La création de logo à l'épreuve du droit de la propriété intellectuelle

Publié le 07/11/2022 Vu 2 358 fois 0
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En 2022, il est impossible d'avoir moins de neuf logos dans un périmètre de trois mètres.

En 2022, il est impossible d'avoir moins de neuf logos dans un périmètre de trois mètres.

La création de logo à l'épreuve du droit de la propriété intellectuelle

En 2022, il est impossible d'avoir moins de neuf logos dans un périmètre de trois mètres. Et pourtant, le régime juridique de la création de logos semble méconnu, tant du grand public que des professionnels sollicitant leur élaboration, voire des graphistes débutants qui confectionnent des identités graphiques en dehors de tout cadre. Afin de faire la lumière sur ce domaine spécifique, nous avons rencontré Cédric Poquelin, ancien juriste et aujourd'hui dirigeant de l'agence de brand design Ludas Fawks Pictures.

Titulaire d'une maîtrise en droit privé et d'une maîtrise en droit judiciaire, Cédric Poquelin met à profit son expérience de juriste dans le monde du design.

La création de logos est-elle exempte du champ des droits d'auteur ?

Non, absolument pas. Bien au contraire. L'article L.111-1 du Code de la propriété est d'ailleurs très permissif, car, dès lors où vous créez quelque chose, vous êtes immédiatement titulaire de droits d'auteur sur cette conception. Bernard Edelman (Que Sais-je, PUF, juin 2008) donne une définition non exhaustive des œuvres entrant dans le domaine des droits d'auteurs en soulignant qu'il s'agit "d'une création caractérisée par un travail intellectuel libre et s'incarnant dans un forme originale". Et les logos n'en sont donc pas écartés. Que vous soyez un graphiste débutant, confirmé, ou même un néophyte gribouillant un pictogramme sur une serviette de restaurant, ces dispositions vous confèrent des droits moraux et patrimoniaux sur la création, et ce en dehors de toute considération esthétique de celle-ci, et surtout sans formalité particulière.

Le droit moral sur une œuvre est perpétuel, incessible, inaliénable et imprescriptible. On peut aisément le voir comme une prérogative de notoriété, car il permet de donner à l'auteur et à ses héritiers un droit de divulgation, de retrait, de paternité ou de respect de l'intégrité d'une production. Pour illustrer ce droit, nous savons que Mona Lisa est attribuée à Léonard de Vinci, qui restera à jamais l'auteur de ce tableau auquel personne n'est en droit d'apporter de modifications, pas même le Louvre de Paris qui en est aujourd'hui le détenteur. Si on en revient au logos, le Swoosh de Nike est quant à lui attribué à la graphiste Carolyn Davidson, et la marque ne peut pas non plus lui retirer cette paternité, ni modifier le logo sans son accord.

Concernant les droits patrimoniaux, ils encadrent quant à eux l'exploitation, la représentation et la reproduction de l'œuvre. Ils sont donc des droits pécuniaires qui, à l'inverse des droits moraux, ne sont pas perpétuels : ils s’éteignent soixante-dix ans après la mort de l'auteur, qui est le délai après lequel l'œuvre tombe dans le domaine public.

Pensez-vous que le champ juridique entourant la création de logos est un domaine clair pour les professionnels ?

Non, pas encore. Pourtant, dans le domaine de l'art ou de la musique, la notion de droit d'auteur est plus facilement admise. La difficulté concernant l'univers des logos tient à la mauvaise compréhension des droits d'auteur que peut avoir le grand public. Il y a beaucoup d'artisans, par exemple, qui n'hésitent pas à produire et vendre des gâteaux ou des produits faits à la main, mais siglés avec des personnages ou logos tirés d'une licence comme Marvel ou encore Harry Potter. Ce procédé est totalement illégal. Le problème vient alors de cette pensée que tout est en libre accès. La création de logos est une production qui peut donc apparaître comme étant antiéconomique pour le client, qui pense qu'en payant les services d'un prestataire pour élaborer son identité graphique, il en deviendra alors pleinement propriétaire et pourra le dupliquer sur tous supports et y apporter les modifications ultérieures qu'il souhaite. Mais ce n'est pas si simple et cela contrevient aux règles juridiques que nous avons abordées. 

Lorsque nous achetons un CD ou un Blu-Ray, nous sommes, certes, propriétaires du média, mais nous ne sommes pas détenteurs des masters et des samples originaux qui appartiennent aux labels et maisons de disque. Bien qu'ayant payé ce CD, nous ne pouvons pas légalement le dupliquer ni modifier ses arrangements musicaux sous peine d'entrer sous l'égide du délit de contrefaçon (Art. L122-4 du Code de la propriété intellectuelle). Nous ne pouvons pas non plus reprendre des morceaux musicaux pour en fabriquer un autre et le diffuser en notre nom. Et bien il en va de même pour les logos qui ne sont pas la propriété du commanditaire, mais bien celle des artistes qui les ont conçus et qui jouissent donc de droits moraux et patrimoniaux sur ces derniers. Le client doit garder à l'esprit que ce qu'il paye est l'expertise du designer graphique, son temps de recherche artistique ainsi que son expérience dans la maîtrise des logiciels, et qu'il n'est alors propriétaire que du droit d'utiliser ce logo, et sous certaines conditions. D'ailleurs, certains graphistes pensent pouvoir concéder une propriété artistique au client, sauf qu'une convention qui irait en ce sens n'aurait aucune valeur juridique, car l'artiste ne peut pas se déposséder d'un droit moral qui est incessible.

