A propos de l'identification du juge du contentieux de l'exécution OHADA

Publié le 07/12/2021 Vu 1 849 fois 0
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La loi camerounaise de 2007 instituant le juge du contentieux de l'exécution est inconventionnelle lorsqu'elle désigne un autre juge que celui indiqué par l'article 49 de l'AUPSRVE.

La loi camerounaise de 2007 instituant le juge du contentieux de l'exécution est inconventionnelle lorsqu'ell

A propos de l'identification du juge du contentieux de l'exécution OHADA

Observations sous CCJA, 2e ch., 08 avril 2021, n° 041/2021

 

Introduction

Le droit OHADA de l’exécution forcée évolue avec une grosse épine dans sa chaussure, c’est la loi n° 2007/01 du 19 avril 2007 instituant le juge du contentieux de l’exécution au Cameroun. En effet, contrairement à l’article 49 de l’AUPSRVE qui consacre une juridiction unique et indique les critères de son identification, le texte camerounais a opté pour émiettement de cette compétence (v. J. FOMETEU, « Le juge du l’exécution au pluriel ou la parturition de l’article 49 de l’acte uniforme OHADA sur les voies d’exécution », in Revue internationale de droit comparé, vol. 60, n° 2, 2008, pp. 19-44). Ainsi, en application de l’article 3 alinéa 1er de la loi sus-citée, « le juge du contentieux de l’exécution des décisions judiciaires nationales est le président de la juridiction dont émane la décision contestée statuant en matière d’urgence, ou le magistrat de sa juridiction qu’il délègue à cet effet ».

Comme le rappelle l’arrêt sous commentaire, cette disposition contraire au Traité OHADA, justifie la cassation systématique des décisions rendues par les juridictions nationales au mépris de l’article 49 de l’AUPSRVE. Cette situation place les justiciables dans une insécurité juridique en empêchant la réalisation de leurs droits. De ce point de vue, au-delà de la simple appréciation de l’arrêt, il y a lieu de se demander si la responsabilité de l’État du Cameroun ne pourrait pas être engagée du fait du non-respect de ses engagements internationaux.

I- Des faits simples...

En l’espèce, la veuve et les ayants droit de feu ATOUEMA AGUIFE Théodore avaient pratiqué une saisie-attribution de créances de la société DTP Terrassement auprès de diverses banques. En vue d’obtenir mainlevée de la saisie, cette dernière a saisi le président de la cour d’appel du Centre statuant comme juge de l’exécution en premier et dernier ressort, conformément à la loi camerounaise. Déboutée de sa demande, la société s’est pourvue en cassation devant la CCJA où elle demande au juge suprême d’annuler l’ordonnance du président de la cour d’appel. À l’appui de sa demande, elle invoque la violation des articles 10 du Traité de l’OHADA et 49 de l’AUPSRVE. En effet, selon la requérante, le président de la cour d’appel du Centre aurait dû décliner purement et simplement sa compétence. La CCJA était ainsi appelée à se prononcer, pour une énième fois, sur l’identification du juge de l’exécution dans l’espace OHADA.

II- ... Pour une solution classique

La réponse de la Cour allait de soi. Dans sa démarche pédagogique habituelle, elle rappelle en premier lieu le principe de la supranationalité du Traité OHADA en vertu duquel « les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les États Parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ». En second lieu, elle réitère qu’il ressort de l’article 49 de l’AUPSRVE que toute contestation relative à une mesure d’exécution forcée relève, quelle que soit l’origine du titre exécutoire en vertu duquel elle est poursuivie, de la compétence préalable du président de la juridiction statuant en matière d’urgence et en premier ressort ou du magistrat délégué par lui (v. déjà, CCJA, 09 octobre 2003, n° 017/2003 ; 24 avril 2003, n° 007/2003 ; 02 juin 2005, n° 039/2005).

Il s’agit là d’une solution plutôt classique. En effet, la CCJA n’avait pas tardé à sanctionner les ordonnances émanant des présidents des juridictions (d’appel ou suprême) camerounaises qui avaient indument retenu leur compétence en matière de contentieux de l’exécution (CCJA, Ass. plén., 04 novembre 2014, n° 109/2014 ; 1re ch., 14 décembre 2017, n° 224-2017 ; 25 octobre 2018, n° 175/2018 ; 3e ch. 19 décembre 2019, n° 339/2020 ; L’Essentiel. Droits africains des affaires, n° 5, mai 2020, note R. AKONO ADAM). On ne peut que regretter l’insensibilité du législateur camerounais, en dépit de la position constante du juge d’Abidjan et des vives interpellations de la doctrine (Fr. ANOUKAHA, « Le juge du contentieux de l’exécution des titres exécutoires : le législateur camerounais persiste et signe …l’erreur », in Juridis Périodique, n°70, 2007, p. 33 et s. ; R. NJEUFACK TEMGWA, « Le juge du contentieux de l’exécution : la CCJA désavoue le législateur camerounais et confirme sa jurisprudence », in Juridis Périodique,  n°100, 2014, p. 59 et s.). Il en va de même du gouvernent qui, au vu de ces cassations répétées, n’a pas cru devoir saisir la CCJA (en application de l’article 14 du Traité OHADA) afin qu’elle interprète définitivement, si besoin était encore, les dispositions de l’article 49 de l’AUPSRVE.

