Commentaire comparé articles 1927 et 1928 du code civil

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L'intensité de l'obligation contractuelle du dépositaire

L'intensité de l'obligation contractuelle du dépositaire

Commentaire comparé articles 1927 et 1928 du code civil

Introduction

Contrat de service, le dépôt est par nature un contrat déséquilibré : les obligations du dépositaire sont en effet plus contraignantes que celles du déposant.

Adoptés lors de la codification du code civil en 1804, les articles 1927 et 1928 du code civil n’ont pas été modifiés par le législateur.

Ces textes sont situés au sein du Livre III° « Des différentes manières dont on acquiert la propriété », au titre 11°  « Du dépôt et du séquestre », au Ch. II « Du dépôt proprement dit » à la section III « Des obligations du dépositaire ».

Historiquement, le dépôt est un contrat antique et la doctrine en la personne du Doyen Carbonnier a pu remettre en cause son caractère contractuel.

Ce dernier pouvait en effet être perçu comme un acte sacré et le dépositaire infidèle voué aux gémonies.

Les choses ont cependant évolué, sa professionnalisation et sa commercialisation, n’en font plus uniquement un contrat de bienfaisance mais un acte juridique à titre onéreux.

Néanmoins, de ses origine romaines, il a gardé ses traits principaux (un contrat réel, un contrat d’ami, un contrat de garde).

Si l’on s’accorde pour dire que le dépositaire n'est tenu que d’une obligation de moyens, il s’infère néanmoins des textes que l’intensité juridique de celle-ci va crescendo à mesure que l’intérêt du dépositaire pour la garde grandi.

 

On trouve ainsi décrit  au sein des articles 1927 et 1928 du code civil, les obligations principales du dépositaire (I), qui doivent être respectées sous peine d’engager sa responsabilité (II)

 

I – Les obligations principales du dépositaire

Elle se subdivise en obligation de la garde de la chose (A) et en sa nécessaire conservation (B)

 

A – Une obligation de garde

Les obligations principales qui naissent du dépôt sont à la charge du dépositaire (V. I. AVANZINI, Les obligations du dépositaire, 2007, Litec, not. nos 224 s.).

Parce qu'une chose lui est confiée, le dépositaire s'engage à la garder et à la conserver ; cette obligation, complexe, est congénitale à l'institution.

Le dépositaire est donc tenu d'une obligation de garde de la chose à laquelle il doit apporter les mêmes soins qu'à la sienne propre.

La garde constitue l'obligation essentielle du contrat de dépôt ; en son absence, on ne peut parler de dépôt.

La convention épousera alors les traits d'un autre contrat, qui pourra selon les cas être analysé en un louage de choses, un louage d'ouvrage, voire encore un contrat innommé.

Elle pèse sur le dépositaire, que le dépôt soit à titre onéreux ou à titre gratuit.

Il est évident que cette obligation de garde implique une nécessaire restitution des biens déposés.

De cette obligation cependant, le contrat tire son esprit, c’est un contrat « dormant » disait JOSSERAND où à exécution sédentaire qui impose une obligation de soins (B)

 

B – Une obligation de soins

En effet, le dépositaire n’est pas un entrepreneur mais un conservateur.

 

Parce qu'il s'est engagé à garder la chose, le dépositaire est ensuite tenu à une vigilance et un entretien de la chose, au moins un entretien normal (aérer le local où sont entreposés les meubles, faire boire, nourrir et maintenir en bonne santé les animaux qui lui ont été confiés, Riom, 1re ch. civ., 25 janv. 2016, RG no 14/02486)

 

Les soins exceptionnels ne sont dus que si une clause particulière l'impose (Soc. 10 avr. 1962, Bull. civ. IV, no 386 : un représentant de commerce se fait voler dans son automobile la collection de marchandises qui lui avaient été remises, alors que sa voiture était garée la nuit sur la voie publique ; jugé qu'il n'est pas responsable

 

Ainsi, le dépositaire est de sa nature « un gardien conservateur, non un détenteur fructificateur » (P. MALAURIE, L. AYNÈS et P.-Y. GAUTIER, op. cit., no 880).

 

Il n'a ni droit d'usage, ni droit de jouissance sur la chose.

 

La question s’est alors posée de savoir si dans ces conditions, il fallait couvrir les risques susceptibles d'advenir à la chose en l'assurant, par exemple, contre l'incendie ou le vol ?

 

L’article 1927 du code civil ne dispose t-il pas en effet, qu’il s’agit de veiller sur le bien comme sur les siens propres ?

 

Certains auteurs optent pour l'affirmative (P. MALAURIE, L. AYNÈS et P.-Y. GAUTIER, loc. cit.; mais on peut aussi considérer que le dépositaire n'y est pas obligé par le fait même du contrat de dépôt.

 

Une large fraction de la doctrine est en ce sens approuvée, au demeurant, par une jurisprudence plus que séculaire qui, en l'absence de précision contenue dans le contrat, n'impose pas au dépositaire de contracter une assurance (Civ., 1er août 1866)

 

L'assurance qui peut être accomplie aussi bien par le propriétaire, quoique actuellement dessaisi de la chose, que par le détenteur temporaire, ne saurait être rangée parmi les obligations imposées à celui-ci et pouvant engager, au cas où il ne les remplirait pas, sa responsabilité. – Civ. 26 juin 1923.

