Par jugement du 04 juillet 2016, le Tribunal d'instance du 15ème déclare que le Syndicat des travailleurs Corse a un objet illicite au regard du code du travail.
Le jugement est téléchargeable sous ce lien
La CGT, la CFDT et la CFTC contestait la candidature du syndicat des Travailleurs Corse (STC) au prochaines élections TPE.
Ces organisations syndicales soutenaient que l'objet de ce Syndicat était contraire au critère d'indépendance et de respect des valeurs républicaines.
Le Tribunal d'instance du 15ème saisit de cette contestation validait leur raisonnement. Il considère que le STC est une "organisation régionaliste défendant des intérêts régionalistes". Qu'il a un "but politique qui excède les objectifs des organisation syndicales".
Le juge tire cette analyse de la lecture des statuts et de la profession de foi du Syndicat qui semble être les seuls éléments versés au débat par le STC.
Il relève en effet que les statuts mentionne plusieurs références à l'indépendance Corse et la "corsisation des emplois" et l'immixtion du syndicat dans le fonctionnement de la justice Prud'homale Corse. (Le STC ayant obtenu plusieurs élus dans les Conseils des Prud'hommes Corse)
Ce jugement nous semble criticable.
En effet, rappelons nous de l'arrêt de la Cour de cassation du 13 octobre 2010 (n°10.60130) à propos de la CNT qui déclarait que:
"Attendu que la société Baud et le syndicat FO font grief au jugement d’avoir validé la désignation d’un représentant syndical par le syndicat CNT, alors, selon le moyen :
1°/ que le respect des valeurs républicaines suppose de la part d’un syndicat qu’il ne poursuive pas des objectifs contraires aux principes fondateurs de l’Etat républicain tels qu’ils résultent de la Constitution et de l’ensemble des textes et principes à valeur constitutionnelle ; que le syndicat dont l’objet est de former et d’organiser les travailleurs pour l’abolition de l’Etat prône la négation d’une organisation républicaine de la France en contradiction avec les textes constitutionnels ; qu’en l’espèce, pour valider la désignation au sein de la société Baud de M. X… au mandat de représentant de section syndicale par le syndicat SCIAL-CNT, le tribunal d’instance considère que prôner l’abolition de l’Etat n’est pas contraire aux valeurs de la République ;qu’en statuant ainsi, le tribunal viole pour refus d’application les principes sus-évoqués, les articles L. 2142-1 et L. 2142-1-1 du code du travail ensemble l’article 1131 du code civil ;
2°/ que le respect des valeurs républicaines implique le rejet catégorique de tout recours à la violence comme mode de revendication ; qu’en l’espèce, pour valider la désignation au sein de la société Baud de M. X… au mandat de représentant de section syndicale par le syndicat SCIAL-CNT, le tribunal d’instance se borne à énoncer que “l’action directe” préconisée par ce syndicat est une “forme de lutte décidée, mise en oeuvre et gérée directement par les personnes concernées”, et n’est donc pas contraire aux valeurs de la République ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher comme l’y invitaient expressément les conclusions de la société Baud, pièce à l’appui, si le syndicat CNT ne présentait pas lui-même le recours à la force comme une forme d’action directe possible, le tribunal ne justifie pas légalement sa décision au regard des articles L. 2142-1 et L.2142-1-1 du code du travail, ensemble l’article 1131 du code civil et de l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que c’est à celui qui conteste le respect, par une organisation syndicale, des valeurs républicaines, d’apporter la preuve de sa contestation ;
Et attendu que le tribunal d’instance a constaté que la preuve n’était pas rapportée que le syndicat CNT, en dépit des mentions figurant dans les statuts datant de 1946, poursuive dans son action un objectif illicite, contraire aux valeurs républicaines ;"
Ainsi, prôner l'abolition de l'état et l'action directe n'est pas contraire au valeur républicaine mais l'indépendance de la Corse si...
De la même manière, le syndicat SUD, dont les valeurs républicaines ont déjà été contestées, sans succès, prône un socialisme autogestionnaire qui nierait le droit de propriété et la liberté d’entreprendre (sic !) (affaire SFR jugée par le Tribunal d’instance de Longjumeau, le 1er février 2010, v. Bref social n° 15542 du 5 février 2010).
Il nous semble que la simple lecture des statuts et de la profession de foi du STC aurait dû pousser le Tribunal a examiner si les demandeurs font la preuves (autrement que par une rédaction maladroite de la profession de foi) du non-respect des valeurs républicaines.
Il apparait également contradictoire d'indiquer qu'un syndicat ne respecte pas cette valeur et de constater que le syndicat est présent dans les juridictions Prud'homales. Quelle meilleure preuve du respect de ce principe que participer à la justice, symbole le plus proximal de la république envers le citoyen ?
Sur ce point le Tribunal relève que les statuts du STC indiquent que :"les conseillers Prud'homaux sont tenus d'assister aux réunions de l'U.L. et du C.N. Ils doivent prévoir dans leur emploi du temps la tenue de réunions régulières (selon la demande et le nombre de dossiers) avec les permanents plus particulièrement chargés du suivi et du traitement des dossiers Prud'homaux.".
De cette constatation le Tribunal conclut que le STC "porte atteinte à l'indépendance et à l'impartialité de la justice en soumettant la mission des conseillers Prud'homaux élus sur ses listes au contrôle des permanents chargés du suivi et du traitement des dossiers Prud'homaux au sein du syndicat".
