La valeur d'une société ne correspond pas nécessairement à celle de ses éléments d'actif

Publié le Modifié le 03/04/2011 Vu 4 051 fois 0
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Si la valeur à laquelle les titres d'une société sont cédés peut valablement être rapprochée de la valeur de l'actif qu'elle détient pour en démontrer l'insuffisance, c'est à la condition que la méthode de valorisation d'une société par celle de son actif soit pertinente au regard des circonstances propres à l'espèce et qu'aucun élément du contexte de la transaction ne puisse influer sur le prix. Le Conseil d’Etat rappelle, en outre, le principe selon lequel l'administration peut se fonder sur des éléments postérieurs à une transaction pour en établir la valeur réelle, sous réserve que ces éléments ne traduisent aucune évolution qui ferait obstacle à ce qu'ils soient valablement pris en compte comme éléments de comparaison compte tenu de la date à laquelle ils sont intervenus. CE 10 décembre 2010 n° 308050, 10e et 9e s.-s., SARL Prunus.

Si la valeur à laquelle les titres d'une société sont cédés peut valablement être rapprochée de la vale

La valeur d'une société ne correspond pas nécessairement à celle de ses éléments d'actif

Par Soufiane JEMMAR, Avocat en droit fiscal

Auteur de l'ouvrage "l'évaluation des biens et services en droit fiscal", Editions l'Harmattan, 548 pages, 06/2010

 

I- Les faits de l’espèce

La SA Groupe Hugo a cédé le 29 septembre 1989 au prix de 1 franc à la société Sese, dont elle détenait 99 % du capital, la marque commerciale d'un salon spécialisé dans les produits de construction de second oeuvre, dénommé Equip'Baie, qui s'était tenu une première fois au parc des expositions de la porte de Versailles à Paris en novembre 1988.

Le 5 octobre 1989, la SA Groupe Hugo a cédé la société Sese, dont l'actif était essentiellement constitué par la marque Equip'Baie et le fonds de commerce afférent, et qui ne disposait d'aucun personnel technique ou commercial, à la société Groupe Blenheim pour la somme de 11 millions de francs. Postérieurement à ces cessions, dans le cadre de l'absorption de la société Sese par la société Groupe Blenheim, la valeur de la marque Equip'Baie au 1er septembre 1990 a été estimée à la somme de 10 605 873 F par le commissaire aux apports.

L'adm inistration fiscale, estimant que la cession de la marque Equip'baie à la société Sese au prix de 1 franc constituait un acte anormal de gestion, a réintégré dans le bénéfice de l'exercice 1989 de la SA Groupe Hugo la somme de 10 605 872 F, correspondant au montant de la marque tel que valorisé par le commissaire aux apports, et diminué du prix de cession à la société Sese.

II- Les motifs et dispositifs de l’arrêt

II.1- La valeur d'une société ne peut être réduite à la seule valeur de ses éléments d'actif

Pour juger que l'administration établissait que la marque Equip'Baie avait été cédée à la société Sese pour un montant inférieur à sa valeur réelle et que cette cession avait, dans ces conditions, revêtu le caractère d'un acte anormal de gestion, la cour s'est notamment fondée sur la circonstance que les titres de la société Sese avaient été cédés le 5 octobre 1989 à la société Groupe Blenheim, quelques jours après la cession de la marque, pour une valeur de 11 000 000 F, alors qu'ils avaient été comptablement valorisés en septembre 1988 pour un montant de 495 000 F par leur précédent détenteur.

Le Conseil d’Etat a considéré que la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'une erreur de droit dans la mesure où elle s’est bornée à estimer que la valeur d'une société ne pouvait être qu'en rapport étroit avec celle de son actif, sans rechercher si d'autres méthodes de valorisation ou si des circonstances particulières pouvaient fonder l'écart de valeur constaté entre l'actif qu'elle détenait et la valeur de la société.

En effet, selon la Haute juridiction, si la valeur à laquelle les titres d'une société sont cédés peut valablement être rapprochée de la valeur de l'actif qu'elle détient pour en démontrer l'insuffisance, c'est à la condition que la méthode de valorisation d'une société par celle de son actif soit pertinente au regard des circonstances propres à l'espèce et qu'aucun élément du contexte de la transaction ne puisse influer sur le prix.