 

Il n'en irait cependant autrement qu'en application de règles particulières réglementant une profession, comme cela existe dans le secteur de la bijouterie-joaillerie, où il existe un code des usages nécessitant de s'assurer contre la force majeure (Com. 12 nov. 1986, no 85-11.730).

 

S'il ne peut restituer au déposant la chose qui lui a été confiée ou si celle-ci est détériorée par sa faute – abstraction faite des menues détériorations qui ne seront pas prises en compte, le dépositaire engage sa responsabilité contractuelle.

 

Cette responsabilité est le corollaire de l'obligation de garde qui pèse sur celui-ci, obligation proche, mais néanmoins distincte de l'obligation de garde accessoire à un contrat d'entreprise (II)

 

 

II – Les conséquences d’une faute de garde ou de soins

 

A -  Une responsabilité  graduée en fonction de l’intérêt du dépositaire

Du côté du dépositaire, le caractère bénévole ou rémunéré du dépôt rentre en ligne de compte.

Dans le premier cas, il s'agit d'un service d'ami, rendu en raison de l'amitié, et donc nécessairement en fonction de la personne qu'on oblige.

Le dépositaire gratuit voit sa faute appréciée relativement à ses habitudes personnelles.

 

Il doit dès lors apporter à la chose les mêmes soins que ceux qu’il apporterait à une chose lui appartenant (art. 1927 c.civ.).

 

Si le dépôt a été consenti à titre gratuit, les juges apprécieront sa faute in concreto et donc avec plus d'indulgence (V. ainsi, Civ. 1re, 22 déc. 1954, Bull. civ. I, no 382 ; D. 1955. 252 :

 

Ainsi, un garagiste avait abandonné les voitures de ses clients en fuyant l'invasion allemande.

 

L'arrêt précise que pour celles des voitures ayant fait l'objet d'un dépôt gratuit, il ne pouvait être exigé les mêmes soins que pour un dépôt consenti à titre onéreux), en recherchant, conformément à la norme de base édictée à l'article 1927 du code civil, si le dépositaire a apporté « dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent ».

 

Comme il l'a été souligné, "ce n'est point là s'en tenir “au rabais”

 

S'il est certes bien clair que [la diligence] peut être inférieure à celle qu'un tiers impartial pourrait juger normale, rien n'empêche qu'elle lui soit au contraire supérieure.

 

Tout dépendra de degré de zèle “jaloux” que le dépositaire met dans la conservation de ses biens propres ».

 

Le dépôt rémunéré, en revanche, présentera rarement cette particularité.

 

Ainsi,  lorsque le dépositaire trouve un intérêt au dépôt, c'est-à-dire, s'il a été stipulé un salaire pour la garde du dépôt salarié, ainsi que dans les autres hypothèses envisagées par l'article < 1928 > du code civil, les juges doivent adopter une rigueur plus grande dans l'appréciation de la faute du dépositaire ; pareille appréciation se fera donc in abstracto, c'est-à-dire par rapport au bon père de famille (en ce sens, V. Civ. 1re, 20 juill. 1994).

L’engagement de la responsabilité du dépositaire peut néanmoins être susceptible d’exonération (B)

 

B-  Les conditions d’exonération du dépositaire

Les hypothèses où le dépositaire peut s'exonérer de sa responsabilité, pour restreintes qu'elles soient, existent néanmoins.

De manière réitérée, la jurisprudence admet qu'il  résulte de la combinaison des articles 1927, < 1928 > et 1933 du code civil qu'il appartient au dépositaire, auquel est imputée la détérioration d'une chose confiée aux fins de réparations ou d'entretien, de prouver qu'il y est étranger, en établissant soit que cette détérioration préexistait à la remise de la chose ou n'existait pas lors de sa restitution, soit, à défaut, qu'il a donné à sa garde les mêmes soins que ceux qu'il aurait apportés à celle des choses lui appartenant » (Civ. 1re, 5 févr.2014).

Le dépositaire peut encore s'exonérer de sa responsabilité en cas de survenance d'un accident de force majeure (Civ. 1re, 11 juill. 1984).

Il faut ainsi réserver le cas où le dépositaire arrivera à prouver que la détérioration existait avant la mise en dépôt ou qu'il a conservé le bien conformément aux dispositions de l'article 1927 du code civil.

Le dépositaire est également exonéré de sa responsabilité en présence d'une clause d'irresponsabilité (qu'il s'agisse d'une clause limitative ou élusive de responsabilité).

Conformément au droit commun, pareille clause exonère le dépositaire de sa faute légère, mais non de sa faute lourde ou dolosive, ou même de la violation de son obligation essentielle (V. ainsi Civ. 1re, 12 déc. 1984).

Les clauses qui allègent, voire suppriment la responsabilité du dépositaire sont en principe valables, au même titre, d'ailleurs, que celles qui la renforcent, comme en témoigne l'article < 1928 >, 4o, du code civil.

 Il appartiendra au dépositaire de démontrer que cette clause a été connue du déposant et acceptée par lui (V. P. MALAURIE, L. AYNÈS et P.-Y. GAUTIER, op. cit., no 892, pour qui cette connaissance « ne résulte pas du simple affichage du règlement sauf circonstances particulières » : par exemple, le client était habituel, ou encore le dépositaire avait attiré son attention sur la clause).

Dans les rapports entre professionnels et profanes, la clause encourt le risque de tomber sous la prohibition des clauses abusives

 

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