Faut-il modifier le délit d'apologie du terrorisme ?

Publié le 26/11/2024 Vu 507 fois 0
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Aucune justification tant juridique que d'opportunité ne justifie une telle évolution du droit.

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Faut-il modifier le délit d'apologie du terrorisme ?

Une proposition de loi visant à abroger le délit d’apologie du terrorisme du code pénal a été enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2024.

Ce délit est remis en cause par un parti politique dont certains responsables sont d’ailleurs inquiétés sur ce même fondement…

1.      Le droit positif actuel

La loi du 13 novembre 2014 a transféré le délit de la loi sur la liberté de la pression au code pénal aux côtés des autres dispositions relatives au terrorisme. Dès lors, le délit est devenu un délit de droit commun susceptible d’être poursuivi selon les dispositions de droit commun et pouvant, par exemple, faire l’objet d’une comparution immédiate.

L’article 421-2-5 du Code pénal prévoit d’ailleurs :

« Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende.

Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 € d'amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne.

Lorsque les faits sont commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. »

Les propos incriminés doivent être prononcés publiquement, c'est-à-dire tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics (Crim., 11 juillet 2017, n° 16-86.965). Ainsi, le caractère public fait défaut concernant un militaire de carrière s'adressant uniquement à ses homologues au sein d'une caserne invoque « Daesch » en se frappant le cœur à plusieurs reprises et en expliquant que la France tue plus que cette organisation criminelle. En effet, « la condition de publicité fait défaut dès lors que les propos ont été tenus à des militaires, liés par une communauté d'intérêts, dans une enceinte militaire, hors la présence de tiers ». (Crim., 13 déc. 2017, n° 17-82.030). En revanche, elle est retenue si les propos sont tenus lors de l'entretien d'arrivée avec un lieutenant pénitentiaire. En effet, la publicité ne suppose pas un nombre minimum d'auditeurs mais nécessite qu'une personne au moins ait entendu les propos d'apologie. Les paroles prononcées après l'examen de sa demande de placement en isolement ne concernent pas un groupement de personnes liées par une communauté d'intérêts. En outre, le prévenu n'a été incité à tenir les propos poursuivis ni lors de son entretien d'arrivée ni lorsqu'il a obtenu satisfaction à l'issue de l'examen de sa demande de placement à l'isolement (Crim., 19 juin 2018, n° 17-87.087).

L'incitation publique à porter un jugement favorable sur des actes de terrorisme ou leurs auteurs constitue donc une apologie (Crim., 25 avril 2017, n° 16-83.331). Par conséquent, la menace de commettre des meurtres en revendiquant l'appartenance à un groupe terroriste ne constitue pas une apologie (Crim., 4 juin 2019, n° 18-85.042).

2.     La remise en cause des extensions excessives du délit 

La loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale a créé de nouvelles incriminations proches du délit d’apologie du terrorisme.

Ainsi, l'article 421-2-5-1 du Code pénal punit de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende le fait d'extraire, de reproduire et de transmettre intentionnellement des données faisant l'apologie publique d'actes de terrorisme ou provoquant directement à ces actes afin d'entraver, en connaissance de cause, l'efficacité des procédures prévues à l'article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 ou à l'article 706-23 CPP, c'est-à-dire les procédures de blocage de sites internet.

Cet article n’a pas posé de difficulté au regard des droits fondamentaux.

En revanche, l’article 421-2-5-2 du Code pénal prohibe la consultation habituelle d'un site internet provoquant au terrorisme ou en faisant l'apologie.

L'élément matériel de l'infraction est précisé : le site doit présenter des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie.

Cette incrimination est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition (Cons. const., 15 déc. 2017, n° 2017-682 QPC). En effet, cette disposition incrimine la simple consultation habituelle d'un site provoquant à la commission d'actes terroristes ou faisant leur apologie. Le législateur avait pourtant tenu compte des critiques déjà élevées par le Conseil à l'encontre de la précédente version du texte (Cons. const., 10 févr. 2017, n° 2016-611 QPC). Le délit, même corrigé, aurait continué de méconnaître l'article 11 de la Déclaration des droits en portant « une atteinte à l'exercice de la liberté de communication qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée » à l'objectif poursuivi. Quant à la nécessité de l'incrimination, il objecte que les autorités administrative et judiciaire disposent déjà de nombreuses prérogatives pour contrôler les sites provoquant au terrorisme ou en faisant l'apologie, pour réprimer les auteurs de tels actes, pour surveiller les personnes consultant de tels services, pour les interpeller, pour les sanctionner lorsque cette consultation s'accompagne d'un comportement révélant une intention terroriste, et ce « avant même que ce projet soit entré dans sa phase d'exécution ». Quant à l'adaptation et à la proportionnalité du texte à l'objectif poursuivi « de sauvegarde de l'ordre public et de prévention des infractions », les conseillers relèvent que la peine de 2 ans d'emprisonnement est seulement subordonnée à la manifestation d'une adhésion à l'idéologie en cause, et non pas à l'intention de recourir au terrorisme.

