L’annulation d’une sentence arbitrale par une juridiction étrangère ne fait pas obstacle à sa reconnaissance sur en France

Publié le 27/02/2023 Vu 662 fois 0
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La reconnaissance en France d'une sentence rendue dans l’espace OHADA est examinée selon le droit français.

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L’annulation d’une sentence arbitrale par une juridiction étrangère ne fait pas obstacle à sa reconnaissance sur en France

Cour d’appel de Paris, CCI, 11 janvier 2022, no 20/17923

 

L’arrêt rapporté révèle à la fois la subtilité et la complexité de l’arbitrage commercial international. En l’espèce, à la suite d’un appel d’offres international, la République du Bénin a conclu avec la société SGS un contrat de marché, régi par le droit béninois, ayant pour objet la mise en place d’un programme de certification de valeurs de douane. À un moment donné de la relation contractuelle, la République du Bénin a cessé de régler les factures dont elle était tenue en vertu de la convention. C’est ainsi que la société SGS a introduit une demande d’arbitrage auprès de la CCI sur le fondement de la clause compromissoire prévue dans le contrat.

Le siège du tribunal arbitral a été fixé à Ouagadougou (Burkina Faso). Parallèlement à la procédure d’arbitrage, la République du Bénin a saisi le TPI de Cotonou[1] qui, le 13 février 2017, a annulé le contrat litigieux. Cette décision a été confirmée en appel par un arrêt du 12 mars 2020. Entretemps, le tribunal arbitral a rendu une sentence partielle par laquelle il s’est déclaré compétent pour connaître du litige ainsi qu’une sentence finale aux termes de laquelle elle condamnait la République du Bénin au paiement de diverses sommes. Ces sentences ont été respectivement annulées par un arrêt de la CCJA[2] et un arrêt de la cour d’appel de Ouagadougou.

Or, la sentence finale a été revêtue de l’exéquatur par une ordonnance du TGI de Paris. Le 10 décembre 2020, la République du Bénin a interjeté appel devant la cour d’appel de Paris contre ladite ordonnance. Elle demande au juge de reconnaître l’autorité de la chose jugée, sur le territoire français, des décisions ayant annulé la sentence partielle du tribunal arbitral[3] et celles ayant reconnu la compétence de la juridiction étatique béninoise[4]. Ainsi, en soutien à sa demande, elle invoque l’incompétence du tribunal arbitral et la contrariété de la sentence finale à l’ordre public international. De son côté, la société SGS demande à la cour de déclarer sans effet dans l’ordre juridique français la décision ayant prononcé l’annulation des sentences. Dès lors, la cour d’appel de Paris devait répondre à la question de savoir si l’annulation d’une sentence arbitrale par une décision étrangère fait obstacle à sa reconnaissance sur le territoire français.

À cette question, la cour d’appel répond par la négative. Elle rappelle tout d’abord qu’une sentence internationale, qui n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique, est une décision de justice internationale dont la régularité est examinée au regard des règles applicables dans le pays où sa reconnaissance et son exécution sont demandées. Cela signifie que « la reconnaissance en France d’une sentence rendue à l’étranger est examinée au regard des règles applicables en France, et l’annulation de ladite sentence par les juridictions du siège n'emporte aucune conséquence sur sa reconnaissance ».

La cour d’appel de Paris en déduit dès lors que les décisions rendues par les juridictions de de Ouagadougou et de Cotonou ne sont pas de nature, à elles seules, à faire obstacle à l’examen par le juge du contrôle de la demande d’exéquatur d’une sentence.

Certes, cette solution s’éloigne de la position de la CCJA en matière d’autorité de la chose jugée[5], mais elle paraît logique. En effet, en vertu du principe de l’autonomie de l’arbitrage international[6], il appartient au juge du lieu d’exécution de la sentence d’apprécier, en référence à l’ordre public international de son propre pays, si celle-ci mérite d’être revêtue de l’exéquatur. On comprend alors que la cour d’appel de Paris se soit référée aux dispositions du code de procédure civil français (article 1520) pour apprécier les griefs formulés par la République du Bénin contre la sentence arbitrale. Il convient d’analyser brièvement ces griefs afin de dégager l’intérêt de l’arrêt.

Le premier grief a porté sur l’incompétence du tribunal arbitral. Selon la République du Bénin, le TPI ayant retenu en premier sa compétence et ayant annulé le contrat existant entre les deux parties, le tribunal arbitral aurait dû se déclarer incompétent ; ce d’autant que le contrat en cause est un contrat administratif. Sur ce point, la cour d’appel de Paris constate tout d’abord l’existence d’une clause compromissoire prévue par l’article 18 du contrat conclu entre la République du Bénin et la société SGS. Elle en déduit ensuite, du fait que litige entre les parties est né de l’inexécution dudit contrat, « que le tribunal arbitral s’est à bon droit déclaré compétent pour statuer sur le litige au regard de la commune intention des parties ». Cette interprétation mérite d’être accueillie car, à n’en pas douter et en application du principe compétence-compétence[7], il appartient à l’arbitre de se prononcer en priorité sur sa compétence. Dès lors, la décision du TPI était inopposable à la procédure d’arbitrage.

