L'ANPAA délaisse le TGI de Paris pour le Jury de Déontologie Publicitaire?

Publié le Modifié le 05/11/2019 Vu 1 539 fois 0
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Une évolution de la stratégie judiciaire de l'ANPAA

Une évolution de la stratégie judiciaire de l'ANPAA

L'ANPAA délaisse le TGI de Paris pour le Jury de Déontologie Publicitaire?

Le Jury de Déontologie Publicitaire a publié le 26 janvier dernier deux décisions qui prononcent la non-conformité des publicités Grey Goose et Martini Royale avec la recommandation « Alcool » de l'ARPP (ex BVP).

Ces décisions ont été saluées aujourd'hui par un communiqué de presse de l'ANPAA.

Ce recours, inédit, au Jury de Déontologie Publicitaire, et les deux décisions posent des questions mais sont dans tous les cas riches d'enseignements.

A/ La nouvelle stratégie de l'ANPAA

Alors que le Jury de Déontologie Publicitaire a été créé en juin 2008, et n'avait rendu depuis lorsqu'une seule décision (sur 290) suite à la plainte d'un particulier sur la conformité à la Recommandation Alcool d'une publicité pour une boisson alcoolisée (en 2009), cette instance de régulation vient d'avoir à examiner, coup sur coup, deux plaintes de l'ANPAA dirigées contre des publicités.

Dans le communiqué de presse publié ce jour pour se féliciter des deux décisions rendues en sa faveur, l'ANPAA annonce que si jusqu'à présent elle se tournait exclusivement vers les tribunaux pour faire valoir les abus constatés, son but premier est d'obtenir la construction d'une jurisprudence visant à définir les contours de la Loi Evin et que la saisine du Jury de Déontologie Publicitaire lui est apparue comme étant une opportunité, alternative, mais néanmoins complémentaire du volet judiciaire de son activité dans les cas où les faits constatés font l'objet d'une jurisprudence constante.

De quelle opportunité s'agit-il ? Il parait même étonnant que jusqu'à présent l'ANPAA n'est jamais saisi cette « opportunité ».

Ne serait-ce pas des raisons plus prosaïques et financières liées au coût des actions judiciaires ? Une action judiciaire coûte de l'argent, quel que soit le résultat, et si l'ANPAA n'obtient pas gain de cause, ce qui est déjà arrivé à plusieurs reprises notamment récemment, elle supporte seule les frais engagés par elle et peut se voir en outre condamnée à payer une indemnité à la partie ayant eu gain de cause.

Devant le Jury de Déontologie Publicitaire, point de tels coûts. Et si la plainte est jugée non fondée, pas d'indemnité à verser au titre des frais de justice. Au surplus, les recours contre les décisions du Jury sont effectués sous forme d'une demande en révision.....devant le même Jury. Là encore pas de coût à supporter.

Dans tous les cas, ce soudain intérêt pour le Jury de Déontologie Publicitaire comporte plusieurs enseignements intéressants :

- La reconnaissance de la valeur des engagements déontologiques. Le Jury ne jugeant que par rapport aux engagements déontologiques, s'adresser au Jury signifie que ce qui est dans la déontologie est en conformité avec la Loi Evin. On ne pouvait en douter mais avec cette reconnaissance, la valeur des engagements est renforcée.

- Cette reconnaissance donne aussi des devoirs, c'est-à-dire que ces engagements font partie du corpus de règles à respecter.

- La multiplication des moyens de recours de l'ANPAA ne fait que renforcer l'instabilité des producteurs et des distributeurs.

La suite nous montrera si l'ANPAA persiste dans cette voie.

Pour lire le communiqué de presse :

http://www.anpaa.asso.fr/espace-presse/539-publicite-alcool-anpaa-decisions-arpp?format=pdf

B/ La décision GREY GOOSE

Le Jury de Déontologie Publicitaire, sur plainte donc de l'ANPAA, vient de considérer que la publicité GREY GOOSE « Fly Beyond » diffusée notamment dans la presse, n'est pas conforme aux dispositions de la Recommandation Alcool de l'ARPP.

