"Peut-on enseigner la responsabilité ?"

Publié le 22/12/2014 Vu 3 639 fois 0
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Composition de culture générale sur un thème proposé aux candidats dans le cadre des concours administratifs.

Composition de culture générale sur un thème proposé aux candidats dans le cadre des concours administrati

Karl Marx évoquait dès 1848 la circonstance que « les hommes font l’histoire, mais ne savent pas l’histoire qu’ils font » : c’est dire que les hommes sont moins jugés pour leurs actes, que pour leur action. C’est ce que Jean Paul Sartre rappelait en 1974 dans « Plaidoyer pour les intellectuels » lorsqu’il tient Goncourt et Flaubert pour responsables de ne pas avoir empêché la répression qui suivit la Commune de Paris. La responsabilité implique d’endosser un rôle, et d’en supporter toutes les charges, mais aussi tous les excès. Etymologiquement, la responsabilité suppose que l’on réponde ( « response » ) d’une chôse ( « res » ), voire qu’on soit habilité à pouvoir répondre de cette chose.
De deux choses l’une, elle implique une capacité ( le code pénal nous enseigne à cet égard que les aliénés ne sont pas pénalement responsables ), et un engagement ( le code civil enseigne quant à lui que seules les personnes capables, non frappées d’incapacité,  peuvent contracter. ). Mais la ou le choix est fait, la liberté disparaît et le responsable se trouve donc lié ; parallèlement, la liberté précède toute choix, la responsabilité suppose donc un certain courage. Dés lors, la responsabilité étant un choix éclairé, elle devient de l’apanage de ce que Vilfredo Pareto appelait les élites, étymologiquement, les élus ( « eligere » ). Or, ces élites se forment au sein de l’appareil éducatif républicain, notamment des écoles créées en marge des Universités autrefois sous tutelle de l’église ( Ecole Nationale d’Administration, Ecole Normale Supérieure, Ecole Polytechnique etc. ). Cependant, bien que le destin des élites soit de se renouveler ( Pareto ), on observer une certaine « reproduction » héréditaire de ces élites, comme le rappelait Pierre Bourdieu ( « La Reproduction » de 1970) ou Jean Claude Paresson ( « Les Héritiers » de 1964). Dés lors, ce qui constituait l’enseignement, étymologiquement, la conduite vers le savoir ( éducation vient de  « ducere » ), comme l’évoquait Rousseau dans « Emile ou De l’éducation » se transforme en la transmission d’un savoir brut dont l’élève peut ignorer les tenants et excès. Or, la violation de la démarche nécessaire à l’acquisition d’un savoir ( la pédagogie ) conduit à croire aveuglément en « la foi d’une vérité trouvée » ( Frederich Nietzsche ) et conduit parfois la science, dépassée par la technique, à connaître le pêché comme le soulignait déjà Oppenheimer lors des essais sur la bombe atomique à Los Alamos au Nouveau Mexique.

Ainsi, s’interroger sur le fait que l’on puisse enseigner la responsabilité conduit à poser les questions suivantes : peut-on endosser une responsabilité sans savoir éclairé, c’est-à-dire correctement enseigné ?

Si l’enseignement est une affaire de savoir, l’homme éclairé est inexorablement responsable devant ses pairs ( I ), mais on retient finalement que c’est moins la transmission de connaissances, que celle du savoir être responsable qui est nécessaire à l’Humanité ( II. ).

I. Puisque l’enseignement est affaire de savoir, l’homme éclairé est inexorablement responsable des actes de ses pairs, devant ses pairs…

Cependant, selon que la responsabilité soit affaire de savoir ou de pouvoir ( A ), l’enseignement sera différent ( B ).

A. La responsabilité : affaire de savoir ou de pouvoir ?

La responsabilité du savoir implique de tenir un rôle dans l’histoire. C’est ce que nous rappelle l’engagement des intellectuels consécutifs à l’affaire Dreyfus s’étant déroulée à la fin du XIXème siècle, et qui sera moins dans l’histoire celle de l’officier destitué, que celle de l’auteur de « Germinal » et de « Nana », Emile Zola.
Sous la présidence de Félix Faure, l’officier Dreyfus accusé de haute trahison envers la France, est destitué de ses fonctions sur la place publique en 1894. La France est alors divisée entre le camp dreyfusard et anti-dreyfusard. Quatre ans après, sous la plume d’Emile Zola, paraîtra l’article « J’accuse…. » dans le journal L’Aurore dirigé alors par Georges Clémenceau.
Les accusations portées par l’écrivain fort de son prestige ont un effet retentissant, les tirages s’élèvent à 200.000 exemplaires et bientôt des figures comme Jean Jaurès et Anatole France se joignent au combat emmené par Zola. L’ampleur du mouvement populaire amorcé par ceux que Barrès  nommera les intellectuels conduira finalement à la réhabilitation de l’officier jusqu’alors déchu, mais plus encore à redéfinir le rôle que doivent jouer désormais les hommes éclairés dans l’histoire. L’affaire nous démontre finalement que le savoir est de la responsabilité de chacun, et qu’il implique que chacun renonce à son innocence supposée : il est de la responsabilité de chacun de ne pas adopter la posture de l’enfant innocent et d’ouvrir les yeux, afin de ne pas se mentir à soi même ( Pascal Bruckner. ).