Il convient de noter que la cour d’appel de Paris ne s’est pas prononcée sur l’(in)arbitrabilité du contrat administratif, alors que c’est sur ce motif que la CCJA s’est fondée pour annuler la sentence partielle rendue par le tribunal arbitral. Il est cependant établi que le litige né de l’exécution d’un contrat administratif peut être soumis à une procédure d’arbitrage si l’État y a préalablement consenti. En effet, comme le relève un auteur, l’arbitrage « résulte du consentement des deux parties : le consentement de l’État s’exprime volontairement dans l’instrument législatif ou conventionnel, celui de l’investisseur ultérieurement par l’acte d’introduction d’instance »[8]. En l’espèce, il y a lieu d’estimer que, la République du Bénin ayant consenti à un arbitrage international sous l’égide de la CCI, elle n’était plus admise à soulever l’incompétence du tribunal arbitral.

Le second grief invoqué par le requérant est tiré de la contrariété de la sentence à l’ordre public international pour non-respect de l’autorité de la chose jugée des décisions béninoises et burkinabés. À ce propos et d’une part, la cour d’appel de Paris rappelle que la sentence internationale n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique. Ainsi, sa reconnaissance ou son exécution en France ne dépend pas d’une décision étrangère, mais de la seule application du droit français.

Elle ajoute d’autre part que, si l’ordre public international français est susceptible d’être heurté par l’inconciliabilité entre une sentence arbitrale et une décision émanant d’une juridiction étrangère qui entraînent des conséquences juridiques s’excluant mutuellement, « encore faut-il que ces décisions soient pareillement exécutoires sur le territoire français ». En d’autres termes, les décisions béninoises et burkinabés « n’étant pas revêtues de l’exéquatur en France, elles ne peuvent en aucun cas faire obstacle pour ce motif à l’exéquatur de la sentence finale étant rappelé que la seule méconnaissance de l’autorité de chose jugée d’une décision de justice étrangère est inopérante ».

Cette interprétation ne peut que retenir l’attention du processualiste, car elle semble indiquer que les décisions étrangères n’ont autorité de la chose jugée en France que si elles sont revêtues de l’exéquatur. De ce point de vue, elle s’écarterait alors de la jurisprudence de la Cour de cassation française qui invite les juges du fond, lorsqu’est invoquée devant eux l’autorité de la chose jugée d’une décision étrangère, à vérifier simplement « sa régularité internationale »[9].

C’est d’ailleurs dans ce sens qu’abondent les dispositions de l’Accord de coopération en matière de justice entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Dahomey[10] du 27 février 1975[11]. Quoi qu’il en soit, l’arrêt autorise à penser que le moyen tiré de la violation de l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions béninoises et burkinabés, aurait pu prospérer si la République du Bénin avait sollicité au préalable une décision d’exéquatur.

En somme, l’on retiendra que l’examen de la demande d’exéquatur d’une sentence arbitrale se fait uniquement en référence au droit interne du juge du lieu de l’exécution. Les décisions rendues par les juridictions étrangères, relativement au même litige, ne s’imposent pas au juge de l’exéquatur.

 



[1] Le TPI a statué en matière administrative.

[2] CCJA, 3e ch., 27 février 2020, n° 068/2020 ; LEDAF.2000.4, note R. AKONO ADAM.

[3] Il s’agit des arrêts de la CCJA et de la cour d’appel de Ouagadougou.

[4] Il s’agit du jugement du TPI de Cotonou et de l’arrêt de la cour d’appel de Cotonou.

[5] La Haute juridiction de l’OHADA considère l’autorité de la chose jugée comme un principe fondamental participant de l’ordre public international (CCJA, ass. plén., 31 janvier 2011, n° 03/2011). En ramenant cette solution à l’affaire qui nous occupe, on peut déduire qu’une fois le TPI de Cotonou avait annulé le contrat, le tribunal arbitral ne pouvait plus statuer sur la même cause sans violer l’autorité de la chose jugée.

[6] E. GAILLARD, « Souveraineté et autonomie : réflexions sur les représentations de l’arbitrage international », Journal de droit international, Clunet, 2007, p. 1163 et s.

[7] CCJA, 1re ch., 22 octobre 2020, n° 312/2020 ; CCJA, 3e ch., 27 février 2020, n° 064/20 ; CCJA, 3e ch., 28 mai 2020, n° 200/2020.

[8] W. BEN HAMIDA, L’arbitrage transnational unilatéral- Réflexions sur une procédure réservée à l’initiative d’une personne privée contre une personne publique, thèse de doctorat, Université Panthéon-Assas (Paris-II), 2003, p. 18. Dans le même sens, v. O. DIALLO, Le consentement des parties à l’arbitrage international, Paris, PUF, 2010, p. 190.

[9] Cass. civ. 1re, 21 septembre 2016, n° 14-29.340.

[10] Le Dahomey est l’ancien nom de la République du Bénin.

[11] V. les articles 44 et s.

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