Pour lire cette recommandation: http://www.arpp-pub.org/IMG/pdf/Recommandation_Alcool.pdf

Selon le Jury, cette publicité contrevient aux dispositions concernant le contenu du message publicitaire.

La traduction de « Fly beyond » par « s'envoler au-delà », retenue par la société Bacardi Martini France sur sa publicité, est expliquée par elle comme étant une référence à l'origine du produit, créé par un américain qui a décidé de faire fabriquer une vodka dans une région de France réputée pour son cognac, ainsi qu'au caractère d'exception de celle-ci.

Pour le Jury, « ce slogan appliqué à une boisson alcoolisée induit nécessairement une association à l'idée de voyage et, plus encore, à celle de dépassement de limites, qu'elles soient physiques, sensorielles ou psychologiques. Cette interprétation est renforcée par la représentation de l'oie qui traverse le O de « beyond » qui est représentée dans une position diagonale la tête orientée vers le haut, c'est-à-dire dans une position d'envol, et est visuellement située au-dessus du groupe formé par les autres oies, dont il se détache nettement, dans un ciel dépourvu de limites.

Les explications apportées, qui rattachent le slogan au voyage du créateur du produit et à son ambition d'exception, ne sont pas de nature à retirer aux termes du slogan l'imaginaire induit naturellement par leur sens littéral et qui est en l'espèce renforcé par le visuel précédemment décrit.

Il ne peut, dans ces conditions, être admis que ce slogan se rattache seulement à l'origine du produit dans son sens historique ni à sa composition (blé et eau). En conséquence il ne respecte pas les dispositions de l'article 3 de la Recommandation et particulièrement celles des points 3/1 et 3/1.3. De plus, en induisant l'idée que la vodka promue permet le dépassement de limites, le slogan et le visuel ne respectent pas les dispositions de l'article 1/1 de la Recommandation Alcool. »

Enfin le Jury balaye les éléments avancés à titre de défense qui faisaient valoir que la publicité incriminée se réfère dans ses éléments visuels à la marque Grey Goose, qu'elle n'encourage pas littéralement à une consommation excessive ou en grande quantité et que le prix du produit serait de nature à limiter les excès.

Il n'y a pas de sanction prononcée à proprement parler, simplement le Directeur général de l'ARPP doit prendre toutes mesures de nature à assurer le non renouvellement de la diffusion de cette publicité.

Pour lire la décision et voir le visuel :

http://www.jdp-pub.org/GREY-GOOSE-Presse.html

C/ La décision MARTINI ROYALE

Décidément très remontée contre la société Bacardi Martini, l'ANPAA l'a par ailleurs assignée pour une publicité diffusée pour la marque MARTINI ROYALE sur le site internet de la marque.

La publicité mise en cause présente sur un fond noir la bouteille de Martini Royale Bianco, qui, comme si elle venait d'être posée brutalement sur un support recouvert d'une couche d'eau, est entourée d'éclaboussures et de jaillissements, parmi lesquels on peut voir des glaçons, des tranches de citron vert et des feuilles de menthe. De part et d'autre de la bouteille sont posés deux verres remplis de la boisson sur un lit de glaçons, de feuilles de menthe et de zestes de citron vert.

Ce visuel est accompagné d'une accroche, en haut de l'annonce : « ROYALE - The Fresh cocktail déjà prêt » d'une autre en bas de l'affiche « C'est tout » suivi de la marque « MARTINI » et en tous petits caractères, tout au bas de la page, « L'appellation du cocktail Martini Royale est une référence à la Maison Royale d'Italie qui autorisa l'apposition de son blason sur la bouteille Martini ».

