Décès du majeur protégé et rémunération du Mandataire Judiciaire

Publié le 15/10/2020 Vu 5 428 fois 4
Légavox

9 rue Léopold Sédar Senghor

14460 Colombelles

02.61.53.08.01

La Cour de Cassation pose le principe du maintien de la compétence du juge des tutelles pour accorder une indemnité exceptionnelle au mandataire judiciaire après le décès du majeur protégé.

La Cour de Cassation pose le principe du maintien de la compétence du juge des tutelles pour accorder une ind

Décès du majeur protégé et rémunération du Mandataire Judiciaire

La Cour de Cassation vient de rendre un arrêt en date du 15 janvier 2020 qui règle enfin la question pratique du règlement des indemnités exceptionnelles dues au Mandataire Judiciaire (tuteur ou curateur) après le décès du majeur protégé.

LES FAITS :

Un jugement du 28 mai 2015 a placé M... J... sous curatelle renforcée pour une durée de soixante mois. Sa fille a été désignée en qualité de curatrice et une Mandataire judiciaire à la protection des majeurs, en qualité de curatrice adjointe.

Un jugement du 24 juin 2016 a transformé la mesure en tutelle, maintenant les protecteurs dans leurs rôles respectifs.

Par requête du 22 juin 2017, la Mandataire judiciaire a demandé une indemnité exceptionnelle au titre des diligences accomplies depuis le 28 mai 2015. Le majeur protégé est décédé le 13 juillet 2017 avant que le juge des tutelles ne fasse droit à la demande de la Mandataire judiciaire.

Le juge des tutelles a refusé de faire droit à la demande de la Mandataire considérant qu'il n'était plus compétent pour accorder cette indemnité en raison du décès du majeur protégé.

La Cour d'Appel, saisie par la Mandataire, a confirmé la position du juge des tutelles en se fondant sur l'article 449 du Code Civil, selon lequel la mesure de protection prend fin au décès du majeur protégé.

Les juges du fond en ont donc déduit que le juge des tutelles n'était plus compétent après le décès du majeur protégé et que la Mandataire devait faire valoir sa créance auprès du notaire en charge de la succession.

LA DECISION  DE LA COUR DE CASSATION :

La Cour de Cassation a cassé cette argumentation aux motifs que l'article 419 du Code Civil prévoit que SEUL le juge des tutelles est compétent pour accorder une indemnité exceptionnelle au mandataire judiciaire. A contrario cela signifie que le notaire de la succession ou tout autre organe ne peut accorder cette indemnité.

La Cour de Cassation affirme que le décès du majeur ne peut délier le juge des tutelles de cette compétence précise car cela reviendrait à faire peser un aléa (le décès) sur l'octroi d'une indemnité qui serait due sous conditions.

LE PRAGMATISME DE LA COUR DE CASSATION :

L'indemnité exceptionnelle, comme son nom l'indique, est une indemnité complémentaire de la rémunération du Mandataire judiciaire qui est versée uniquement lorsque celui-ci justifie de diligences exceptionnelles.

En effet, l'exercice d'une mesure de protection diffère selon les personnes.

Une personne placée et prise en charge en EPHAD ne nécessite pas la même organisation qu'une personne vivant à domicile et bénéficiant d'un service d'aides à domicile 24h/24.

L'inventaire du patrimoine d'une personne protégée sans bien immobilier ne nécessite pas le même travail que l'inventaire d'un patrimoine immobilier dispersé dans différents territoires y compris à l'étranger.

Bref, tout ce qui est considéré comme exceptionnel et non habituel dans l'exercice d'une mesure de protection peut justifier l'octroi d'une indemnité exceptionnelle par le juge des tutelles. 

Il appartient toutefois au Mandataire d'en justifier. La rémunération est fixée selon le temps passé pour exercer ces diligences exceptionnelles et selon un tarif horaire libre (entre 50 et 100 euros par heure).

Le Mandataire doit soumettre sa demande au juge des tutelles qui ne rend sa décision d'octroyer ou non cette indemnité, qu'après avoir consulté le Procureur de la République, comme l'impose l'article 419 précité.

Cette indemnité ne devient donc qu'une créance définitive dès lors qu'elle est autorisée par ordonnance du juge des tutelles après avis du Procureur de la République.

Souvent, le juge des tutelles qui accorde cette indemnité peut en modifier le montant à la baisse, ce qu'il ne se prive rarement de faire.

Ainsi, en maintenant la compétence du juge des tutelles après le décès du majeur protégé pour accorder cette indemnité, la Cour de Cassation comble un vide juridique.

Si le décès du majeur mettait fin à la compétence du juge des tutelles, comme le soutenait la Cour d'Appel, alors le Mandataire ne pourrait pas faire valoir une créance auprès du notaire de la succession puisque précisément ce n'est pas une créance considérée comme telle.

L'absence de validation du juge des tutelles et du Procureur de la République en raison du décès, empêchait le Mandataire judiciaire de se prévaloir d'un titre incontestable.

Le notaire de la succession avait pour sa part raison de refuser d'enregistrer la demande du Mandataire comme dette de la succession dans la mesure où cette indemnité n'était pas automatique et devait être étudiée pour être accordée ou partiellement accordée, compétence du seul juge des tutelles.

