L'effectivité de la lutte contre le harcèlement scolaire

Publié le 01/09/2023 Vu 2 957 fois 0
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Le décret n° 2023-782 du 16 août 2023 renforce la lutte contre le harcèlement scolaire. Toutefois, cette effectivité a un prix...

Le décret n° 2023-782 du 16 août 2023 renforce la lutte contre le harcèlement scolaire. Toutefois, cette e

L'effectivité de la lutte contre le harcèlement scolaire

A quelques jours de la rentrée scolaire, le dispositif de lutte contre la harcèlement scolaire s'est enrichi d'un nouveau texte particulièrement protecteur pour les victimes.

Toutefois, à trop vouloir protéger certaines victimes, les principes cardinaux du droit pénal et de la procédure pénale ne sont-ils pas bafoués ?

 

Le décret n° 2023-782 du 16 août 2023 relatif au respect des principes de la République et à la protection des élèves dans les établissements scolaires relevant du ministre chargé de l'éducation nationale prévoit que désormais l'élève qui harcèle peut être exclu définitivement de l'établissement scolaire dans lequel il sévit.  

Selon l'article L. 511-3-1 du Code de l'éducation tel qu'issu de la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance :

« Aucun élève ne doit subir, de la part d'autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d'apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d'altérer sa santé physique ou mentale. »

 

Cette formule de principe qui s'apparente davantage à une incantation dogmatique a trouvé son effectivité réelle à travers la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire. 

Certes, avant la loi, il était possible de poursuivre le harceleur sur le fondement des infractions pénales de droit commun à l'instar des violences (articles 222-7 et suivants du Code pénal) ou de la provocation au suicide (article 223-13 et suivants du Code pénal). Toutefois, la loi a non seulement pour effet de renforcer la répression mais aussi et surtout joue un rôle pédagogique et donc préventif conséquent ! 

Une infraction spécifique est créée bien que le délit renvoie pour sa définition à celle du harcèlement moral. En faisant le choix d'en faire un délit distinct tout en renvoyant aux dispositions de l'article 222-33-2-2 du Code pénal, le législateur nomme et identifie clairement le phénomène contre lequel il entend lutter et en affirme son autonomie sociétale, mais également il assure la cohérence de la définition du « harcèlement » et donnant à cette notion des contours identiques.

 

Ainsi l'article 11 de la loi insère un article 222-33-2-3 dans le Code pénal :

« Constituent un harcèlement scolaire les faits de harcèlement moral définis aux quatre premiers alinéas de l'article 222-33-2-2 lorsqu'ils sont commis à l'encontre d'un élève par toute personne étudiant ou exerçant une activité professionnelle au sein du même établissement d'enseignement.

Le harcèlement scolaire est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende lorsqu'il a causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'a entraîné aucune incapacité de travail.

Les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 € d'amende lorsque les faits ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours.

Les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 € d'amende lorsque les faits ont conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.

Le présent article est également applicable lorsque la commission des faits mentionnés au premier alinéa du présent article se poursuit alors que l'auteur ou la victime n'étudie plus ou n'exerce plus au sein de l'établissement. »

La seule spécificité du délit réside donc dans les conditions préalables du délit concernant la victime de l'infraction ainsi que son auteur. 

Concernant les éléments constitutifs de l'infraction, l'élément matériel est donc celui du harcèlement moral, à savoir le "fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale".

L'élément moral du délit réside, tout d'abord, en un dol général conformément à l'article 121-3 alinéa 1er du Code pénal, à savoir l'intention de méconnaître la loi pénale. 

 

Suite à ces dispositions et certainement afin de s'efforcer d'endiguer ce fléau, le décret n° 2023-782 du 16 août 2023 relatif au respect des principes de la République et à la protection des élèves dans les établissements scolaires relevant du ministre chargé de l'éducation nationale a permis de nouvelles mesures. 

Ainsi, un article R. 411-11-1 du Code de l'éducation prévoit :

« Lorsque le comportement intentionnel et répété d'un élève fait peser un risque caractérisé sur la sécurité ou la santé d'un autre élève de l'école, le directeur d'école, après avoir réuni l'équipe éducative, met en œuvre, en associant les parents de l'élève dont le comportement est en cause, toute mesure éducative de nature à faire cesser ce comportement. Le directeur de l'école peut, à titre conservatoire, suspendre l'accès à l'établissement de l'élève dont le comportement est en cause pour une durée maximale de cinq jours.