La pratique est également parvenue à étendre l’infraction d’apologie de terrorisme.

Ainsi, un arrêt a fait application de la qualification de recel de chose dans le cas d'un fichier informatique qui contient des documents et enregistrements audiovisuels contenant l'apologie du terrorisme. La solution permet de contourner l'abrogation par le Conseil constitutionnel de l'article 421-2-5-2 qui incriminait la consultation d'un site faisant l'apologie du terrorisme. L'arrêt affirme la solution conforme à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, en posant à la répression une condition qui figurait dans l'article abrogé (Crim., 7 janv. 2020, n° 19-80.136, FS-P+B+I  : JurisData n° 2020-000056).

Saisi d’une QPC, le Conseil constitutionnel a affirmé que le recel de chose ne saurait autoriser la répression indirecte de la consultation de sites faisant l'apologie d'actes de terrorisme (Cons. const., 19 juin 2020, n° 2020-845 QPC).

3.                           3. La conformité du délit d’apologie du terrorisme aux droits fondamentaux

Cette infraction figurait initialement dans l’article 24 alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881 et avait déjà été contestée comme en atteste la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans sa décision du 2 octobre 2008 Leroy c. France.

En l’occurrence, le dessinateur français « Guezmer » avait condamné pour complicité d’apologie du terrorisme pour la publication d’un dessin paru dans un hebdomadaire basque. Le 11 septembre 2001, le dessinateur avait présenté un dessin représentant l’attentat perpétré contre les tours jumelles du World Trade Center, dont la légende parodiait le slogan publicitaire d’une célèbre marque : « [n]ous en avions tous rêvé … le Hamas l’a fait » (en référence à une publicité « Sony l’a fait »). Dans son numéro suivant, l’hebdomadaire avait publié des extraits de courriers de plaintes ainsi que la réaction du dessinateur, expliquant ne pas avoir pris en compte la douleur humaine en réalisant son dessin mais seulement le déclin des symboles américains.

Le Parquet avait engagé des poursuites à l’encontre du dessinateur et du directeur de la publication de l’hebdomadaire. Le directeur de la publication et le dessinateur avaient été reconnu coupable d’apologie du terrorisme et de complicité à une amende de 1 500 € chacun et à la publication du jugement à leurs frais dans le même hebdomadaire et deux autres journaux. La décision avait été confirmée.

Saisie, la Cour européenne des droits de l’homme avait conclu à la non-violation de l’article 10. Ce droit peut faire l’objet de restrictions et eu égard au caractère modéré de l’amende à laquelle le requérant a été condamné, et au contexte dans lequel la caricature litigieuse avait été publiée, elle a estimé que la mesure prise contre le requérant n’avait pas été disproportionnée au but légitime poursuivi.

Malgré ce constat de conformité, les rédacteurs de la proposition de loi ont mis en exergue que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme aurait évolué et que la Cour considèrerait désormais que le délit d’apologie du terrorisme ne serait pas nécessaire dans une société démocratique et ce, en se fondant sur la décision Rouillan c. France du 23 juin 2022 (n° 28000/19).

Regardons cette décision de plus près.

Il est exact que la Cour conclut à la violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Toutefois, la décision ne remet en aucun cas en cause le délit d’apologie du terrorisme, elle estime que la sanction infligée, à savoir une peine d’emprisonnement, était, en l’occurrence disproportionnée.

Il n’existe donc aucune nécessité juridique d’abroger le délit. Toutefois, il est possible de s’interroger est-ce opportun ?

Le délit n’est pas tombé en désuétude, loin s’en faut !

Il y a quelques jours dans une vidéo TikTok, j’ai eu le bonheur de constater que rappeler que certains auteurs de la proposition de loi ainsi que certains de leurs camarades politiques étaient concernés par des procédures sur le fondement de ce délit suscitait la polémique.

Or, en abrogeant le délit, ceux-là même bénéficieraient de la loi nouvelle plus douce comme le rappelle le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce. (article 112-4 alinéa 2 du Code pénal)

Plus encore, il convient de rappeler qu’il est possible de soutenir les aspirations d’un peuple à un Etat sans présenter sous un jour favorable le terrorisme commis au nom de ce peuple sur des civils par quelques extrémistes sanguinaires.

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A propos de l'auteur
Blog de Mikaël Benillouche

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