Croyez-vous que le droit pourrait mieux protéger la création de logos ?

En l'état, il a déjà l'ambition de le faire. Les dispositions de l'article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle entendent sanctionner le délit de contrefaçon, en précisant à ce titre que «Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit est illicite et punie selon les lois relatives au délit de contrefaçon. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.». Mais, en tant que juristes, nous savons que c'est toujours le respect, l'application et la bonne tenue des sanctions d'un manquement au droit qui peuvent freiner les ambitions du législateur. Avec la sur présence d'internet, des smartphones et des réseaux sociaux, il suffit de télécharger une image sur Google, d'y ajouter un texte, et de la publier pour contrevenir aux dispositions citées. Et cette pratique est faite des millions de fois par jour, partout dans le monde. 

Le problème ne vient pas du droit, mais de la méconnaissance ou de la non-prise en compte de ce dernier couplé à la facilité d'accès à des procédés de duplication, sans consentement de l'auteur, et avec ce sentiment d’impunité qui plane de façon quasi constante sur internet. D'ailleurs, ce n'est pas l'industrie de la musique qui pourra dire le contraire et qui a été contrainte de se plier à cette tendance en se positionnant sur les plateformes de streaming. 

Aujourd'hui, si je poste un logo sur Instagram, absolument rien ne peut physiquement empêcher un tiers, de France ou d'ailleurs, de dupliquer ce logo et de l'utiliser pour les besoins de son activité. 

Le vol de propriété intellectuelle est-il courant dans le domaine de la création de logos ?

Oui, malheureusement. Chaque créatif prend le risque de se faire voler ses idées en les diffusant sur le net. Et, dans le secteur de la création de logos, le vol peut venir des deux côtés : il peut provenir d'un graphiste concurrent ou en quête d'inspiration qui se livrerait au plagiat pur et simple, ou il peut venir d'un client qui n'a tout simplement pas payé les productions, et qui les utilise malgré tout. 

Qu'est ce qui, selon vous, pourrait renforcer la protection des logos ? 

Cette protection doit, en premier lieu, se faire en interne, auprès du graphiste qui doit avoir une compréhension claire des enjeux mis en avant par le Code de la propriété intellectuelle. Il doit donc impérativement avoir des CGV (Conditions Générales de Ventes) encadrant la création et l'utilisation de ses logos, et il ne doit surtout pas brader ses intérêts patrimoniaux par peur de perdre un client qui voudrait un logo au rabais. La maîtrise de la question des droits d'auteur doit donc faire partie intégrante de son expertise, à la fois afin de pouvoir faire preuve de pédagogie face à des clients qui pourraient ne pas admettre ces notions, mais surtout pour véhiculer la déontologie et le sérieux du métier.

Le métier de graphiste étant une profession non réglementée, il n'existe pas d'ordre professionnel instaurant des cadres ni de règles régissant son exercice. Aujourd'hui, n'importe qui sachant utiliser des logiciels peut s'enregistrer en tant que graphiste, démarcher des clients et réaliser des logos. Mais, sans la prise en compte des règles voulues par le législateur, c'est bien la crédibilité de la profession qui tombe en désuétude. Pire encore, un graphiste sans cette culture et ce respect du droit d'auteur pourrait engendrer des catastrophes en cascade. Ce serait le cas d'un jeune graphiste qui n'aurait pas de scrupule - et nous le voyons souvent - à bricoler deux ou trois icônes trouvées sur le net (et appartenant à d'autres artistes), pour fabriquer un logo afin de le facturer à un client qui pensera, de surcroît, en être pleinement propriétaire en méconnaissance totale des intérêts des auteurs initiaux, qui seront manifestement lésés. 

Il est donc vital que ces règles soient acquises par les graphistes afin d'être admises des clients qui, eux aussi, trouveront une protection et une légitimité juridiques dans un contrat de cession de droit d'auteur valablement établi.

Les nouvelles technologies pourraient-elles protéger plus efficacement les droits d'auteur sur le logo ?

La question est ardue, car cette protection des droits d'auteur est liée à l'établissement de la preuve de la paternité de l'œuvre. Cette preuve est indépendante de la date du dépôt (à l'INPI ou ailleurs) qui est lui-même un mode de preuve. Ainsi, même si vous êtes le créateur d'un logo, mais qu'on vous vole son élaboration et qu'on la dépose, vous serez dans la délicate position de devoir prouver (et dater) le dessin originale avec un fichier qui reste volatile.

Concernant les nouvelles technologies, les NFT représentaient un élan porteur sur la protection de la propriété intellectuelle, en permettant l'unicité et la non-fongibilité de quelque chose initialement immatériel et duplicable à l'infini. Néanmoins, les conflits sur la paternité d'une œuvre persistent ici aussi et on retrouve cette dualité entre date de conception et date de dépôt : nombreux artistes ont vu leurs œuvres être transformées en NFT sans leur consentement, et vendue à prix d'or sans qu'ils ne touchent quoi que ce soit. Il faudra donc attendre ce qu'aura à proposer l'avenir d'internet, que les avant-gardistes appellent déjà "le web 3.0".

Visiter le site de l'agence de Cédric Poquelin.

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