Mais la responsabilité du pouvoir peut aussi conduire à prétendre ne pas savoir. Le savoir implique le courage car il suppose que l’on puisse être responsable, et non que l’on doive se plier devant la responsabilité du pouvoir : il entretient dés lors un lien étroit avec l’autorité. C’est ce que nous démontre Hannah Arendt dans « La crise de la culture » paru en 1968, année qui paradoxalement est marquée en France par le déclin de la figure naturelle de l’autorité : le général De Gaulle. Hannah Arendt recense différentes formes de pouvoir : la domination, qui s’exerce dans le respect des lois naturelles ; la violence, qui s’exerce, au contraire, en méconnaissance des lois naturelles de la nature ; la contrainte, qui suppose de faire plier une volonté averse et donc l’égalité préétablie, et qui prend le nom d’oppression lorsqu’elle s’exerce sur un groupe ; et enfin, l’autorité qui n’engage pas « l’obéissance, mais la reconnaissance » ( Myriam Revault d’Allonnes ). L’homme est plus enclin à se délier de sa responsabilité individuelle devant la figure de l’autorité, l’expérience menée à Yale par Stanley Milgram dans « La soumission à l’autorité » nous le démontre bien : 65% des participants acceptent  de transmettre une décharge de 450 volts à un cobaye sur les instructions de « scientifiques » en blouse, censés posséder le savoir faisant autorité sur les profanes. On remarque dés lors que si le savoir impliquait le pouvoir de s’ériger en responsable des actions de l’homme, et partant de les responsabiliser vis-à-vis de leurs actes, quand il s’exerce au profit du pouvoir sous la forme de l’autorité, il efface au contraire la responsabilité des actes au profit de l’action d’obéir, fusse-t-il à bon escient.

B. La responsabilité du pouvoir implique-t-elle l’enseignement du savoir ?

La responsabilité du pouvoir peut s’opposer à la transmission, ou plutôt la vulgarisation du savoir. Le pouvoir implique nécessairement des décisions, ou le verdict de ses décisions reste soumis au procès de l’histoire, aussi vaut il mieux parfois garder ces décisions secrètes. A cet égard, l’assassinat de John Fitgerald Kennedy à Dallas en 1963, l’arrestation de Lee Harvay Osvald et son assassinat par Jack Ruby en prison peut de temps après son arrestation resteront des énigmes des coulisses du pouvoir. Aussi, la forteresse du pouvoir ne doit souffrir d’aucune faille, c’est dans ce contexte que l’affaire de la crise des missiles à Cuba en Octobre 1962, ayant donné lieu à un accord secret entre Khroutchev et Kennedy, portant pour l’un sur les retrait des missiles de l’île, et pour l’autre sur le retrait des missiles américains présents sur le sol turc, vient démystifier la figure l’ autorité absolue des Etats Unis sur le monde en période de guerre froide, à laquelle le désordre du débarquement des commandos formés par la CIA dans la bai de cochons à Cuba, ou encore la divulgation du caractère fabriqué de l’attentat sur le navire américain dans la baie du Tonkin ayant déclenché la guerre des Etats Unis au Vietnam fera écho, par la transmission du savoir par les médias, ou plus généralement par l’enseignement de l’histoire.

Mais si le pouvoir implique parfois de se taire, il force la responsabilité qu’à l’homme de parler pour s’opposer. C’est dans cette optique, et lors de la période historique la plus consacrée à la recherche scientifique et militaire, lors de la guerre froide, que la courses aux armements nucléaires lancée dés 1945 avec l’explosion de la première bombe atomique conçue à Los Alamaos fera dire à Oppenheimer que « la science a connu le pêché », et qu’elle implique une redistribution du savoir nécessaire à l’équilibre du pouvoir ( nombre de scientifiques américains ont rejoint le camp russe afin de transmettre leurs connaissances dans le domaine nucléaire, convaincus d’équilibre ce de fait le pouvoir des deux grands. ). C’est que le savoir implique de renoncer parfois à son pouvoir, comme en témoigne le militantisme contre la prolifération d’armes nucléaires engagé par Andrei Sakhanov après qu’il ait construit la bombe à hydrogène la plus puissante de l’histoire ( 50 mégatones ) sur instruction de Staline, remercié à cet égard par le prix Nobel.