Sur un premier point et le terme « fresh », le Jury rejette la demande de l'ANPAA, en faisant valoir que « l'usage de la langue anglaise pour une mention figurant dans une publicité faite en France, n'est pas interdit dès lors que la mention considérée est traduite en français, ce qui est le cas en l'espèce. Par ailleurs, si l'expression « c'est frais », ou le simple adjectif « frais » sont actuellement communément utilisés par les jeunes pour désigner les personnes, les choses, les tenues, ou les événements à la mode et démonstratifs d'une certaine aisance matérielle (?), cet état de fait ne saurait conduire à empêcher l'utilisation de l'adjectif « frais » pour une boisson qui, pour être consommée de façon optimale, doit l'être à très basse température. Or, les mentions relatives au mode de consommation figurent parmi les mentions autorisées par la réglementation, en particulier l'article L.3323-4 du code de la santé publique. Par ailleurs, la construction du slogan « The fresh cocktail déjà prêt » pour moitié en anglais est certes de nature à appeler l'attention du consommateur de façon ludique, mais cette mention demeure informative sur la nature prête à consommer de la boisson qui doit être portée à basse température et demeure dans les limites l'information objective. » De même le Jury refuse le parallèle fait par l'ANPAA avec la décision de la cour d'appel de Paris qui en 2008 avait jugé que le slogan « for a fresher world », traduit par « Pour un monde plus frais », n'avait pas trait aux qualités gustatives ou au mode de consommation du produit vanté, mais à son effet supposé sur le monde, alors qu'une telle allégation n'est pas formulée en l'espèce.

Enfin, les mentions « 150 » et « C'est tout » toutes deux inscrites en lien avec la marque « Martini » rappellent la marque, ce qui fait partie des mentions autorisées par l'article L. 3323-4 susvisée et par la Recommandation Alcool.

Par contre, sur l'utilisation du terme Royale, comme référence à la Maison Royale d'Italie qui autorisa l'apposition de son blason sur la bouteille Martini , s'il a fait l'objet d'un dépôt de marque qui valide son utilisation par rapport à la recommandation Alcool, « la mention selon laquelle « l'appellation de cocktail Martini Royale est une référence à la Maison Royale d'Italie qui autorisa l'apposition de son blason sur la bouteille de Martini » n'apporte aucune information objective sur l'origine de la boisson mais seulement sur les raisons qui ont présidé au choix de sa dénomination. En outre ces mentions ne peuvent être raisonnablement regardées comme des informations sur la composition du produit. Enfin, reprenant une des marottes de l'ANPAA et des juges, le Jury considère que cette mention valorisante est de nature à conduire le consommateur à imaginer qu'acheter, offrir ou boire le « Martini Royale » pourrait lui permettre d'accéder à une forme de supériorité sociale. »

Sur l'ensemble du visuel enfin la mise en valeur de la bouteille de couleur dorée, avec des jaillissements et des éclaboussures, évoque clairement une ambiance de fête et de célébration. Pour le Jury, il n'y a pas là de référence au mode de consommation du produit mais mise avant de l'idée que la boisson Martini Royale est liée à la joie et à la fête.

Il faut préciser que pour l'ANPAA, la surbrillance de la mention « Royale » épelée par des points lumineux a pour but d'éveiller l'attention du consommateur et suggère de surcroît une atmosphère festive, les points lumineux pouvant être assimilés à un éclairage de spectacle, de fête.

Pour lire la décision et voir le visuel :

http://www.jdp-pub.org/MARTINI-ROYALE-Internet.html

D/ Les enseignements tirés de ces deux décisions

Reprenant un processus d'analyse largement appliqué par les juges judiciaires, le Jury traque donc ici le second sens induit à la fois dans un visuel et dans les termes employés.

Il est aussi intéressant de constater que le Jury estime sans valeur les explications/justifications données dans le visuel GREY GOOSE, et pourtant portées à l'attention du spectateur de manière visible et non par un renvoi en tous petits caractères.

Sur un simple plan juridique, on ne peut que regretter la relative légèreté des motifs sur le visuel MARTINI ROYALE qui pourraient s'appliquer au final à bon nombre de visuels publicitaires.

En tout état de cause ces deux décisions ne modifient en rien le risque supporté par les annonceurs quant au caractère très subjectif des analyses et ne font que renforcer l'insécurité lié à l'interprétation, au choix, des principes déontologiques et/ou du Code de la Santé Publique.

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