On peut également déplorer l’attitude timorée de ces magistrats qui continuent d’appliquer une loi jugée contraire à un traité ratifié par l’État du Cameroun. Cette attitude est d’autant plus surprenante que les traités ratifiés ont, au Cameroun, une valeur infra constitutionnelle mais supra législative (Article 45 de la Constitution ; v. également O. C. RUPPEL et E. D. KAM YOGO, « Chapitre 3. Introduction au droit international de l’environnement », in Nomos Verlagsgesellschaft mbH, 2018, pp. 93-118). Ainsi, tout magistrat peut procéder au contrôle de conventionalité des lois « en vue de la neutralisation de celles qui ne respectent pas les engagements internationaux du Cameroun » (D. J. ZAMBO ZAMBO, « protection des droits fondamentaux et droit à la jurisdictio constitutionnelle au Cameroun : continuité et ruptures », in Revue des droits de l’homme, n° 15, 2019, p. 11).

Sur le terrain du contentieux de l’exécution forcée, cette prérogative aurait pu ou devrait amener le juge à appliquer directement l’article 49 de l’AUPSRVE. Sous cet angle et le cas échéant, il pourra donc se déclarer incompétent au profit du président de tribunal de première instance dont les attributs correspondent parfaitement aux critères définis par l’AUPSRVE et la CCJA. Cette audace des juges camerounais est nécessaire pour éviter d’une part une atteinte aux droits des justiciables et d’autre part pour garantir l’application directe des actes uniformes (v. déjà, CCJA, 2e ch., 22 février 2018, n° 41/2018 ; L’Essentiel. Droits africains des affaires, n° 7, juillet 2018, p. 3, note A. AYEWOUADAN). 

III- Une atteinte à la sécurité juridique des justiciables

Il va sans dire que la loi camerounaise de 2007 porte atteinte aux intérêts des justiciables en les plaçant dans une situation manifestement inconfortable. Tout d’abord, elle a pour conséquence de rallonger considérablement la durée des procédures dans un environnement où la perte de temps équivaut à une perte d’argent (time is money !). Ensuite, elle crée une insécurité juridique dans la mesure où les justiciables ne peuvent se prévaloir d’une ordonnance prononcée par un magistrat autre que celui de l’article 49 de l’AUPSRVE. Enfin, elle compromet la réalisation des droits subjectifs car, quand bien même la CCJA aura cassé et annulé les ordonnances rendues par des juges incompétents, les parties ne seront pas toujours au bout de leurs peines. Tel sera le cas lorsque le juge normalement compétent estime ne pas l’être.

Cet état de chose justifie, outre l’appel à l’audace des magistrats lancé plus haut, que soient envisagés d’autres moyens -internationaux- de pression contre l’État du Cameroun afin qu’il se conforme au droit uniforme. La première démarche, sans doute la plus naturelle, est d’ordre institutionnelle. Elle consisterait, pour les autres pays membres de l’OHADA, d’attirer l’attention de l’État du Cameroun lors de la tenue de la Conférence des chefs d’État et de Gouvernement ou du Conseil des ministres (article 27 et s. du Traité OHADA). Cette approche est essentielle pour garantir l’effectivité du droit uniforme.

La seconde démarche, de nature contentieuse, conduirait à engager la responsabilité de l’État du Cameroun devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples pour violation du droit au procès équitable. En effet, en application de l’article 7 alinéa 1er de la Charte ADHP, « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : le droit de saisir les juridictions nationales compétentes (…) » (à rapprocher de l’article 8 de la DUDH). Cette disposition nous paraît assez claire pour justifier un recours devant la juridiction communautaire. L’idée est qu’en ayant institué des juridictions incompétentes -au regard au droit international- en matière de contentieux de l’exécution, l’État du Cameroun empêche que la cause des justiciables soit entendue.

Conclusion

Les développements qui précèdent montrent bien que détenir un titre exécutoire n’est pas une fin en soi et que parmi les éléments qui résument l’activité judiciaire, à savoir l’instruction, la décision et l’exécution, « c’est incontestablement le dernier qui est le plus important » (E. DE RUSQUEC, « Réflexions sur l’exécution des décisions de justice en matière civile », in Gazette du palais, 1982, p. 335 et s.). Assurément, la violation de l’article 49 de l’AUPSRVE par le législateur camerounais met en péril les droits des justiciables et compromet le but même de l’OHADA. On ne peut qu’espérer, à l’aube d’une année nouvelle, qu’il cesse de persister et de signer…l’erreur !

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