Pour ne pas d'un côté pénaliser les Mandataires judiciaires de se voir priver d'une juste rémunération et de l'autre faire peser sur le notaire une compétence qu'il ne pouvait avoir (comment le notaire pouvait-il vérifier la réalité et la légitimité des diligences exceptionnelles réclamées par le mandataire?), la Cour de Cassation a rendu une décision pragmatique.

Cette décision garantit la sécurité juridique des parties :

-  à l'égard du mandataire qui pourra se prévaloir d'une créance incontestable via une ordonnance du juge des tutelles, qui sera donc inscrite comme dette de la succession à régler par les héritiers;

- et à l'égard des héritiers qui seront assurés d'une validation de diligences exceptionnelles par le juge des tutelles et donc d'une dette claire et incontestable de la sucession du majeur décédé.

On ne peut que se féliciter d'une décision qui allie le respect des règles juridiques et la nécessité de pragmatisme dans une matière complexe qu'est celle de la protection des majeurs.

 

Arrêt de la Cour de Cassation du 15/01/2020 : 

https://juricaf.org/arret/FRANCE-COURDECASSATION-20200115-1822503

 

Vous avez une question ?
Blog de La Tutelle et Vous

Thierry ROUZIÈS

240 € TTC

26 évaluations positives

Note : (5/5)

Posez gratuitement toutes vos questions sur notre forum juridique. Nos bénévoles vous répondent directement en ligne.

1 Publié par PR-LSM
15/10/2020 16:47

Maître,

Bonjour,

1 - Pas sur que cela règle grand chose dans la mesure où le curateur - ou tuteur - adjoint est absent du champ de la rémunération légale. Or, la perception d'émoluments exceptionnels ne peut intervenir que dans le cas où la rémunération "classique" a été insuffisante et cette dernière ne concerne donc qu'un tuteur ou curateur "à temps plein" (sic).

2 - La Dgcs prend bien en compte ces mesures "adjointes" en cotation de points dans le cadre des documents - et discussions - budgétaires avec les SMJPM, mais cela est tout.

3 - N'a par exemple jamais été réglée l'hypothèse où deux smjpm sont nommés curateurs adjoints pour une même personne, quid de la participation financière légale, et donc de son éventuelle répartition? Sans même alors parler d'émoluments exceptionnels.

Bravo pour votre travail.

Cdt.

PR

2 Publié par TR Avocat
21/10/2020 11:21

Bonjour et un grand merci pour votre commentaire. Je prends bonne note de ces spécificités. J'imagine que vous êtes MJPM? où exercez vous?

Bien cordialement

Me Thierry Rouziès

3 Publié par EFA75
01/02/2021 13:37

Bonjour Maitre,

Le tuteur a-t-il l'obligation d'informer les héritiers du décès de la personne protégée? Ou est-il obligé de respecter les volontés du défunt qui apparemment a demandé que personne ne soit prévenue?
Merci

4 Publié par MMJPM
23/03/2021 21:23

Bonjour Maître,

Merci pour cet arrêt intéressant.

MJPM, j'ai demandé une taxation exceptionnelle auprès du juge après le décès du majeur (curatelle renforcée) et une ordonnance du juge m'a autorisé à percevoir la somme. j'ai adressé la demande au notaire en charge de la succession, avec la copie de l'ordonnance pour paiement. Le notaire n'a pas voulu traiter la demande et a renvoyé à l'héritière. Après plusieurs relances, il m'indique que maintenant la succession est clôturée (un peu moins de 6 mois après décès) et sous-entendu qu'il ne me règlera pas.

Publier un commentaire
Votre commentaire :
Inscription express :

Le présent formulaire d’inscription vous permet de vous inscrire sur le site. La base légale de ce traitement est l’exécution d’une relation contractuelle (article 6.1.b du RGPD). Les destinataires des données sont le responsable de traitement, le service client et le service technique en charge de l’administration du service, le sous-traitant Scalingo gérant le serveur web, ainsi que toute personne légalement autorisée. Le formulaire d’inscription est hébergé sur un serveur hébergé par Scalingo, basé en France et offrant des clauses de protection conformes au RGPD. Les données collectées sont conservées jusqu’à ce que l’Internaute en sollicite la suppression, étant entendu que vous pouvez demander la suppression de vos données et retirer votre consentement à tout moment. Vous disposez également d’un droit d’accès, de rectification ou de limitation du traitement relatif à vos données à caractère personnel, ainsi que d’un droit à la portabilité de vos données. Vous pouvez exercer ces droits auprès du délégué à la protection des données de LÉGAVOX qui exerce au siège social de LÉGAVOX et est joignable à l’adresse mail suivante : donneespersonnelles@legavox.fr. Le responsable de traitement est la société LÉGAVOX, sis 9 rue Léopold Sédar Senghor, joignable à l’adresse mail : responsabledetraitement@legavox.fr. Vous avez également le droit d’introduire une réclamation auprès d’une autorité de contrôle.

A propos de l'auteur
Blog de La Tutelle et Vous

Me Thierry Rouziès, Avocat au Barreau de Paris depuis 1999, est expert en Droit de la Protection des Majeurs. Il conseille et assiste tant des particuliers que des Professionnels (MJPM).

Consultation en ligne
Image consultation en ligne

Posez vos questions juridiques en ligne

Prix

240 € Ttc

Rép : 24h max.

26 évaluations positives

Note : (5/5)
Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux et sur nos applications mobiles