Si, malgré la mise en œuvre des mesures mentionnées au premier alinéa, le comportement de l'élève persiste, le directeur académique des services de l'éducation nationale, saisi par le directeur de l'école, peut demander au maire de procéder à la radiation de cet élève de l'école et à son inscription dans une autre école de la commune ou, lorsque les compétences relatives au fonctionnement des écoles publiques ont été transférées à un établissement public de coopération intercommunale, dans une école du territoire de cet établissement. Lorsque la commune ne compte qu'une seule école publique, la radiation de l'élève ne peut intervenir que si le maire d'une autre commune accepte de procéder à son inscription dans une école de cette commune.
L'élève fait l'objet, dans sa nouvelle école, d'un suivi pédagogique et éducatif renforcé jusqu'à la fin de l'année scolaire en cours.

Lorsque le directeur d'école saisit le directeur académique des services de l'éducation nationale pour mettre en œuvre la procédure de radiation prévue au deuxième alinéa, il peut, à titre conservatoire, suspendre l'accès de l'école à l'élève pendant la durée de cette procédure. »

 

Cette disposition a été présentée un peu rapidement par les médias comme permettant d'exclure le harceleur. Si cette assertion n'est pas inexacte, il n'en demeure pas moins qu'elle est un peu trop simplificatrice du droit positif. 

Ainsi, le texte prévoit un dispositif en plusieurs temps. 

 

Dans un premier temps, le harceleur est identifié comme étant l'auteur d'un comportement "intentionnel et répété". Cette formule conduit à s'interroger sur ce constat. Dans la mesure où le harcèlement scolaire est un délit, l'appréciation de ces deux éléments constitutifs relève-t-elle de l'appréciation exclusive du chef d'établissement ? Dans l'affirmative, comment cette appréciation se concilie-t-elle avec l'appréciation d'un juge en cas de poursuites pénales ? 

En effet, il convient ici de rappeler les dispositions de la règle non bis in idem prévue notamment par l'article 4 paragraphe 1er du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme qui prévoit :

« Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat. »

Plus encore, comment s'assurer du respect de la présomption d'innocence dans une telle hypothèse ? Quid du respect des droits de la défense ? En effet, le constat du harcèlement est opéré par le chef d'établissement à partir de renseignements et de témoignages recueillis par ses soins. Ce principe et ces droits figurent parmi les exigences de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme relatives au procès équitable.

La procédure prévue par le texte suppose d'associer la famille du harceleur ainsi que l'équipe éducative...

Quoiqu'il en soit, la réponse maximale prévue par le texte est une suspension de l'accès à l'établissement pendant une durée maximale de cinq jours. 

 

Dans un deuxième temps, en cas de persistance du comportement du harceleur, le chef d'établissement peut demander au maire la radiation de l'élève de l'école et son inscription dans une autre école de la commune. Durant cette procédure, la suspension de l'élève peut intervenir (al. 4). 

Dans le nouvel établissement l'élève fera l'objet d'un suivi pédagogique et éducatif renforcé jusqu'à la fin de l'année scolaire en cours.

Ce dispositif est particulièrement protecteur de la victime du harceleur dans  l'établissement d'origine. Toutefois, ce texte ne conduit-il pas simplement à déplacer le "problème" ou plus précisément l'élève problématique d'un établissement à l'autre...  

 

Cette critique mérite d'être nuancée pour au moins deux raisons :

  • en cas de transfert d'un établissement à un autre avec un encadrement pédagogique renforcé ab initio le harceleur est susceptible de changer de comportement puisqu'il n'est plus en position de supériorité, il est le « petit nouveau » et est ainsi coupé de son réseau, de ses complices et de son entourage. Cette mesure peut donc – dans certains cas – s'avérer être efficace... ;

  • l'exclusion de tout établissement scolaire s'avère non seulement impossible mais également totalement contre-productive. En effet, le droit à l'instruction est une liberté fondamentale proclamée par la loi du 28 mars 1882 et rappelé par l'article L. 131-1 du Code de l'éducation dans les termes suivants « l'instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six ans et seize ans. » Plus encore, une exclusion serait totalement contre-productive. Ainsi le harceleur exclu serait en situation de décrochage scolaire et ses chances de s'insérer dans la société réduites comme peau de chagrin...

 

Ce texte constitue une avancée indéniable dans la lutte contre le harcèlement scolaire. Il reste à savoir si les chefs d'établissement se prêteront au dispositif mis en place. Ainsi, il semble probable que certains refusent d'accueillir des harceleurs au sein de leur établissement.

Plus encore, ces mesures doivent s'accompagner d'une meilleure prévention du harcèlement scolaire non seulement au sein des établissements mais également au sein de la famille.

L'enfant victime doit se sentir suffisamment en confiance pour s'ouvrir à son entourage...seuls ses mots pourront l'aider à guérir ses maux...

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Blog de Mikaël Benillouche

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