L'autorisation de mariage du majeur sous tutelle sous contrôle strict du juge des tutelles

Publié le Modifié le 10/10/2019 Vu 6 470 fois 0
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La Cour d'Appel de VERSAILLES a infirmé une ordonnance du juge des tutelles autorisant le mariage d'un majeur sous tutelle. La loi du 23 mars 2019 pose désormais le principe d'une liberté fondamentale de se marier à tout majeur protégé

La Cour d'Appel de VERSAILLES a infirmé une ordonnance du juge des tutelles autorisant le mariage d'un majeur

L'autorisation de mariage du majeur sous tutelle sous contrôle strict du juge des tutelles

Je suis intervenu dans cette affaire comme avocat des enfants cotuteurs d'un homme de 76 ans, placé sous tutelle en raison d'une pathologie liée à un syndrôme de KORSAKOFF.

Cette pathologie a pour effet notamment d'altérer de façon grave et irrémédiable les facultés mentales. Elle se manifeste par de oublis fréquents et une grande désorientation spacio-temporelle.

Monsieur R connaissait Madame V depuis quelques années avant son placement sous tutelle.

Divorcé depuis de nombreuses années, père de deux enfants, Monsieur R souhaitait refaire sa vie avec Madame V.

Monsieur R détient un patrimoine très important. Madame V est hébergée par un membre de sa famille et n'a aucun revenu.

Sa maladie ne cessant de s'aggraver,  ses enfants ont pris l'intiative de le placer sous mesure de protection. Une tutelle  a été prononcée et les deux enfants ont été désignés co-tuteurs. Son institutionnalisation est intervenue quelques mois plus tard, devant de nombreuses chutes et une impossibilité de demeurer à son domicile.

Madame V n'a pas souhaité être désignée tutrice. Bien que reconnaissant la maladie de son compagnon, elle a toujours minimisé sa gravité. Elle s'est ainsi opposée aux deux enfants très rapidement, leur reprochant notamment d'avoir placé arbitrairement leur père en institution.

L'avocat du majeur protégé a saisi le juge des tutelles d'une demande en mariage de son client avec Madame V. Un certificat médical d'un médecin expert inscrit sur la liste du Procureur de la République de Paris avait été joint à cette requête.

Le médecin expert de façon étonnante (voire complaisante) a considéré que l'état de Monsieur R était stable et que la gravité de son état, reconnue par ailleurs par de nombreux autres médecins, n'était pas avérée.

En conclusion de son certificat, le médecin expert va considérer que la demande en mariage est parfaitement légitime aux motifs que Monsieur R pouvait éprouver et exprimer des sentiments.

Le juge des tutelles a auditionné les deux futurs époux et retenu que Monsieur R souhaitait se marier et avait des sentiments pour Madame V.

Le juge des tutelles a donc autorisé ce mariage aux motifs que les sentiments exprimés par le majeur protégé étaient suffisants. Aucune modalité quant au régime matrimonial et aux obligations de mariage n'a été visée par l'ordonnance du juge. 

Les cotuteurs ont interjeté appel de cette décision devant la Cour d'Appel de VERSAILLES.

En préparation de l'audience devant la Cour, nous avions sollicité une nouvelle expertise médicale de Monsieur R qui a été sans appel sur l'impossibilité de ce celui-ci d'émettre un consentement éclairé.

La Cour d'Appel de VERSAILLES a rendu son arrêt le 26 janvier 2018.

Elle a infirmé l'ordonnance du juge des tutelles, empêchant ainsi ce mariage d'intervenir.

La Cour a repris l'ensemble des éléments que nous avions développés avec les cotuteurs.

La Cour a répondu par la négative à ces deux questions :

Monsieur R était-il capable de consentir valablement à son mariage avec Madame V?

Monsieur R était-il capable de comprendre les enjeux de son mariage sur les plans patrimonial et extra-patrimonial?