A aucun moment et à notre connaissance, il n'est mentionné dans les extraits des statuts repris par le jugement une soumission des conseillers Prud'homaux au permanents chargés du suivi des dossiers. (Rappelons que les conseillers Prud'hommes de la CGT ont une formation dans un organisme de la CGT nommé "Prudis" et que cet formation est souvent faite par les défenseurs syndicaux de ... la CGT !) Les réunions permanentes ci-dessus exposé peuvent avoir pour simple objet une actualisation juridique mais en tout cas, il n'est pas fait de mention expresse de cette soumission autre que par une interprétation des statuts.
Un syndicat peut-il faire de la politique ? Un syndicat peut-il prôner une discrimination fondée sur "l'origine" corse ?
Le Tribunal relève que le STC "prône une discrimination fondée sur l'origine régionale entre les salariés en favorisant à la "corsisation des emplois"". (selon la profession de foi déposée pour ces élections)
Ainsi le Tribunal considère que "le STC poursuit manifestement un but politique, qui excède les objectifs des organisations syndicales, apparaissant comme un outil pour diffuser la doctrine de certains courant politiques".
Un arrêt de la chambre Mixte de la Cour de cassation pose le cadre juridique de ce débat. cass soc 10 avril 1998, N° de pourvoi: 97-16970 97-17097 97-17272 97-17323
"Mais attendu que, par application combinée des articles 1131 du Code civil, L. 411-1 et L. 411-2 du Code du travail, un syndicat professionnel ne peut pas être fondé sur une cause ou en vue d'un objet illicite ; qu'il en résulte qu'il ne peut poursuivre des objectifs essentiellement politiques ni agir contrairement aux dispositions de l'article L. 122-45 du Code du travail et aux principes de non-discrimination contenus dans la Constitution, les textes à valeur constitutionnelle et les engagements internationaux auxquels la France est partie ;
Et attendu que l'arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, retient souverainement que le FNP n'est que l'instrument d'un parti politique qui est à l'origine de sa création et dont il sert exclusivement les intérêts et les objectifs en prônant des distinctions fondées sur la race, la couleur, l'ascendance, l'origine nationale ou ethnique ; qu'en l'état de ces énonciations, le moyen n'est pas fondé ;" (rappelons que ce syndicat était une émanation du FN)
Ainsi, un syndicat ne peut :
- poursuivre des objectifs essentiellement politiques
- agir contrairement aux dispositions de l'article L122-45 CT (principe de non discrimination)
Sur la poursuite des objectifs politiques:
Pour mémoire, tous les syndicats poursuivent un but Politique (rappelons que la CGT était le bras armé du PC et qu'il a tout de même appelé à voter FH aux dernières élections...). D'ailleurs, le préambule des statuts de la CGT prône la lutte des classes... La CNT a pour but l'abolition de l'état et SUD l'abolition de la propriété...
Il appartenait donc aux demandeurs de démontrer que le STC poursuivait des objectifs essentiellement politiques. Notons que le Tribunal ne constate qu'une chose: le STC "poursuit un but politique".
Il ne nous apparait pas de manière flagrante, à la lecture de ce jugement, que le Tribunal constate la démonstration (de la part de la CGT) d'une activité essentiellement politique.
Les statuts du STC indiquent par ailleurs que : "Le S.T.C. a pour mission la défense de tous ceux qui vivent de leur travail contre un salaire, un traitement, sans exploiter autrui, quelle que soit la fonction qu'ils occupent. Leur place dans la production déterminant une situation concrète caractérisée par un ensemble d'intérêts moraux, matériels, économiques et professionnels irréductibles à ceux du patronat, le S.T.C. affirme sa vocation à défendre exclusivement leur intérêt : en ce sens il est un "Syndicat de classe"."
Il ne nous apparait pas que l'objet de ce syndicat est de poursuivre des objectifs essentiellement politiques. L'article II 4 des statuts du STC précisent que: "les mandats nationaux (Commission Exécutive, Conseil National, Congrès) sont incompatibles avec tout mandat d'ordre politique ".
Sur le principe de non discrimination
Le fait de proclamer dans une ligne d'une profession de foi que l'on souhaite favoriser l'embauche locale, est-ce une discrimination légitime ? (le terme local n'étant pas défini, il peut s'agir de personne résidant depuis plusieurs années ou même réglant ses impôts en corse.. tout est envisageable, le pire comme le meilleur)
La question est finalement plus philosophique que juridique.
Rappelons que le taux d'inemploi en Corse est l'un des plus fort de France. Qu'en ile de réunion, des mesures spécifiques ont été prises pour privilégier l'emploi "local". Que d'autres universités pratiquent la "discrimination positive" en instituant des inégalités pour permettre l'égalité. Or, l'égalité n'est-elle pas un principe républicain ? Ne serait-ce pas le but recherché par le STC ?
L'état n'a-t-il pas créer le concept de ZEP privilégiant certaines zones géographiques à d'autres ?
Sur ce point, la cour de cassation nous répondra sans doute...
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Pour ma part, je pense fondamentalement que la préparation d'une audience telle que celle-ci, en 2 ou 3 jours (le Tribunal doit statuer dans les 10 jours de sa saisine) à juge unique, (nonobstant la qualité du juge du 15ème), ne garantit pas le respect du principe du contradictoire et la préparation d'une défense surtout lorsque l'enjeu n'est ni plus ni moins que la reconnaissance de la qualité de syndicat.
Ayant défendu l'Union SAP (cf. le billet précédent), l'audience était prévu le mardi. Le Syndicat recevait les conclusions et les pièces le samedi précédent et la convocation le lundi matin (pour l'audience le lendemain). Nous n'avions que le lundi pour conclure en réponse aux 25 pages adverses et environ 60 pièces.
à ce stade d'urgence, le contrôle du juge devrait être simplement formel, (A la manière d'un référé ou comme par exemple le contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation du juge administratif)
Cette organisation par le législateur est juste intolérable.
Ghislain DADI - Avocat associé
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