Vers un système accusatoire de type anglo saxon

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Vers un système accusatoire de type anglo saxon

Nicolas Sarkozy a annoncé lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation qu’il allait lancer une “réforme en profondeur” de la justice pénale pour aboutir à une procédure “plus soucieuse des libertés, plus adaptée aux évolutions de la police technique et scientifique”.La principale mesure voulue par le président de la République consiste en la suppression du juge d’instruction qui céderait sa place “à un juge de l’instruction qui contrôlera le déroulement des enquêtes mais ne les dirigera plus”. Le chef de l’Etat estime en effet que “le respect des libertés individuelles” n’est plus “suffisamment” garanti dans le secret des cabinets d’instruction.

Comme pendant à cette réforme, il propose la suppression du secret de l’instruction, “une fable à laquelle plus personne ne croit” pour le remplacer par un “secret de l’enquête avec comme seule limite de renforcer la communication du parquet afin de (…) démentir les informations fausses” destinées à “nuire”.

“Je pense qu’il est possible d’aborder toutes ces questions avec le souci d’un dispositif équilibré et pleinement contradictoire. C’est la prise en compte d’un réel débat contradictoire dès l’origine du procès qui nous donnera les voies et moyens d’un véritable habeas corpus à la française”, a souligné Nicolas Sarkozy qui s’est revendiqué de par son parcours comme “un membre à part entière de la famille judiciaire”.

Enfin, le chef de l’Etat s’est élevé contre une “pénalisation excessive de notre droit” et a appelé de ses voeux de “faire de la diffamation un droit de la réparation civile”.

Ces mesures, si la grogne des uns ou des autres n’y met pas obstacle, mettra ainsi fin à un vieux diction, attribué à Napoléon, selon lequel “le Juge d’Instruction est l’homme le plus puissant de France”.

En effet, en 2002 comme en 1802, le Juge d’Instruction, saisi certes par le Parquet ou par une constitution de partie civile, peut mettre en examen à peu près qui il veut et quand il veut, pour peu qu’il existe des embryons de charges ou des présomptions lui permettant de le faire.

Et comme le “secret de l’instruction”, comme le dit M. SARKOZY, est une fable à laquelle plus personne ne croit, la “personne mise en examen” (anciennement appelée “l’inculpé”, ce qui ne change pas grand chose) sera du jour au lendemain jetée en pâture à ses voisins, ses amis, ses supérieurs, etc.., comme un délinquant présumé.

Le langage des journalistes a en effet ceci de particulier que, pour tenter de respecter la présomption d’innocence, ils n’ont pas trouvé mieux que d’utiliser les termes de “présumé criminel” au lieu de “présumé innocent” en appelant tel ou tel “mis en examen” d’ “auteur présumé” des faits objet de la poursuite.

Et comme en France “il n’y a pas de fumée sans feu”, que “qui a bu boira”, et que “tel père tel fils”, il n’y aura qu’un tout petit pas à franchir pour désigner comme présumé coupable celui qui devrait être présumé innocent.

Dans ce système perverti, le rôle du Juge d’Instruction a été au coeur du problème.

Etant indépendant, puisque Magistrat du siège et donc inamovible, le Juge d’Instruction a toujours pris soin de souligner qu’il n’obéissait à personne, et que les réquisitions du Parquet n’avaient que la valeur qu’il voulait bien leur donner. Très bien. Mais l’effet pervers, c’est que du coup, lorsque le Juge d’Instruction met en examen un quidam quel qu’il soit, ce dernier est d’ores et déjà considéré comme “à demi coupable” (comme on dirait d’une femme à demi vierge).

Et alors va s’ouvrir une guerre de tranchées entre le Juge et l’avocat de la défense, ce dernier étant considéré comme un empêcheur de juger en rond si ce n’est même comme une espèce de complice lorsqu’il veut rétablir l’équilibre et l’ordre des choses.

Le Juge d’Instruction, de surcroît (et on l’a vu assez souvent, récemment encore, à l’occasion d’affaires retentissantes) est la plupart du temps un très jeune Magistrat, frais émoulu de l’Ecole de la Magistrature, certes très bien formé, mais très mal informé des expériences de la vie et des dangers des présomptions hâtives.

Mais, me direez-vous, il y a le Juge de la Détention et des Libertés (JLD), qui est là pour éviter les dérapages. Il y a aussi la Chambre de l’Instruction, juridiction d’appel et quelquefois de contrôle. Oui mais.

Mais le JLD comme la Chambre de la Cour qui auront à statuer sur la mise en liberté de M. X ou sur tout autre sujet touchant à ses libertés et à son honneur, bien que souvent férocement attachés à leurs prérogatives et à leurs devoirs, sont la plupart du temps impuissants, débordés de travail et respectueux des conseils ou des apparences qui leur sont apportés…

Oui, il était temps que s’ouvre enfin ce débat séculaire sur le rôle et les pouvoirs du Juge d’Instruction, homme ou femme chargé(e) d’instruire “à charge et à décharge” mais le plus souvent conduit à mener des enquêtes totalement et uniquement à charge, soit directement, soit par le biais de commissions rogatoires.

Comme je l’ai dit, il se trouvera très vite de grands esprits pour s’élever (un comble!) contre cette “nouvelle atteinte à nos libertés”, tant il est vrai qu’en ces temps où l’opposition n’a strictement rien à dire, elle s’empare de tout ce qui bouge pour tenter de faire vibrer les foules.

Pour ma part, je remercie M. SARKOZY d’avoir, sans trop de ménagements, attaqué ce nouveau chantier de réforme. Ceux qui ont connu, de quelque côté qu’ils soient, les rouages de la machine pénale, s’en réjouiront s’ils sont sincères et honnêtes.

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1 Publié par Corentin
28/05/2009 16:10

Merci pour ce chouette résumé ! Je crois cependant qu'il est encore tôt et que c'est un raccourci que de parler de système d'accusation comme on en trouve dans les pays de Common law, on n'y est pas encore... si ?

2 Publié par Me FLECHER
28/05/2009 16:37

Certes, on n'y est pas encore! Mais lorsque les avocats seront issus de centres de formation dignes de ce nom, ou d'un tronc commun avec l'ENM, peut-être viendra le temps où l'on considèrera qu'ils pourraient être de bons procureurs ou des adversaires de rang égal aux procureurs lorsqu'ils seront en défense.
Alors s'ouvrira le temps d'une vraie réforme en profondeur, où accusateurs et défenseurs seront à armes égales.

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