1) Rappel des dispositions légales et jurisprudentielles

Article 460 alinéa 2 du Code Civil : « Le mariage d'une personne en tutelle n'est permis qu'avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille s'il a été constitué et après audition des futurs conjoints et recueil, le cas échéant, de l'avis des parents et de l'entourage ».

Article 458 alinéa 1 du Code Civil : « Sous réserve des dispositions particulières prévues par la loi, l'accomplissement des actes dont la nature implique un consentement strictement personnel ne peut jamais donner lieu à assistance ou représentation de la personne protégée ».

Article 458 alinéa 2 du Code Civil : « Sont réputés strictement personnels la déclaration de naissance d'un enfant, sa reconnaissance, les actes de l'autorité parentale relatifs à la personne d'un enfant, la déclaration du choix ou du changement du nom d'un enfant et le consentement donné à sa propre adoption ou à celle de son enfant ».

Article 459 alinéa 1 du Code Civil : « Hors les cas prévus à l'article 458, la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne dans la mesure où son état le permet ».

Arrêt du 2/12/2015 de la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation : « si le mariage d'un majeur en tutelle doit être autorisé par le juge des tutelles, il constitue un acte dont la nature implique un consentement strictement personnel et qui ne peut donner lieu à représentation ». ( Civ. 1re, 2 déc. 2015, n° 14-25.777)

Il faut retenir de cet arrêt que le mariage, pourtant exclu de la liste des actes de l’article 458 aliéna 2 précité, est néanmoins qualifié par la Cour d’acte strictement personnel.

La combinaison de l’ensemble de ces dispositions impose que l’autorisation de mariage du majeur sous tutelle, pour être valable, soit obligatoirement soumise aux conditions suivantes :

- le consentement libre et éclairé, strictement personnel du majeur sous tutelle

- l’audition du conjoint ;

- l’avis des proches.

 

2) Le consentement doit être éclairé et établi comme tel sur le plan médical

 

La question du consentement et de l’expression de volonté est au cœur des dispositions légales qui régissent le droit des mesures de protection.

 

C’est la capacité d’une personne vulnérable à exprimer sa volonté qui va induire le degré de protection qui lui sera appliqué en vertu notamment du principe de proportionnalité de l’article 471 du Code Civil.

 

Dans le cas de Monsieur R, cette question est d’autant plus prégnante que l’évolution de sa maladie a d’abord conduit le juge des tutelles à le placer sous tutelle.

Le certificat du médecin considérant le mariage comme possible est donc dangereux.

S’il faut se réjouir de la capacité de Monsieur R à éprouver des sentiments pour sa compagne, il n’en demeure pas moins que la question de la validité de son consentement n’est ni abordée ni tranchée par ce médecin.

Le mariage emporte des conséquences sur le plan personnel certes, mais également sur le plan patrimonial, le tout étant assorti de devoirs des époux l’un envers l’autre.

Dans le certificat médical produit par les cotuteurs à la veille de l'audience et donc au plus juste de l'état de santé de Monsieur R, le médecin relève qu'il n’est pas contesté que Monsieur R éprouve des sentiments pour Madame V : « elle me plait beaucoup » ;  avec cette réserve qu’il indique avoir été marié deux fois et qu’il se méfie des mariages « car les divorces ça coûte cher », ajoutant : « le mariage c’est utopique ».

 

Les dires de Monsieur R quelques jours avant l'audience indiquent finalement qu’il comprenait certains enjeux du mariage et qu’il y était même opposé. 

3) L'audition devant la Cour d'Appel

Les cotuteurs et les deux futurs époux étaient convoqués devant la Cour accompagnés de leurs avocats respectifs.

Le jour de l'audience, la Cour a interrogé Monsieur R sur ses déclarations aux médecins : il ne s'est souvenu de rien. Il a simplement répété qu'il vivait dans une maison dans le sud de la france (alors qu'il est institutionnalisé depuis 3 ans en région parisienne) et qu'il aimait bien Madame V...