Si la responsabilité implique d’être mesuré, voire parfois de faire de sacrifices ( I. ), elle doit préalablement être enseignée de manière rigoureuse ( II. ).

II. La transmission de connaissances abruptes est moins nécessaire à l’humanité que l’enseignement du savoir être responsable.

L’histoire des connaissance face à la connaissance que avons désormais de l’histoire ( A ), nous enseigne que la responsabilité de chacun constitue autant de leçon pour l’avenir ( B. )

A. Histoire des connaissances face à la connaissance de l’histoire.

Si les hommes font l’histoire, mais ne savent pas l’histoire qu’ils font ( Karl Marx ), on peut ajouter qu’il ne savent pas non plus ce que l’histoire fait d’eux. Ainsi, si en 1945, à la question « qui est responsable de la défaite de l’Allemagne Nazie ? » 57% des sondés répondaient l’URSS, ils ne sont aujourd’hui plus que 20% des sondés à fournir cette réponse, alors que 40% des sondés répondent les Etats-Unis. On voit donc que la transmission des connaissances est façonnée par un certain enseignement de l’histoire, lequel en France fût influencé par la diffusion du Plan Marshall à partir de 1947 et du modèle de l’ « American Way of Life » en échange du consentement à l’accord de prêts-bails supplémentaires nécessaires à la reconstruction meurtri par les deux conflits mondiaux qu’il avait connu en l’espèce d’un demi-siècle.

A cet égard, connaître l’histoire c’est enseigner la responsabilité de chacun : il faudra attendre le gouvernement Chirac pour que la France reconnaisse la responsabilité qui fût la sienne sous l’occupation dans la rafle du Vel d’Hiv ayant eu lieu en juillet 1942. C’est que les décisions des hommes de pouvoir ( Pétain ) ou d’influence ( Louis Ferdinand Céline, Drieu La Rochelle )sont soumises au verdict de l’histoire comme le rappelle le procès de Pucheux et de ses sections spéciales ayant bafoué les principes les plus élémentaires, tel que celui de non rétroactivité de la loi pénale en 1944. L’enseignement de la vérité de l’histoire, s’il conduit à reconnaître la responsabilité de ses acteurs dans un sens favorable ( transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon ) ou défavorable ( nationalisations des entreprises SNCF et Renault ayant collaboré avec l’occupant ), vient surtout responsabiliser chacun de nous, et constitue autant d’enseignement pour les générations futures.

B. La réelle vocation de l’enseignement : responsabiliser les générations actuelles et futures.

On peut rappeler que c’est moins l’enseignement, que les modalités d’enseignement qui permettent d’éduquer, et partant de responsabiliser. C’est ce qu’évoquait déjà Rousseau dans « Emile ou De l’éducation » quand l’élève en vient finalement à se désintéresser de l’enseignement de son maitre Pangloss préférant « imposer » son savoir, plutôt que de conduire Emile vers le savoir à travers la pédagogie. Or, le « paidagogos » qui désignait l’esclave qui accompagnait l’enfant, réclame une attention de tous les instant pour éviter que l’enfant ne prenne la mauvaise direction. Or de nos jours, la multiplication des chemins vers le savoir qu’illustrent les médias alternatifs ( youtube, twitter etc. ) démontrent ce qu’il peut y avoir d’excès ( radicalisation de certains spectateurs ) comme de bienfaits ( facebook a par exemple considérablement favorisé l’émergence des révolutions du Printemps Arabe, à tel point que nombre de nouveaux nés ont pu avoir le nom du fameux site de réseau social… ). La république française est donc amenée de plus en plus à redoubler de vigilance envers les enfants de la patrie afin de les priver des pièges posés sur leurs routes vers le savoir, afin d’éviter que de nouveaux drames comme celui de l’affaire Mohamed Merah de 2012 ne se reproduisent.

Enfin, responsabiliser c’est préférer l’action sur le long terme à la responsabilité d’actes passés ayant provoqué des séquelles. Responsabiliser conduit à éviter les souffrances futures. L’émergence d’une responsabilité environnementale depuis le rapport Meadows de 1968 et la nécessité de prôner et privilégier le développement durable avec le rapport Bruntland de 1987 fournissent de bons exemples de responsabilisation de la population, en ce que chacun dans sa sphère privée se rend responsable de ce qu’il adviendra à l’environnement pour le futur. L’enseignement de la responsabilité, s’il doit être favorisé par les institutions républicaines, demeure avant tout du devoir de chacun à raison de la proportion des actes, du prestige de la fonction, ou de l’importance de la situation.

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