En l'espèce, la marque détenue par la société constituait son principal actif, l'acquéreur, opérateur dominant sur son marché, procédait à l'achat des titres afin de prendre le contrôle d'un de ses concurrents et renforçait ainsi sa position relative sur le marché .

Dès lors, en se bornant à soutenir que la valeur de la société était celle de son principal actif, sans tenir compte de la situation particulière pouvant expliquer la valorisation à laquelle il a été procédé, l'administration ne peut être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant apporté la preuve, qui lui incombe, que la cession au prix de 1 franc de la marque Equip'Baie par la SA Groupe Hugo à sa filiale la société Sese relevait d'un acte anormal de gestion.

II.2- La valeur vénale peut être déterminée en tenant compte d’éléments postérieurs à la date du fait générateur

Le Conseil d’Etat rappelle le principe selon lequel il est toujours loisible à l'administration de se fonder sur des éléments postérieurs à une transaction pour en établir la valeur réelle, sous réserve que ces éléments ne traduisent aucune évolution qui ferait obstacle à ce qu'ils soient valablement pris en compte comme éléments de comparaison compte tenu de la date à laquelle ils sont intervenus.

Il est à observer que la jurisprudence judiciaire en matière de droits d'enregistrement retient un principe diamétralement opposé à celui exposé par le Conseil d’Etat. En effet, elle refuse de tenir compte, pour les besoins de l’évaluation d’un bien, tout élément postérieur à la date du fait générateur ( Cf. notamment, Cass. com. 28 janvier 1992 n° 295 P, Colaert ; Cass. com. 29 novembre 1994 n° 2216 D, Jourdan-Barry ; Cass. com. 19 décembre 2000 n° 2212 F-D, Lefébure).

Ainsi, si dans le cadre de l’évaluation des titres d’une société les perspectives d’avenir de celle-ci constituent un éléments déterminants quant à sa valorisation financière, les juges des deux ordres n’appréhendent pas de la même façon lesdites perspectives.

Dans un arrêt du 3 octobre 1984, le Conseil d’Etat considérait déjà que la valeur réelle d’actions non cotées peut-être évaluée non seulement en fonction de leur valeur mathématique (actif net comptable) mais en prenant en compte tous les autres éléments d’appréciation utiles et notamment les perspectives de développement de la société[1].

Pour sa part, la Cour de Cassation a, dans plusieurs arrêts, posé le principe selon lequel les perspectives d’avenir ne sont pertinentes que dès lors que des circonstances palpables, existant au moment même du fait générateur, amènent raisonnablement à en envisager la survenance future. Ainsi, dans un arrêt datant du 7 décembre 1993, la Cour de cassation énonce que « la valeur au jour du décès, de titres non cotés en bourse doit être appréciée en tenant compte de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir une évaluation aussi proche que possible de celle qu’aurait déterminé le jeu de l’offre et de la demande dans un marché réel à cette date, qu’il s’en suit que le tribunal a justement tenu compte des perspectives d’avenir qui existaient au moment du décès, que le moyen n’est donc pas fondé »[2]. Dans un arrêt datant du 19 décembre 1989, la Haute juridiction a considéré que la valeur des titres non cotés en bourse doit être appréciée en tenant compte de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir une évaluation aussi proche que possible de celle qu’aurait entraîné le jeu de l’offre et de la demande dans un marché réel au jour du décès. Ne peuvent dans ce cadre être prises en compte que les seules perspectives d’avenir qui existaient au moment du décès[3]. La Haute Cour considère, ainsi, que les perspectives d’avenir doivent être prises en compte pour la détermination de la valeur vénale, mais afin que soit respecté son principe d’antériorité des éléments à prendre en compte pour l’évaluation, celle-ci exige que des circonstances palpables, existant au moment même du fait générateur, amènent raisonnablement à en envisager leur survenance future.

 


[1] CE 3 octobre 1984, n° 48928 et 50420, 9e et 8e sous-sections. RJF12/84 n°1447.

[2] Cass. Com. 7 décembre 1993, n° 1950 P, Delloye, RJF 03/94, n°356.

[3] Cass. Com. 19 décembre 1989, RJF 03/90, n° 357.

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