La Cour a également interrogé Madame V sur son projet de vie et ses attentes quant à ce mariage. Madame V a été incapable de proposer le moindre projet de vie, de prouver ses moyens d'existence et d'expliquer en clair, hormis l'avantage financier que lui procurerait cette union, ce qu'elle espérait d'un mariage aussi déséquilibré avec un homme avec lequel elle ne partagerait pas de vie quotidienne.

4) Conclusion :  la Cour impose un contrôle strict du juge des tutelles sur les conditions du mariage

La Cour a pu constater l'altération complète des facultés de Monsieur R et son absence de consentement éclairé.

La Cour a retenu également l'absence de projet de vie des futurs époux, relevant à ce titre que Madame V, se présentant comme future épouse, n'avait pas l'intention de demander la tutelle de son futur époux.

Le mariage est un acte strictement personnel en matière de mesures de protection.

Soit le majeur protégé est capable d'exprimer un sentiment clair et non équivoque soit il ne le peut pas. Il n'y a aucune autre alternative.

Le mariage,avant d'être une liberté et une expression d'un sentiment amoureux, est aussi un contrat entre personnes consentantes et conscientes des enjeux tant sur le plan de la filiation que sur le plan patrimonial.

Cette restriction de liberté, déjà consacrée par le Conseil Constitutionnel (voir mon article du 17/09/2012 publié sur ce blog https://www.legavox.fr/blog/la-tutelle-et-vous/liberte-mariage-majeurs-proteges-9536.htm) est nécessaire s'agissant de la protection des intérêts du majeur protégé.

MISE A JOUR : 10/10/2019

 

La loi du 23 mars 2019 portant réforme de la justice et notamment de certaines dispositions en matière de droit des majeurs protégés pose enfin le principe fondamental de la liberté de mariage pour tout majeur protégé, que ce soit en tutelle ou curatelle.

Le majeur en curatelle ou en tutelle n’est plus tenu d’obtenir une quelconque autorisation pour se marier. En effet, l’article 460 du code civil est réécrit et dispose désormais que la personne chargée de la protection est informée au préalable du projet de mariage du majeur protégé. L’article 63 du même code précise que les futurs époux devront justifier de l’information faite à la personne chargée de la protection. L’officier de l’état civil ne peut célébrer le mariage si cette attestation fait défaut. Cette information repose a priori sur le majeur protégé lui-même.

L’article 174 du code civil est remanié. Dorénavant, l’opposition des collatéraux privilégiés ou ordinaires est conditionnée à la demande d’ouverture d’une mesure de protection juridique et non plus uniquement d’une tutelle.

Aux termes du nouvel article 175 du code civil, le curateur ou le tuteur peut former opposition au mariage du majeur protégé qu’il assiste ou représente. Son opposition est soumise aux conditions de celle formée par les père, mère ou ascendants, c’est-à-dire sans avoir à justifier d’un motif particulier. Il s’agit d’un véritable droit de veto au mariage du majeur protégé. Cela s’explique puisque le mariage implique un certain nombre de conséquences patrimoniales et ne peut être qualifié d’acte strictement personnel.

L’article 1399 du code civil est complété et autorise la personne chargée de la mesure de protection à saisir le juge afin qu’il l’autorise à conclure seule un contrat de mariage afin de préserver les intérêts du majeur protégé. Si ce dernier peut décider seul de se marier, ses intérêts patrimoniaux peuvent être sauvegardés par la conclusion d’un contrat de mariage à l’initiative de son représentant.

 

Ces dispositions sont entrées en vigueur le lendemain de la publication, le 25 mars 2019.

 

 

 

 

 

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A propos de l'auteur
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Me Thierry Rouziès, Avocat au Barreau de Paris depuis 1999, est expert en Droit de la Protection des Majeurs. Il conseille et assiste tant des particuliers que des Professionnels (MJPM).

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