Je sais que je dois débuter cette chronique par une citation de Confucius "[l]a plus grande gloire n'est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque chute" ou encore de Nelson Mandela "je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j'apprends", mais que cela fait du mal tout de même d'essuyer un échec, surtout quand on mérite de réussir.
Précédemment, je décrivais la réussite de différents étudiants de Sup Barreau que j'ai suivi durant une année entière...https://www.legavox.fr/blog/mikael-benillouche/chronique-prepa-crfpa-comment-vont-24307.htm
Mais il y en a d'autres et non des moindres qui n'ont pas réussi et je n'ai pas eu les mots pour les aider. Au delà des statistiques, ces échecs m'ont profondément affecté, énervé et agacé.
"OMAR M'A TUER"
Jeux de mots facile n'est-ce pas ? Omar c'était certainement mon meilleur étudiant. C'est un pénaliste. C'est un peu le fils spirituel. C'est un homme bien, loyal, honnête et droit. Il s'est battu pour réussir son examen. Régulièrement, je surveillais ses copies, supervisais son travail. Je nourrissais de grands espoirs dans sa réussite. Serein, j'avais l'impression que sa réussite ne poserait aucune difficulté. Il a énormément travaillé. Il a quelques lacunes en droit des obligations bien sûr, largement compensées par une maîtrise de la matière pénale assez rare à son âge.
Il fédérait les étudiants autour de lui, leur prodiguait des conseils, les aidait régulièrement à comprendre les notions les plus complexes (nullités de l'instruction ou corruption par ex.).
Il ne l'a pas eu, je n'ai pas compris, c'est illogique. Il a du mal à s'en remettre. Il veut se venger, revenir et il aura son examen, ce n'est pas possible...
J'AI ASSASSINE BEE
Dans ma carrière, j'en ai rencontré des gens formidables, Bee fait partie de ceux-là. Bee et moi, c'est une histoire de rendez-vous manqués avant cette année. Elle s'est inscrite à la Prépa et je l'ai suivie du début à la fin. Elle a travaillé d'arrache-pied avant la Prépa, elle a tout donné. Tous les soirs, durant les épreuves, nous faisions le point, cela devait être juste, mais ça devait passer. Elle passait l'examen dans un IEJ où les pénalistes réussissent peu. Et elle ne l'a pas eu. J'ai pris sur moi une initiative, c'est moi qui lui ai annoncé ses résultats. C'était terrible, horrible, traumatisant.
Pour vous situer le personnage, Bee c'est une personne qui est capable de venir te voir juste après que tu lui aies annoncé qu'elle n'a pas eu son examen et qui plante son regard dans tes yeux et te demande comment tu vas. Je ne vais pas bien Bee, je suis tellement désolé, j'étais tellement persuadé de t'annoncer une bonne nouvelle. Il va falloir que tu y retournes tu sais ?
J'AI ETE LE POURVOYEUR DE FAUX ESPOIRS
Ah Frère Tuc, mon publiciste, ma grande rencontre de cet été : que de souvenirs improbables avec lui, de discussions autour de la pédagogie. C'est que voyez-vous Frère Tuc a un problème avec l'autorité, mais il suffit de le convaincre finalement. Il n'aime pas trop la condescendance. Bon, Frère Tuc est brutal en droit, c'est donc logiquement qu'il a été admissible au CRFPA.
Le 7 novembre, il a passé son GrandO, dans un grand IEJ parisien. Juste après, il m'appelle son plan tient bien la route. Il s'agissait de commenter un arrêt de la Chambre criminelle. Il a été réactif et pertinent concernant les questions. Tout s'annonçait bien. En évaluant sa performance, je tablais soit sur un 9, soit sur un 16/20. C'est que Frère Tuc peut agacer. Quelques jours auparavant, je lui avais fait passer une simulation du GrandO en tête-à-tête et j'ai essayé de l'assassiner. Il a eu droit à un florilège : entre des questions sur l'histoire constitutionnelle de France, la Grèce des colonels et mon café qui s'est renversé, j'ai essayé - sans y parvenir - de le désarçonner.
Bref, Frère Tuc allait avoir son examen. Le 1er décembre, tout était prévu. Après mes cours, je comptais aller le rejoindre pour fêter cela autour d'un verre. Il m'a appelé, il avait 6/20. Il n'a pas eu son examen. je n'ai pas été le seul surpris. Tout le monde pensait qu'il faisait une blague. Ce n'était pas une blague. Ses notes ont été vérifiées ! Il ne l'a pas...
Frère Tuc est impressionnant, il se relève déjà, il a hâte d'en découdre à nouveau...
LA GENERATION "CRASH TEST"
Pourquoi raconter ces histoires plutôt que d'autres ? Je ne sais pas, je pense que ce sont les plus marquantes, les plus blessantes et surtout que je n'arrive pas à les réconforter mes petits. Bien sûr, j'ai parlé de mes propres défaites, mon premier échec au CRFPA, mes deux "ratés" à l'agrégation et je leur ai dit, montré que l'on pouvait les surmonter...ensemble. Mais je trouve cela injuste.
Je sais ce que j'encours en écrivant ces propos. Déjà, les Profs grincheux de certains IEJ vont à nouveau prendre leur plume acerbe pour critiquer. Savent-ils qu'ils se gargarisent de la réussite de nos étudiants ? Ensuite, il y a les défenseurs de la réforme avec lesquels il est tout de même possible de dialoguer. Enfin, il y a ces "collègues" réduits à un silence coupable alors même qu'ils bénéficient d'une liberté de ton inhérente à leur indépendance constitutionnellement garantie.
L'examen national devait être plus juste. Or, IL N'EN EST RIEN ! Les grilles de correction ont été suffisamment critiquées pour ne pas y revenir. Certains correcteurs s'en sont manifestement émancipés. Pourquoi ne pas croiser les corrections d'un IEJ à l'autre ? Les disparités n'ont absolument pas été gommées - bien au contraire - elles se sont creusées. Et que dire des oraux ? Ils sont nécessairement inégaux. Quels sont précisément les critères d'exigence ? Pourquoi ne pas avoir nationalisée cette partie de l'examen ?
Il est impératif d'aller plus loin, il en va de la crédibilité d'une profession qui cette année est passée à côté d'Omar, de Bee, de Frère Tuc et de tant d'autres qui auront été de merveilleux avocats. Et qui le seront...dans un an ! Cela ressemble à un serment !!!