction fondamentale entre « troubles normaux » et « troubles anormaux » de voisinage.
En effet, les troubles normaux de voisinage ne sont pas répréhensibles. Par exemple tondre sa pelouse en journée ou avoir une discussion animée à table constituent un trouble normal qui doit être « supporté » par vos voisins.
En revanche, en cas de troubles anormaux, vous êtes en droit de demander à votre voisin de faire cesser le trouble. Le caractère anormal du trouble se manifeste lorsque le trouble dépasse la normalité de ce que vous êtes en droit d’attendre. Dans le cas des nuisances sonores, l’anormalité se caractérise selon trois critères : la répétition du bruit, l’intensité du bruit ou la durée du bruit. Il suffit de constater l’un des trois critères pour caractériser un trouble anormal de voisinage. Il s’agit donc de critères alternatifs et non cumulatifs.
1.2 un vaste champ d’application
Le « trouble anormal de voisinage » est souvent associé aux différentes nuisances sonores causées par des voisins, singulièrement la nuit. En réalité, ce qu’on appelle le « tapage nocturne » est loin de constituer le seul « trouble de voisinage ».
D’une part, les troubles de voisinages peuvent être provoqués la nuit comme le jour. En outre, ils proviennent de tous les « bruits de comportement » : ces bruits peuvent ainsi être émis par une personne (cri, chant...), une chose (outil de bricolage, électroménager...), un animal (ses aboiements)...
D’autre part, la « notion de trouble de voisinage » est particulièrement vaste : elle peut recouvrir toutes sortes de nuisances. Citons en particulier :
- les nuisances olfactives : ainsi, les émanations de la cuisine d’un restaurant situé au rez-de-chaussée d’un immeuble, perceptibles à l’étage en raison du mauvais aménagement du local, ont entraîné la condamnation d’un restaurateur pour trouble anormal de voisinage (Cass. 3e civ., 11 juin 1997, n° 95-10.152) ;
- les nuisances visuelles : gêne générée par une installation, une plantation, une construction...
II) Le régime juridique : une responsabilité sans faute
2.1. L’absence de faute
Est-il nécessaire de rappeler les termes, eux-aussi inchangés depuis 1804, de l’article 1240 du code civil (ancien article 1382): « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » ?
En principe, cet article impose un triptyque, bien connu des civilistes : faute, préjudice et lien de causalité entre les deux.
La particularité du « trouble anormal de voisinage » est qu'il peut être invoqué sans qu’il ne soit nécessaire de prouver une faute de la part de l’auteur des désordres. Autrement dit, le dommage suffit, indépendamment de la faute, et même en l’absence de violation d’autorisations administratives ou du règlement de copropriété.
Ce point est essentiel : en application du principe précité selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, la responsabilité pour trouble anormal de voisinage est une responsabilité sans faute (également appelée « responsabilité de plein droit »).
2.2 la charge de la preuve
Si aucune faute ne doit être démontrée, il n’en demeure pas moins qu’il appartient à celui qui soutient subir un trouble anormal de voisinage de rapporter la preuve de l’imputabilité à son voisin du désordre subi.
La charge de la preuve incombe donc à celui qui s’estime victime d’un trouble anormal de voisinage, conformément au droit commun : « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention » (article 9 du code civil).
Il faudra donc démontrer une relation de causalité entre « le fait » d’un voisin (comportement ou négligence) et un préjudice subi.
Les juges apprécient souverainement la preuve d’une nuisance excédant les inconvénients normaux de voisinage.
Deux précisions importantes méritent d’être apportées ici.
D’une part, les juges prennent en considération les circonstances et la situation des lieux. Ainsi, le chant matinal du coq pourrait difficilement être constitutif d’un trouble anormal en milieu rural. Il en serait différemment en milieu urbain...
D’autre part, le caractère anormal du trouble s’apprécie objectivement et non en fonction de l’âge, l’état de santé ou de la particulière sensibilité de celui qui prétend le subir. Ainsi, la cour d’appel de Paris a pu juger qu’il « est indifférent à la solution du litige que M. X-F soit âgé de 84 ans et fragilisé par la maladie » (CA Paris, 20 janv. 2016, n°14/14691). Dura lex sed lex…
III) La procédure applicable en cas de trouble anormal de voisinage
3.1 Une démarche préalable
Face à des troubles de voisinage jugés « anormaux », vous devez d’abord vous entretenir avec l’auteur des désordres subis. Expliquez-lui vos différents désagréments aussi « factuellement » que possible. Toute forme d'agressivité sera, à l'évidence, contre-productive.
3.2 Le recours à un tiers
Si cette discussion s’avère infructueuse, il vous appartiendra de faire appel à un tiers. C’est à la fois une préconisation de « bon sens » et, depuis le 1er janvier 2020, une exigence procédurale avant toute démarche contentieuse.
En premier lieu, saisir un professionnel, qu’il s’agisse d’un conciliateur de justice ou d’un médiateur, est indéniablement de nature à favoriser le « vivre-ensemble » et la prévention de conflits de voisinage durables. Cette recommandation s’impose d’autant plus dans une résidence. En effet, faire le choix d’acquérir son logement en copropriété, c’est accepter la « cogestion de son territoire » et s’engager à subir des « interactions sociales » bien plus nombreuses et surtout bien plus cruciales qu’en maison individuelle : il n’est donc guère surprenant de constater que la copropriété constitue un terreau fertile au développement des tensions et donc des litiges. Il est donc regrettable que les Modes Amiables de Règlement des Différends (MARD) ne soient pas davantage mis en avant en ce domaine qui a pourtant bien vocation, après le droit de la famille et celui du travail, à devenir leur terre d’élection. Les villages corses, confrontés à la défaillance du système judiciaire génois, l’avaient bien compris en instaurant la pratique des « Paceri », les « faiseurs de paix », qui négociaient les traités de paix de sortie de vendetta !
En second lieu, le Code de procédure civile, prévoit en son article 750-1, en vigueur depuis le 1er janvier 2020, que lorsque la demande porte sur « un conflit de voisinage », la saisine du tribunal judiciaire doit, à peine d'irrecevabilité, être précédée, au choix des parties, d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d'une tentative de médiation ou d'une tentative de procédure participative.
Comme le souligne l’exposé des motifs de la loi à l’origine de cette disposition[1], « les modes alternatifs de règlement des litiges doivent continuer à se développer pour alléger l'activité des juridictions mais, surtout pour favoriser des modalités plus apaisées et plus rapides de règlement des différends pour les citoyens. »
Les auteurs du présent article ne peuvent qu'approuver l'élargissement du recours à une tentative amiable préalable. Rappelons en effet qu'un conflit contentieux fait toujours deux perdants : le vainqueur, épuisé et le vaincu, revanchard…
=> Je suis à votre disposition pour toute action ou information.
[1] Article 3 II de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 qui modifie l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.